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— Merci surtout à toi, mignonne ; je te dois mon meilleur moment de Paris…

Une pareille gentillesse la touche. Ses châsses s’embuent.

— Vous partez ? elle demande.

— Je pars…

— Tu pars, répète Paul, un peu surpris par ma brusque décision.

— Oui, fais-je, je pars. J’ai toujours été un gars discret dans mon genre, Paul. J’aime pas m’accrocher aux gens. Je vois bien que je te pèse.

— Qu’est-ce tu débloques ? soupire-t-il, un peu gêné.

— Je suis pas miro, figure-toi. Mais je t’en veux pas, c’est normal, on a chacun sa vie, Paul !

Je m’arrête…

— En tout cas, aie pas de soucis pour des fois que je me ferais épingler par les flics. Je suis un gars discret…

Je cligne de l’œil, je balance une caresse aux roberts de Sofia et je sors.

Si vous saviez comme mon battant y va à la manœuvre, vous appelleriez le toubib de garde ! Parce qu’en ce moment c’est toute ma mission qui se joue. Si Paul me laisse filer, tout est dans le lac : la femme et les chevaux !

Je fais un pas. Deux pas…

« Nom de Dieu ! je me dis, t’es chocolat, San-Antonio. Tu aurais mieux fait d’aller jouer ta scène à la James Cagney au Châtelet, t’aurais au moins fait de l’artiche… »

Trois pas, puis quatre… Rien !

Derrière moi, c’est l’inertie totale. Je parviens à côté d’un bassin limoneux. Sur l’eau verdâtre il y a une grosse feuille de nénuphar pareille à une palette de peintre.

Des oiseaux poussent la sérénade dans les branches des acacias… Quelque part dans l’un des quatre immeubles cernant cette portion de nature, une jeune fille de bonne composition fait déjà ses gammes… Des bonniches battent les tapis aux fenêtres… Tout ça est joyeux, d’autant plus que, par-dessus le blaud, un gentil soleil largue des rayons de miel.

Je continue d’avancer avec comme des tatanes de scaphandrier aux lattes. Tous mes regrets se portent dans mes pieds. Je ne peux pas m’arracher à cette cour. Parce que, dans cette cour, je suis encore à portée de voix de Paul-le-Pourri.

Lorsque j’aurai franchi le porche, la rue m’absorbera et ce sera fini. Je ne pourrai plus raccrocher le coup. L’affaire sera sciée, complètement sciée…

Un vaste déchirement me ruine le moral. Neuf, dix, onze pas !

Me voilà sous le porche. L’ombre fraîche, le courant d’air me sautent sur le poil.

Je chialerais.

— C’est tordu, je soupire… C’est mort, c’est enveloppé, je l’ai dans le baigneur…

À cet instant une voix crie :

— Hé ! Bernard…

Lentement je me retourne. Paul est là-bas, dans l’encadrement de la petite maison qui, par rapport aux immeubles, ressemble à une verrue sur un pif.

— Écoute voir, dit-il.

Mon ange gardien entonne un hymne d’allégresse à pleins tuyaux !

CHAPITRE IV

Je comprends tout de suite que Sofia n’est pas étrangère à ce revirement de Paul-le-Pourri. Elle a dû le baratiner en vitesse afin de le faire fléchir. Comme quoi on a toujours raison de bien placer sa bonne marchandise. Je ne l’aurais pas calcée, cette noye, je l’avais dans le baba. Mais mon charme personnel a agi.

Je regarde mon interlocuteur au faciès si peu ragoûtant. Vous parlez d’un portrait de famille ! On a envie de lui passer la bouille au chalumeau, histoire de le mettre propre une bonne fois. J’ai connu un gnace qui avait une frime comme ça, en portion de brie usagé. Il en a eu marre de voir les gens aller au refil sur son passage, un jour il s’est collé une pomme crue dans le bec et il s’est assis sur sa cuisinière à gaz jusqu’à ce qu’elle soit cuite.

— Qu’est-ce tu veux ? je questionne, faux-cul comme un assureur.

Il est bourru. Paul, c’est le mec qu’aime pas avoir des faiblesses. Il m’en veut de la fleur qu’il va me faire…

— Vrai, il dit, tu sais pas où aller ?

— Je t’ai dit que je me débrouillerai. J’ai un pétard sur moi, il reste quatre balles dedans, j’ai vérifié. Avec cet outil, personne te refuse la charité. Tu mets ça sous le pif des bourgeois et illico ils sortent leur larfouillet, même les plus radins.

— C’est pas une solution, il fait, songeur et méprisant tout ensemble. Si tu te pointes à Paname avec cette mentalité, gars, tu tarderas pas à engraisser les astecs…

Je baisse le nez.

— Alors quoi, je murmure, y a de la gâche que pour les fonctionnaires, ici ? Déjà ta nièce qui me dit que je suis fringué comme au temps des Gaulois… Qu’est-ce qu’il fallait que je prenne pour me pointer à la capitale ? Des manches de lustrine et un rond-de-cuir Michelin ?

Ce langage botte Paul. Il se souvient de sa jeunesse et au fond il admire ma fougue.

— Prends une cadière, dit-il.

J’obéis et me laisse choir sur une chaise.

— Je voulais te dire que Pantruche ça n’est pas Chicago à la belle époque. Un flingue solutionne pas le problème de la vie chère, tu comprends ? Y a tout de même des poulardins plein les rues. Quand tu joues au c…, ils ont vite fait de te défourailler dessus. D’accord, ils démolissent les passants, mais comme leur seringue est à répétition, tu as toutes les chances de bloquer une praline.

— Alors ?

Sofia me lance un léger clin d’œil. Elle se laisserait encore faire le coup du Beau-Danube-bleu, cette femelle ! Vous parlez d’une brouette !

Négligemment, je lui passe la main sous la robe de chambre. L’entrée des fournisseurs, moi j’aime ça. C’est rudement maison de palper une moukère de cette façon.

Elle s’immobilise, vachement contente.

Paul hausse les épaules.

— T’es pas un homme, t’es un bilboquet, fait-il, par hasard, tu marnais pas en qualité de taureau dans ta province ?

— Pas en régulier, je lui réponds, mais je faisais des extras.

J’ajoute, la voix dure :

— Alors ?

Il tire un mégot de sa profonde, le lisse entre le pouce et l’index et hoche la tronche prudemment.

— Je peux p’t-être te trouver de l’emploi, dit-il.

— Ah ! oui. T’as un burlingue de placement ?

— Des fois…

— Et quel genre de turf t’as en vue ? Nourrice sèche ?

— Charrie pas, mec, j’ai horreur…

Je joue les petits glands matés.

— C’est bon, mais parle… T’es là, on a envie de t’accoucher aux fers !

— Je connais quelqu’un de bien… Un bonhomme qui peut s’occuper de ton présent, et même de ton avenir… Tu veux qu’on aille lui dire un bonjour ?

— Banco…

— Alors lâche le fignedé de Sofia et radine…

Je baisse la main. Sofia me bouffe le mufle goulûment.

— Tu viendras bientôt ? elle demande.

— Tu parles…

— Si t’as l’occasion, passe à ma boîte, je travaille à La Lune Verte, au-dessus de la Trinité.

— D’accord…

On s’en va, Paul et moi. Cette fois, c’est d’un cœur léger que je sors de l’immeuble. Il y a du soleil plein Montmartre et des balayeurs manœuvrent leur jet d’eau d’un air béat.

Au coin de la rue Lamarck et de la rue Caulaincourt nous frétons un bahu.

Paul se jette dans le fond suivant sa bonne habitude, comme au cirque le cascadeur qui fait le saut périlleux en arrière.

Il tète son mégot déjà éteint. Il est plus tarte que jamais, ce pauvre chéri. Il se présenterait au concours du plus beau machin de singe, il décrocherait la timbale aussi sec.

Soudain il me demande :

— Tu connais Paname ?

— Non, je débarque…

— Et y a longtemps que t’es icigo ?