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— Compris.

— La consigne est simple, mais suivez-la à la lettre car il vous en cuirait, vous m’entendez ?

— Parfaitement.

— Alors au plaisir…

Je raccroche, j’endosse mon imper et je me propulse dans un taxi…

* * *

Décidément, ça s’enchaîne comme dans un drame bien foutu. J’ai eu raison de penser que les « zigotos » qui monnayaient les bons et loyaux services de Popaul finiraient par s’occuper de sa nièce. Le Pourri voyait celle-ci de façon très épisodique, il est donc normal qu’ils n’aient pas eu vent plus tôt de l’existence de Sofia… Mais ils ont su que leur ex-employé possédait une ravissante nièce à laquelle il rendait de lointaines visites et, avec leur système de la « terre brûlée » ils veulent supprimer cette possibilité de risque.

Heureusement que San-Antonio n’a pas de la terrine de canard à la place de la matière grise et qu’il est parvenu à battre les autres de vitesse.

La porte monumentale du porche n’est pas fermée. Je me glisse telle une ombre jusqu’à la petite cambuse de ma belle.

Grâce à mon sésame j’ouvre la lourde sans la moindre difficulté. J’ôte mon imper pour avoir la liberté de mes mouvements, et je m’empare de la petite lampe de chevet, celle qui éclaire parfois des paysages qui n’ont rien de champêtre. Je la porte à la cuisine où je la branche.

Ceci fait je reviens au living-room, j’installe un coussin à droite de la porte de manière à ce qu’en s’ouvrant celle-ci me masque automatiquement. Je m’assieds sur le coussin, je prends mon flingue, j’assujettis un silencieux dessus et j’attends en renaudant contre le besoin de fumer qui me tortille.

La faible lumière qui brille dans la cuisine donne à l’appartement une atmosphère de présence. C’est ce que je veux. Si les gnaces que je cherche s’amènent, ils ne douteront pas un instant que Sofia est en train de bricoler dans sa cuisine, et cela me donnera le temps nécessaire pour agir.

Une heure s’écoule sans que j’aie remué le petit doigt. Je me dis que je ne risque rien à mettre la radio. Ça renforcera l’impression d’« habité » et ça m’empêchera de m’endormir…

Je me coule jusqu’au petit poste de radio et je m’offre Luxembourg comme une reine.

André Claveau est en train de sévir. Il dit qu’il aime une femme et comme il est seul devant un micro personne ne se marre.

Après lui vient un jeu radiophonique. C’est bien les jeux radiophoniques, grâce à eux tout le monde a l’impression de s’en mettre plein les vagues par personne interposée.

Un type est en train de faire une fortune en devinant des airs de musique ancienne. Il en est à cent dix tickets lorsqu’un glissement se produit contre la porte. Une ombre se projette à l’intérieur du gourbi par les carreaux. Je fixe mon regard sur le loquet de la lourde. Je le vois tourner lentement. Je crispe un peu mes doigts sur la crosse du pétard. C’est mauvais pour les nerfs, ces séances-là !

La porte s’ouvre lentement. Je me presse contre le mur pour éviter que le battant ne bute pas contre moi trop tôt, signalant ma présence.

Une longue silhouette s’insinue dans la pièce, s’immobilise un instant comme pour se repérer dans l’obscurité et se dirige enfin à pas de loup vers la cuisine. Je me dresse, sans bruit. Je sais où se trouve le commutateur et je donne la lumière.

Le chauffeur de l’homme aux lunettes ovales est là, un gros lacet de cuir à la main. Il a fait un nœud coulant et le tient tout prêt. Il cligne des yeux à la lumière, lâche précipitamment son lacet et porte la main à sa poche.

— Arrête ! j’ordonne d’une voix qui ne laisse pas de place à la fantaisie.

Il s’arrête et me file un regard vipérin. Ce gnace me débecquette. Il est raide et glacé comme un Esquimau à la vanille avec le même teint.

— Tu allais à la pêche ? dis-je en désignant le lacet.

Il a un mauvais sourire. Puis, sans que rien ne me fasse prévoir un tel geste il plonge à mes pieds et me saisit par les chevilles. Je vais à dame sans passeport. Mais au moment de basculer je vide une partie de mon chargeur ce qui me permet de me relever sans subir de nouvel assaut.

Faut avouer que le chauffeur en serait bien empêché : il a ramassé plusieurs balles sur le dessus du crâne et le voilà scalpé comme un Mohican. Ça non plus, ça n’est pas beau à voir !

Domptant ma répugnance je le fouille. Il a sur lui des papiers au nom d’Ernest Flondet, 15, rue Paradis à Marseille, Bouches-du-Rhône. Doit s’agir d’une adresse bidon, probable… À part ça rien qui m’indique où il crèche à Paname !

J’abandonne le corps et je sors jusqu’au seuil de la maison. Je regarde à gauche et à droite dans la rue Lamarck, je ne vois rien. Certainement que le chauffeur a stoppé son tréteau dans une rue adjacente pour ne pas le faire repérer devant l’immeuble. Je relève le col de mon imper que j’ai eu le soin de reprendre et je pars à la recherche d’une bagnole ricaine. Mais balpeau ! Tout ce que je repère c’est une traction à cent mètres plus haut. Alors je me dis que les types qui sont des prudents ont troqué leur grosse bagnole contre une autre puisqu’ils m’ont permis de monter dans l’autre…

J’avance d’une allure de brave gars qui rentre chez lui le cœur en paix. Au moment où je parviens presque à la hauteur de l’auto le véhicule démarre sec.

J’ai un instant de flottement car je me dis qu’il s’agit peut-être d’une simple coïncidence… Mais je suis le genre de mec qui sait prendre ses responsabilités, contrairement à la plupart des fonctionnaires… À part les percepteurs, ces gars-là tirent toujours à la courte paille avant de savoir s’ils vont se farcir leur femme ou leur maîtresse et s’ils vont aller en retard au bureau ou en repartir en avance.

Le bref instant de flottement passé, je défouraille sur les boudins de la traction. Si jamais l’occupant est un paisible représentant en bières et limonades ça va faire un radada de b… de mouise dans la presse. Je les entends d’ici les journaleux, ou plutôt je les lis d’ici ! La police qui se croit tout permis ! Les poulagas toujours prêts à biller sur l’innocent pour en faire un coupable ! Les tueurs patentés ! Les assassins de l’État ! Embouchez les trompettes d’Aïda ! Sonnez braves archers du Roy !

Il ne restait plus que trois pilules Pink pour personnes pâles dans mon réservoir à fabriquer du défunt ; par bonheur l’une d’elles crève le pneu gauche arrière et la traction se met à zigzaguer dangereusement.

Je prends mes jambes à mon cou et j’arrive à la hauteur du bolide à l’instant précis où il stoppe en bordure du trottoir. Il y a du monde au balcon, je vous jure. Encore une fois, si j’ai fait erreur je ne risque pas d’arranger le coup à l’amiable !

Je parviens à la bagnole au moment précis où l’homme aux petites lunettes en sort. J’ai un soupir de soulagement en constatant qu’il n’y a pas maldonne.

Ce qui suit se déroule alors comme au ciné quand on enjambe une partie importante de l’action grâce à une succession de plans.

Je fonce sur le type tant désiré mais il tient un gentil P 45 qui aboie furieusement. Je n’ai pas d’autres ressources que de me jeter dans la voiture pour tâcher d’échapper à la distribution gratuite. Comme le moteur tourne encore j’embraie et je fonce d’un coup sec en avant. Ça chasse vilain sur l’arrière mais j’ai suffisamment de science du volant pour combattre ce handicap.

Le gars, surpris par cette manœuvre, continue de postillonner de l’acier… Mais je vais si vite qu’il rate la cible, c’est la voiture qui prend. Un dernier coup d’accélérateur qui emballe le moteur. Je suis sur lui. Dans la clarté aveuglante des phares je le vois se détourner pour se sauver, puis il y a un choc, il lève les bras et disparaît. Je stoppe. Le mec est à terre, un pneu de la guinde sur le bas-ventre. Il geint et ses lunettes sont allées valdinguer au milieu de la chaussée.