Avouer qu’elle avait mal, qu’elle avait peur. Leur donner satisfaction pour tenter de les calmer.
— Ta gueule ! Tu crois que tu vas nous faire gober ça ? Tu crois qu’on sait pas qui tu es ? On va te passer l’envie, j’te jure !
Elle se tut, fixa le sol marécageux. Portier lui releva la tête en appuyant la matraque sous son menton.
— Tu penses à ces trois gosses qui pleurent leur mère, ce soir ? Tu y penses, Gréville ?
— Oui…
— Tu mens, petite ordure ! Mais on va t’obliger à penser à eux, je te le garantis !
Ils l’emmenèrent vers de nouvelles tortures. Portier la jeta dans les bras de Mestre qui la reçut avec son poing dans la figure, avant de la relancer vers un de ses collègues qui la frappa à son tour. Le jeu barbare continua de longues minutes. Elle ne pouvait même pas s’écrouler, toujours maintenue par des bras puissants. Ses genoux touchaient terre de temps en temps. Les coups tombaient à intervalles réguliers. Sur le visage ou le corps, au gré des envies de chacun des joueurs.
Jusqu’à ce que Portier l’emprisonne par la taille et la couche sur la table, lui faisant embrasser brutalement le béton.
Là, elle perdit connaissance pour la première fois. Plongeant dans un de ces fameux trous noirs. Une caverne calme et humide. Un cercueil. Des ténèbres où se reposer. Enfin.
Mais le glas résonna à nouveau dans sa tête. Le jet d’eau froide en pleine face la ramena au cœur du purgatoire. Elle ouvrit les paupières sur le spot halogène. Avala une bouffée d’oxygène. Mourir.
Elle supplia son cœur de lâcher, une bonne fois pour toutes. Mais il était bien trop solide pour ça. Portier lui écarta brutalement les jambes, se colla contre elle. Il braquait une arme chargée à bloc entre ses cuisses. Il se pencha, elle vit son sourire jauni, son visage répugnant. Respira son haleine pourrie. Le tas de graisse qui lui servait de ventre s’aplatit sur ses abdominaux serrés à fond.
— Tu préfères la matraque ou ma queue, Marianne ?
Il verrouillait un étau d’acier sur sa gorge. Elle avait juste assez d’air pour survivre, pas assez pour choisir. Mais il commit l’imprudence d’approcher une main de sa bouche. Elle le mordit, de toutes ses forces. Goûta le sang de l’ennemi. Le gradé braillait comme s’il s’était coincé la main dans un piège à loup. Un de ses subordonnés lui porta secours. Une matraque tomba sur le crâne de Marianne, Portier récupéra son doigt où s’incrustait la marque rouge des crocs. À défaut de force, elle avait encore des nerfs. Et l’énergie du désespoir.
Elle replia ses jambes, lui flanqua son pied en pleine tête. Il perdit l’équilibre, partit rebondir contre le mur avant de savourer à son tour l’eau froide et sale qui noyait la cellule. En guise de riposte, Marianne reçut de nouveaux chocs. Puis on lui empoigna les chevilles, on lui comprima le cou. Elle se revit dans les douches. Sauf que là, ce n’était pas un couteau qui allait la blesser. Ce serait pire.
Elle planta ses canines dans un morceau de chair, un bras lui sembla-t-il. Déclencha un autre cri de douleur. Elle se battrait jusqu’au bout. Jusqu’à la mort. Ne connaîtrait jamais la reddition. La soumission.
Mais Portier était revenu à l’assaut entre ses jambes. Du sang plein le visage. Elle l’avait copieusement amoché. Avait décuplé sa fureur. Elle entendit le bruit des clefs accrochées à sa ceinture tandis qu’il virait son pantalon.
— Fils de pute ! hurla-t-elle.
Justine pleurait à chaudes larmes. Elle dut fermer les yeux sur le crime dont elle était l’impuissante spectatrice. Marianne continuait à se débattre alors qu’elle avait déjà la corde au cou. Les voix qui poussaient au viol, les insultes, se gravaient à jamais dans son esprit au bord de la rupture.
Elle serra les dents si fort qu’elle se mordit la joue. Lèvres soudées, elle plongea en enfer sans un cri, assassinée de l’intérieur. Souffrance à son paroxysme. Celle qu’elle avait tant redoutée. À laquelle elle avait échappé jusqu’à ce soir.
Elle ouvrait-fermait les yeux sur les faciès de ses tortionnaires, réunis autour d’elle pour la curée. Sur ces yeux injectés de sang, brillants de haine. Elle comptait les coups de glaive qui lui déchiquetaient le ventre à intervalles réguliers. Portier s’acharnait, galvanisé par les encouragements.
Mais soudain, il s’arrêta. Net. Dans un étrange silence. Quelque chose de froid appuyait sur sa tempe. Jugement dernier métallique.
Un drôle de clic. Il tourna à peine la tête. Lâcha la gorge de Marianne.
Au milieu du cauchemar, elle devina une immense silhouette. Qui braquait un pistolet sur le crâne du violeur.
— Tu recules, ordonna Daniel. Doucement…
Portier s’exécuta. Marianne laissa échapper un cri de douleur. Le premier.
— Déconne pas ! implora Portier.
Daniel accentua la pression. Sa voix était incroyablement calme. Lisse et plate.
— Vous la lâchez. Et vous détachez Justine. Sinon, j’explose la cervelle de ce connard…
Les surveillants obéirent. Marianne eut un violent sursaut avant de tomber de la table.
— Tu… tu… le feras pas ! bégaya Portier.
Daniel ôta la sécurité de l’arme.
— Me tente pas, conseilla-t-il en crispant son doigt sur la gâchette.
Les matons libérèrent Justine. Elle arracha le papier de sa bouche et tout ce qu’elle avait contenu sortit en quelques secondes. Comme un barrage qui cède, déversant des mètres cubes d’eau boueuse. Les yeux exorbités par la colère et la peur. Hystérique de la tête aux pieds.
— Bande de salauds ! Bande de salauds ! Tue-les, ces enfoirés ! Vas-y, Daniel, tue-les !
— Calme-toi, commanda Daniel. Occupe-toi de Marianne.
Justine cessa de vociférer. Il lui fallut un court instant pour remettre de l’ordre dans ses neurones. Puis elle détacha Marianne, l’enroula dans la couverture.
— Maintenant, vous sortez tous d’ici, enjoignit Daniel.
Portier esquissa un mouvement pour remonter son froc, mais l’arme comprima sa tempe.
— Toi, bouge pas !
Portier leva les mains devant lui.
— Les autres, vous repartez dans vos quartiers. Je vous laisse deux minutes…
Les quatre surveillants décampèrent aussitôt, tels des moutons affolés. L’étrange silence reprit possession du cachot. Pas même une plainte de Marianne. Tout juste quelques respirations exacerbées.
— On devrait t’enfermer chez les pointeurs… murmura Daniel. Tu serais bien avec eux !
— Déconne pas… C’est qu’une taularde, OK ? On n’a rien fait à Justine…
— C’est qu’une taularde, hein ?
Sa voix venait de changer. Ondulant désormais sur les registres de la haine et du dégoût. Il empoigna Portier par la chemise, lui asséna un coup de boule, suivi de près par un coup de genou entre les jambes. La masse flasque s’affala dans une chute grotesque. Daniel rangea l’arme à sa ceinture, les yeux braqués sur Portier, paralysé, souffle coupé, mains jointes au bas du ventre. Mais il ne souffrait pas assez. Daniel avait envie de le massacrer, de le transformer en une bouillie humaine.
Il évita de regarder Marianne. Si je la regarde, je le tue. Après une longue inspiration, il releva Portier, le ramena en haut de l’escalier en le tenant par la nuque, un bras tordu dans le dos. Portier chuta plusieurs fois, empêtré dans son pantalon qui plissait toujours sur ses chevilles. Daniel le balada ainsi jusqu’aux limites de son territoire. Avant de le jeter dans un couloir et de claquer la grille.
— Si tu remets un pied chez moi et si tu touches à une détenue, je te descends ! menaça-t-il.
Il retourna alors au pas de course jusqu’au mitard. Il y trouva Marianne sur la paillasse, Justine tout à côté. Il posa une main rassurante sur l’épaule de la surveillante.