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Ils se mirent à rire tous les deux, discrètement. Puis il retourna à l’intérieur en compagnie de Justine. Peu de temps après, la Marquise se mit à brailler. Il était l’heure de réintégrer les cellules. C’était passé si vite… Monique prit la tête du cortège, tandis que Solange fermait la marche. Non loin de Marianne qui avançait au ralenti. Brigitte la bouscula en passant.

— Ça fait toujours aussi mal, petite pute ?

La Hyène était déjà loin. Peu disposée à se battre, aujourd’hui. Tant mieux. Marianne continua son chemin, pas très rassurée de savoir Pariotti sur ses talons. Embouteillage en haut de l’escalier. Daniel avait ordonné que les filles soient fouillées avant leur retour en cage. Ça arrivait parfois, comme pour maintenir la pression, la discipline. Ça pouvait prendre une heure mais les brebis le vivaient plutôt bien, finalement peu pressées d’être claquemurées. Les discussions allaient bon train. Marianne s’appuya sur le garde-corps, attendant sagement son tour.

Mais soudain, la Marquise posa les pieds en terrain ennemi.

— Je t’avais dit de pas balancer, de Gréville…

Marianne crispa ses mains sur la rambarde. Cette voix ravivait les plaies, tel un scalpel. Elle avait peur. Comme jamais. Mais s’efforça de le cacher.

— Laisse-moi tranquille !

Elle tenta de s’éloigner, Solange la retint par un bras.

— Reste-là !

Marianne se raidit à cet ignoble contact. Elle fixait ses chaussures. Tentait toujours de masquer sa terreur sous l’indifférence. La nausée revenait en force, rien qu’à flairer le parfum de sa tortionnaire. Son corps se souvenait. Ses fonctions vitales s’affolaient.

— Je vais laisser les choses se calmer, poursuivit Pariotti. Mais ne te crois pas à l’abri. À la première occasion, je te jure que tu vas y passer ! Et dans les pires souffrances…

— Fous-moi la paix !

— Tu te crois forte parce que ce salopard te protège, hein ? Mais je vais m’arranger pour qu’il soit muté. Pour le détruire, lui aussi ! Et là, tu seras à ma merci…

Elle ignore que je vais me tirer. Que bientôt, son souffre-douleur se sera envolé. Loin, très loin. Réalisant cela, Marianne retrouva la paix. La force, aussi.

— Tu ne m’impressionnes pas ! Tu ne tenteras plus rien contre moi, je le sais.

La surveillante souriait, dévoilant ses dents parfaitement alignées. Parfaitement blanches. Parfaitement aiguisées.

— J’ai bien tué ta copine, pourquoi pas toi, hein ?

Le cœur de Marianne effectua un dérapage incontrôlé.

— Ma copine ?

— L’autre salope qui avait assassiné ses gosses… Comment elle s’appelait, déjà ? Aubergé !

— Elle s’est suicidée ! rétorqua Marianne d’une voix tremblante.

— Oui… J’avoue qu’il m’a fallu du temps pour la décider. Je lui rendais visite quand tu étais dans la cour… Je lui rappelais qu’elle était une moins-que-rien. Une folle, une cinglée… Qu’elle devait au moins finir le boulot, par respect pour ses enfants… Que le dernier encore en vie refuserait de la revoir. Qu’elle ne méritait pas de continuer à vivre.

Marianne ferma les poings. Ses vaisseaux charriaient la haine, désormais.

— Mais le moment que j’ai préféré, c’est quand je t’ai écoutée appeler au secours… J’étais juste derrière la porte… Un vrai régal de t’entendre gueuler comme une truie qu’on égorge ! De t’entendre me supplier… Et pleurer sur le cadavre de cette saloperie.

Déflagration dans sa tête. Déferlante rouge devant ses yeux.

Emma.

Marianne se jeta soudain sur la gardienne, lui cassa les reins sur la rambarde avant de lui envoyer une droite en pleine figure.

— Je vais te crever, salope ! hurla-t-elle dans un accès de démence. Je vais te crever !

Elle serra le cou de la Marquise de ses deux mains, de plus en plus fort, encaissant sans faillir ses ripostes désespérées. Pariotti étouffait. Elle avait empoigné les bras de Marianne mais n’arrivait pas à la faire renoncer. Les détenues commencèrent à crier. Certaines de joie, d’autres de peur. Marianne, dans son délire meurtrier, discerna des encouragements. Des hourras.

Soudain, quelqu’un l’agrippa, essayant de la tirer en arrière. Une gêne pour finir le boulot. Un parasite qui s’accrochait à elle, l’empêchant d’accomplir son devoir. Libérant sa main droite, elle flanqua un violent coup de coude derrière elle. Elle sentit les chairs qui s’écrasaient sous l’impact. Entendit une voix familière emplie de terreur, de douleur. Puis un bruit lourd. Marianne tourna la tête ; un corps dévalait l’escalier sans aucun contrôle. Elle avait l’impression que tout allait au ralenti. Ses mains abandonnèrent la Marquise qui s’effondra à ses pieds.

La chute lui sembla infinie. Deuxième explosion dans son crâne lorsqu’elle vit le pantin désarticulé se rompre le cou sur la dernière marche.

Marianne. Immobile. En haut d’un escalier. Dans un silence total, maintenant.

Comme dans un cauchemar, elle fixait le corps qui gisait au bas des marches. Comme dans un cauchemar, elle vit Daniel descendre en courant, s’agenouiller près de la victime. Prendre son pouls au poignet, puis à la carotide. Trop tard. Y a qu’à la regarder pour comprendre. Regarder ce corps étrangement pétri par la mort. Comme une sculpture de mauvais goût. Lorsque Daniel releva la tête, leurs yeux se frôlèrent. Désespoir au fond du bleu.

Comme dans un cauchemar.

Sauf qu’elle ne se réveillerait pas. Sauf que c’était irréparable. Irréversible.

Marianne ne pouvait se détacher du cadavre. De l’homme blessé à côté.

Elle réalisait lentement qu’elle venait de tuer, une fois encore. Une fois de plus. Une fois de trop, comme toujours.

Elle fit non de la tête tandis que Daniel se redressait enfin. Les filles retrouvèrent la parole. Doucement. Puis la rumeur enfla.

Morte ! Morte ! Morte…

Le cerveau de Marianne s’enflamma soudain. Elle aurait voulu disparaître sur-le-champ, s’évaporer, s’envoler. Se dissoudre. Ou même monter sur l’échafaud. Pour ne pas à avoir à affronter son propre crime. Et ce qui allait suivre. Des sirènes hurlaient déjà dans sa tête.

J’ai pas fait ça. Non, j’ai pas pu… Pas elle… Brusque retour en arrière. Un jour, dans ce maudit escalier… Vous avez des enfants, surveillante ? Oui, j’en ai trois. Ils sont merveilleux… Si un jour ça tourne mal, pensez à eux. Ne jouez pas les héroïnes

La porte, puis la grille du cachot s’effacèrent. Daniel y poussa Marianne. Il n’avait pas prononcé un mot. L’avait forcée à marcher devant lui, comme pour ne pas voir son visage de meurtrière. Sans brutalité. Sans amour. Sans compassion. Pourtant, Marianne ressentait la souffrance, dans chacun de ses mouvements, dans chaque battement de son cœur. Comme elle, il peinait à respirer. Elle brûlait vive de l’intérieur. Rôtissait dans les enfers de la culpabilité. Les remords la grignotaient lentement, méthodiquement. Une drôle d’équation s’affichait dans sa tête. Monique est morte. Solange est encore en vie. Aussi coriace que du chiendent. Fléau indestructible. Le chef l’affronta de face, enfin. Dur, comme quand il s’apprêtait à frapper. Longtemps qu’elle n’avait pas reçu cette brutalité en pleine figure.

— Je voulais pas ! murmura-t-elle avant même la première question.

— Pourquoi, Marianne ?

Il distribua soudain de grands coups de pied dans le mur, se mit à hurler de fureur. Marianne se recroquevilla dans un coin de la cellule.

— Je voulais pas ! jura-t-elle. C’est un accident !

— Ferme-la ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ?