Il l’empoigna par les épaules.
— Tu te rends compte, Marianne ?!
Elle se contentait de trembler. De gémir. Lui continuait à vomir sa douleur. Il criait si fort que les tympans de Marianne vibraient comme la peau d’un tambour.
— Tu l’as tuée, Marianne ! Tu as tué Monique ! Mais qu’est-ce que tu as dans la peau, putain ?! Tu l’as tuée ! TUÉE !
Instinctivement, elle voulut se réfugier dans ses bras, là où elle avait besoin d’être quand tout allait mal. Mais il l’envoya rebondir contre le mur.
— Tu sais ce qui t’attend, maintenant ?
Les larmes inondèrent le visage de Marianne. Véritable coulée de lave salée qui brûlait sa peau. Il la saisit à nouveau, la rudoya encore.
— Ils vont te transférer, te juger ! Tu ne sortiras plus jamais de taule ! Cette fois, c’est terminé !
— Je voulais pas !
— Mais tu l’as tuée !
Le bleu s’emplit de larmes. Daniel pleurait, s’accrochant à elle avec désespoir. Des psaumes de détresse lui répondirent. Des sanglots, des je voulais pas…
— Elle avait trois gosses !
Il la lâcha, essuya ses propres larmes, s’éloigna. Elle se sentit incapable d’affronter la suite.
— Me laisse pas ! implora-t-elle.
Il ne se retourna même pas.
— Ne me laisse pas, je t’en prie ! Me laisse pas ici !
Il secoua la tête. D’impuissance, sans doute. Referma le sas grillagé, puis la porte. Marianne fondit comme du beurre le long du mur. Se ratatina sur le sol. Ses bras enroulés autour du corps, pour se protéger. Son visage n’était plus qu’une convergence de tics nerveux. Elle revoyait le corps sans vie de Monique, le regard désespéré de son amant. Celui de Justine, aussi. Tous ceux qu’elle venait de trahir. De blesser. Ou de tuer.
Elle songea soudain au parloir du lendemain. Comme une grenade déchiquetant ses entrailles. Elle mesura tout ce qu’elle venait de détruire. Cette ultime chance qu’elle venait d’anéantir. Plus aucun espoir.
Plus rien à quoi se raccrocher. Plus aucune raison de vivre.
Juste la terreur qui galopait dans ses veines. Elle entendait déjà une armée d’ombres vengeresses marcher vers elle. Elle allait payer son crime. Le châtiment serait pire que la mort. Elle s’épuisa la voix sur les cloisons étanches du cachot. S’épuisa dans les secousses nerveuses. Le visage noyé de larmes, le corps embourbé de remords. Tout est fini.
Je suis dans ma tombe. Mais je respire encore. Pariotti respire encore.
Alors, elle appela la mort de toutes ses forces. S’écorcha les cordes vocales. Supplia la délivrance. Finit par capituler. Se brisa sur le sol humide et froid, telle une poupée de porcelaine.
Quartier disciplinaire — 18 h 45
Étendue par terre, mordue par le froid, tiraillée de toutes parts, Marianne souffrait en silence. Seules ses lèvres bougeaient. Prononçant des contours de mots. Sans un bruit.
Une clef dans la serrure la terrifia. Mais elle ne bougea pas. Ouvrit juste les yeux sur un mur dégoûtant. Le sas s’ouvrit.
— Voici ton repas.
Une voix familière. Douce, d’habitude. Brutale, ce soir. Marianne resta immobile. Peur d’affronter ce juge. Son amie, pourtant.
— T’es contente de toi, Marianne ?
De la haine dans cette question. Et tellement de souffrance… Marianne referma les yeux. Justine lui décocha un coup de pied sec dans le dos.
— Eh ! J’te parle ! Tu pourrais au moins me regarder !
Marianne se ressouda lentement. Puis elle fit face à sa nouvelle ennemie ou ancienne amie, à un visage ravagé par la douleur. L’incompréhension, la déception.
— Alors ? T’es contente de toi ? Tu t’es faite une matonne, aujourd’hui !… Tu réponds pas ? T’as perdu la parole ?
Marianne mit ses deux mains dans le dos et s’appuya contre le béton.
— Je te demande pardon.
— Pardon ? Mais c’est pas à moi qu’il faut demander pardon ! C’est à ses trois gosses et à son mari. À eux que tu dois demander pardon…
— Je ne voulais pas…
— Tu ne sais plus ce que tu fais, alors ! C’est pourtant bien toi qui l’as frappée et poussée dans l’escalier ! De toute façon, j’ai eu tort. Tort de te faire confiance. Tu ne sais que tuer !
Marianne ne chercha pas à nier. Elle fixait le sol, crucifiée contre la cloison. L’absence de réponse poussa Justine dans la fureur. Elle plaqua Marianne contre le mur, pressant ses mains sur sa cage thoracique.
— Tu sais rien faire d’autre que tuer, c’est ça ? hurla-t-elle.
Marianne secoua la tête, tenta de se dégager sans y mettre la moindre force. Laissant finalement Justine la clouer au pilori.
— Tu ne connais donc pas la pitié ?
Les yeux de Marianne se mirent à briller. Quelle autre défense, désormais ?
— Tu crois que tu vas m’attendrir avec tes larmes ? s’écria la surveillante. Qu’est-ce que tu lui reprochais à Monique, hein ? Tu l’as tuée pour le plaisir, c’est ça ?
— Arrête ! supplia Marianne en sanglotant. Je t’en prie…
Justine lui infligea une violente secousse, son crâne heurta le mur.
— Je devrais te tuer ! Tu mérites que ça !
Une voix s’interposa brusquement entre les deux femmes.
— Justine ! Arrête… ça suffit.
Daniel se tenait à l’entrée du cachot. La gardienne lâcha Marianne.
— Calme-toi, ordonna le chef. Ça ne sert à rien, de toute façon…
Marianne toujours debout. Figée dans l’horreur. Ses muscles tremblaient comme la surface de l’eau sous le vent.
— Raconte-nous ce qui s’est passé, Marianne, demanda Daniel.
— Pas la peine ! s’emporta Justine. On sait tous que c’est elle qui a tué Monique !
— Oui. Mais je veux entendre sa version…
Justine le défia du regard.
— Tu prends sa défense parce que tu la sautes, c’est ça ?
Daniel resta médusé quelques instants. Mais, vu la situation, ce n’était plus qu’un simple détail.
— Je ne cherche pas à prendre sa défense ! Je veux juste entendre son témoignage.
— Son témoignage ? Mais ce n’est pas elle la victime !
— Stop ! Maintenant, tu te tais et tu la laisses parler.
— Salaud ! Traître !
— Arrêtez ! implora soudain Marianne. Arrêtez de vous insulter… S’il vous plaît.
Cette voix faible leur coupa la parole. Marianne préféra s’asseoir par terre.
— Je ne voulais pas la tuer… Je… Je voulais tuer Solange. Elle est venue… Pendant que Monique fouillait les filles…
Marianne narrait le drame d’une voix sans relief. Épuisée. Tout juste audible. Elle répéta avec une précision étrange les paroles de la Marquise. Le meurtre d’Emma dans les moindres détails. Les menaces contre elle et Daniel. Justine se laissa tomber sur le banc. Le chef s’accrocha à la grille. Sa haine changeait progressivement de cible. Comme le viseur d’un fusil ajuste le tir.
— J’ai… J’ai pas pu me contrôler… J’ai voulu la buter. Et… Et quelqu’un a essayé de m’en empêcher… J’ai même pas vu qui c’était… J’ai frappé derrière moi… Et j’ai vu Monique qui tombait dans l’escalier… Et…
Marianne cessa de parler un instant. Revivant en direct l’accident. Sa faute.
— J’aurais préféré mourir à sa place…
Le désarroi avait remplacé la colère sur le visage des surveillants. Daniel était sonné. Trois traumatisés dans la même pièce.
— J’aurais pu tuer Justine ou toi… J’ai jamais voulu de mal à Monique. J’ai frappé… J’étais enragée, j’étais même plus là.