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— S’il vous plaît.

— On aura tout vu ! maugréa le colosse en quittant la pièce.

Marianne s’effondra sur le lit.

— C’était de la folie, Marianne ! Il aurait pu te tuer !

— Me tuer ? De toute façon, je vais mourir loin de toi…

Il sentit une déchirure atroce dans son cœur.

— On se reverra bientôt ! jura-t-il. Je te le promets, mon amour…

Elle se lova contre lui. Lui pardonna tout en bloc. Simplement parce qu’il avait dit mon amour.

— J’ai appelé la gradée de la centrale de P. Je lui ai parlé de toi. Je lui ai expliqué que tu n’avais pas un mauvais fond… Que… Que si elle se montrait correcte avec toi, tu le serais aussi. Je lui ai dit que la mort de Monique n’était qu’un accident.

— Merci.

Il omettait juste de lui avouer que la femme au bout du fil n’avait pas eu l’air convaincue. Qu’elle avait même semblé choquée par cette démarche.

— Il faut que je m’en aille, annonça-t-il soudain.

Elle crispa ses bras autour de lui, refusant l’évidence.

— Marianne, je t’en prie… C’est déjà si dur… On se reverra bientôt.

— M’abandonne pas, Daniel ! Je vais crever sans toi !

— Non, Marianne ! Non…

Il la repoussa doucement. Se força à ne pas pleurer. Tandis qu’elle sanglotait.

— Ne pleure pas, ma belle ! S’il te plaît, ne pleure pas…

Elle essuya ses larmes mais ses lèvres continuèrent de trembler. Il les goûta une dernière fois. Puis s’avança vers la sortie. Chaque pas lui enfonçait un poignard dans le ventre.

Il se retourna.

— À bientôt, Marianne.

— Oui… Je… Je penserai à toi, chaque seconde…

— Moi aussi.

Les flics entrèrent dès que la porte fut ouverte. Marianne se laissa enchaîner sans protester.

— Alors, c’était bien avec le maton ? plaisanta le géant.

Ils rigolèrent avant de regagner leurs postes. Enfin seule, Marianne respira le parfum laissé sur sa peau. Elle se souvenait du couple sur le quai de la gare.

Maintenant, je sais. Il y a quelqu’un qui m’aime comme ça. On s’aime aussi fort que ça. Oui, maintenant, elle savait. Était entrée dans cette dimension mystérieuse qu’elle avait entrevue aux abords du train.

Maintenant, elle pouvait mourir en laissant quelque chose de beau dans son sillage. Tu vas le revoir, Marianne. Tu dois survivre, rien que pour ça. Pour retrouver ses bras. Pour entendre à nouveau sa voix.

Alors pourquoi avait-elle l’impression terrible qu’elle ne le reverrait jamais ?

Pourquoi un homme pleurait-il au volant de sa voiture, sur le parking d’un hôpital ?

Jeudi 30 juin — chambre 119 — 14 h 00

La chaleur était insupportable, aujourd’hui. Marianne avait la sensation de mijoter dans une cocotte minute infernale. Dans le couloir, le nabot et le géant avaient disparu, remplacés par un bleu inexpérimenté, tout juste sorti de l’adolescence, et un brigadier quadragénaire qui roulait des mécaniques pour épater son jeune disciple. Marianne les appela, ils entrèrent tous les deux.

— Qu’est-ce que tu veux ? grogna le plus âgé.

— Vous pourriez ouvrir la fenêtre, s’il vous plaît ? J’étouffe !

— Je m’en branle !

Joli vocabulaire ! Marianne, assise sur le lit, l’écorcha du regard.

— Allez, sois pas vache ! dit l’autre. On peut lui ouvrir ! De toute façon, y a des barreaux et elle est menottée…

— Tu sais qui c’est, cette fille ? Tu sais pourquoi elle est en taule ? Elle a massacré un vieillard, a descendu un flic à bout portant. Et blessé une gardienne de la paix, aussi jeune que toi ! Enceinte en plus ! Maintenant, elle est sur un fauteuil roulant… Et puis, elle a aussi tué une matonne, blessé grièvement une autre…

— Vous êtes sûr que vous n’oubliez rien, monsieur le policier ? rétorqua Marianne.

— Toi, ta gueule ! T’as qu’à crever de chaud, ça m’est égal !

Marianne abandonna et fixa le mur. Ils regagnèrent leur poste, elle agita son tee-shirt à la manière d’un éventail. Elle avala un gobelet d’eau tiédasse avant de replonger dans sa contemplation des bâtiments gris d’en face. Toujours aussi moches, malgré le soleil qui les écrasait de sa toute puissance.

Les heures passaient, sans relief. Avec juste des pics de douleur. Son poignet qui lançait des SOS, la fièvre qui entortillait son cerveau dans une couverture chauffante. La couture qui tiraillait la peau de sa cuisse. Son doigt, sa mâchoire, son crâne. Chaque muscle souffrait, chaque partie de son corps témoignait encore de la torture. Et, au milieu de ces plaintes silencieuses, Marianne rêvait.

Daniel, près d’elle, lui souriait. Elle imaginait ses mains sur sa peau moite. Se plongeait dans le bleu rafraîchissant de ses yeux, comme dans une de ces mers lointaines et limpides. On se reverra bientôt, Marianne… Elle buvait sa voix grave et chaude. Respirait à s’enflammer les poumons le parfum discret qu’il avait laissé sur l’oreiller. Personne, jamais, ne pourra m’enlever ça. Pas même lui.

Et s’il m’abandonnait ? S’il n’a pas le courage d’affronter le mépris de ses collègues ? Un maton qui rend visite à une détenue telle que moi…

La peur tétanisa son corps. Non, jamais il ne me laissera. Il me l’a dit. Il m’aime ! Bon sang, Marianne ! Garde confiance en lui !

Soudain, le grincement de la porte la détourna de ses craintes. Cœur en zone rouge. Daniel ? Mais il ne s’agissait que des deux flics.

Qu’est-ce qu’ils me veulent encore, ces abrutis ?

— Alors, Marianne, tu marines dans ton jus ? ricana le brigadier.

— Fous-moi la paix, espèce de con !

Il attrapa son poignet menotté, le vrilla dans sa main. Elle poussa un aïe retentissant.

— Tu me parles autrement, OK ?

— C’est bon !

Il lâcha prise, partit de l’autre côté, là où la barrière était baissée. Elle préféra s’asseoir.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Rien ! prétendit-il d’un air énigmatique. On te surveille, c’est tout… On est là pour ça, non ?

Elle jeta un œil à l’autre policier, adossé au mur, en face du lit. Malgré les apparences qu’il se donnait, elle le devina mal à l’aise. Mauvais plan. Ça embaumait le fumet des ennuis à plein nez…

— Paraît que tu t’es fait sauter par un maton, hier ? reprit le brigadier avec un sourire visqueux. Mon collègue vous a surpris hier tous les deux, en train de vous bécoter !

— N’importe quoi ! balbutia-t-elle en devenant encore plus blême.

— Tu insinues que mon collègue a menti ?

— Ouais ! Pas ma faute s’il a des hallucinations.

— Remarque, ça me dérange pas ! C’est normal que tu l’aies fait craquer… Parce que même salement amochée, t’es quand même mignonne, Marianne… Tu veux pas ouvrir la fenêtre, Pierre ? On étouffe, ici.

Le dénommé Pierre s’exécuta. Un filet d’air tiède traversa la pièce mais Marianne n’en fut pas soulagée. La présence de ce flic irritait ses nerfs. Il se servit dans le paquet de Camel posé sur le chevet.

— Eh ! C’est mes clopes ! rugit Marianne.

Il souriait toujours, la narguait. Ne semblant même pas avoir peur d’elle. Pourtant, elle avait une main libre.

— Elles sont très bonnes, tes clopes… Un peu comme toi… T’en veux une ?

La haine germa doucement dans les tripes de Marianne.