Non, Marianne. Tout ça, c’est de ta faute.
Elle tenta de se détacher. S’exténua en vain. Poussant des sortes de grognements de fauve encagé. Essayant de faire céder les barrières avec des coups de pied, des coups d’épaule. Jusqu’à ce que la fatigue irisée de douleur ne lui fasse jeter l’éponge. Elle regretta d’être venue au monde. Insulta sa mère. Son père. Les dieux de l’enfer. Encore une salve de larmes, ses seules amies, dans les moments les plus durs.
— Est-ce que ça va finir un jour ? murmura-t-elle.
La porte de la chambre s’ouvrit, comme pour répondre à son appel. Elle tourna la tête. Ressentit un choc d’allégresse. Une joie simple, animale, primale. Infinie.
— Daniel…
— Salut ma belle.
Il posa le sac de sport de Marianne sur le vieux fauteuil en cuir. Elle se redressa, il prit son visage entre ses mains. Essuya ses larmes, doucement. Elle ne pouvait même pas l’enlacer, même pas le toucher.
— J’ai pas pu venir avant, Marianne. Et les deux crétins devant la porte ont bien failli m’empêcher d’entrer ! J’ai dit que je venais t’apporter tes affaires… Et t’interroger sur ce qui s’était passé au cachot… Ils t’ont attaché les deux mains ?
— Ouais ! Tu veux pas essayer de me faire libérer ? Je voudrais te serrer dans mes bras…
Dans le couloir, Marianne l’entendit discuter avec les flics.
— Elle a agressé le toubib ! raconta le nabot. C’est une dangereuse…
— Je la connais bien ! Elle a l’air calme, maintenant… Vous pourriez peut-être la détacher ?
— Elle est bien comme ça ! rétorqua le géant.
— Ne soyez pas vaches ! Tant que je suis là, vous ne risquez rien…
Ils parlementèrent de longues minutes. Le colosse céda enfin et le suivit dans la chambre. Il s’adressa à Marianne comme à son clébard.
— Je te détache tant que le surveillant est là ! Mais je te conseille de pas t’exciter !
— D’accord, murmura Marianne d’un ton docile.
Elle lui aurait léché les pieds pour pouvoir retrouver l’usage de ses bras. Il desserra les deux bracelets.
— Vous voulez que je reste ?
— Non, répondit Daniel. Elle ne se montrera pas violente envers moi, je vous assure.
— Comme vous voudrez, grogna le géant en haussant les épaules.
Enfin seuls… Marianne se blottit dans les bras de son amant. Ils restèrent ainsi de longues minutes, sans parler. Presque sans respirer. Nourris l’un de l’autre.
— J’ai cru que je te reverrais jamais ! dit-elle en l’étouffant.
Il souriait, caressait son dos.
— J’ai pas arrêté de penser à toi, avoua-t-il. Comment tu te sens ?
— J’ai connu mieux…
— Marianne… Je… J’aurais dû te protéger… Je…
Elle sentit qu’il s’écroulait dans ses bras. Comprit qu’il pleurait.
— J’ai même pas été capable d’empêcher ses salopards de… J’ai… J’aimerais tant te sortir de là ! Je t’aime tellement et je n’ai rien pu pour toi… Pardon, Marianne…
Elle sanglota à son tour, touchée jusqu’au cœur. Jusqu’aux tripes. Elle posa son front sur le sien.
— Tu as fait tellement pour moi…
Il nia avec la tête. Ses yeux étaient devenus gris, comme chaque fois qu’ils étaient sous l’emprise de la tristesse ou de la colère.
— Tu m’aimes vraiment ? demanda-t-elle d’une voix pétrie d’espoir.
— Oui, Marianne…
Elle avait le souffle court. Avait envie de lui dire aussi. Cherchait des mots inconnus qui pourraient traduire tout ce que son corps hurlait.
— Moi aussi, confessa-t-elle simplement.
Ils échangeaient leurs larmes. Si près du bonheur parfait. Si près de la séparation, pourtant.
— Ils ont décidé de t’envoyer à P. … À la centrale de P.
— Je ne te verrai plus jamais ! gémit-elle en enfonçant ses ongles dans sa nuque.
Il fit un effort surhumain pour ne pas craquer. Pour cesser de pleurer et de la terrifier.
— Si, Marianne ! Je viendrai te voir au parloir. Je te promets ! P., ce n’est pas si loin. Je… Je viendrai aussi souvent que je pourrai !
Elle s’accrocha à ce rêve.
— Tu ne m’abandonneras pas, alors ?
— Jamais. On se verra souvent… Et… On pourra faire tout ce qu’on veut au parloir !
Elle se mit à rire, essuya ses larmes avec le bandage de son poignet.
— On pourra s’écrire, aussi ! Je t’enverrai du papier et des timbres… Pour que tu me répondes.
Ils s’enlacèrent à nouveau, savourant par avance leurs retrouvailles futures. Elle avait passé une main sous sa chemise, pour toucher sa peau. Sa chaleur. Pour imprégner sa chair de son parfum. Malgré les paroles, elle était effrayée. Pressentant que c’était la dernière fois qu’elle le tenait contre elle.
— Je t’ai apporté des fringues… Et il y a tes cigarettes et ton réveil, aussi.
— Merci… Je vais m’habiller pendant que je suis détachée.
Il l’aida à se mettre debout, lui enleva sa blouse. Reçut brutalement l’image de ce corps meurtri. Choqué. Mais il oublia vite les hématomes pour ne plus voir qu’elle. L’intérieur d’elle. Il laissa ses mains profiter d’elle encore quelques instants. La réchauffa d’un amour brûlant. Comme tu vas me manquer ! hurlaient ses yeux redevenus bleus. Les lunes noires lui répondaient en silence. Surpassant la douleur, elle l’invitait à se fondre en elle. Mais il résistait. Un refus qui la blessa.
— Tu veux plus de moi ? murmura-t-elle. C’est à cause de… Je me sens tellement… sale ! Je dois te dégoûter !
Elle pleurait à nouveau, il la serra plus fort.
— Non, Marianne, ne dis pas ça ! C’est affreux de me dire ça ! Et… C’est faux.
— Tu… Daniel, tu as été le premier… Tu aurais dû être le seul. Je veux que… Je voudrais que tu… enlèves ce que ce porc a laissé en moi !
— Marianne… Tu es blessée, je ne veux pas te faire mal. Et puis il y a ces deux flics derrière la porte, n’importe qui peut rentrer… J’peux pas, Marianne. Mais je ne veux pas que tu dises ces horreurs. Tu n’es pas sale et… Jamais tu ne me dégoûteras… Jamais !
Rassurée, elle laissa son cœur contre le sien, jusqu’à l’extase. Secondes fugaces. Finalement, même avec ses mains sur sa peau, simplement comme ça, il parvenait à effacer l’outrage.
Elle se rhabilla ensuite façon civilisée. Ils partagèrent une cigarette devant les grilles de la fenêtre. S’enlacèrent à nouveau, incapables de trouver la force de se séparer.
Mais l’un des deux flics trouva le temps long. En entrant, il resta médusé de les surprendre dans les bras l’un de l’autre. Ils se séparèrent, frissonnèrent des pieds à la tête.
— Je dérange ? lança le géant.
Daniel ne répondit pas. Marianne lui murmura quelque chose à l’oreille. On lui prend son flingue et on se tire… Le chef devint blême. Il hésita tandis qu’elle s’avançait lentement vers le policier. Il songea à sa famille, à son boulot. Comment pouvait-il encore penser à eux alors que Marianne lui bouffait le cerveau depuis si longtemps ? Qu’il l’avait dans la peau jour et nuit. Réflexe de survie ? Vieille habitude ? Lâcheté ? Il l’arrêta au vol en saisissant son poignet.
Elle le considéra avec tristesse.
— Vous pouvez nous laisser ? pria Daniel.
— Vous n’avez pas fini, chef ? balança le flic d’un air narquois.