— Vous n’avez pas le droit d’être ici. Pas le droit de me piquer mes affaires.
— Tu vas porter plainte, peut-être ? Qui écoutera une folle comme toi ? Hein ? Mais il y a peut-être moyen de s’arranger, Gréville…
Elle serra les mâchoires. Elle avait vu juste. Pas besoin d’un médium pour deviner que deux flics pourris, qui s’emmerdaient comme des rats morts dans un couloir d’hôpital, avaient envie de s’amuser un peu avec une détenue à laquelle personne ne prêtait attention. Dont le sort n’intéressait pas la société civilisée. Il passa une main sous son tee-shirt. Elle se contracta.
— Je vous le conseille pas ! avertit-elle simplement.
— Pourquoi ? Tu vas m’attaquer ? Me tuer, peut-être ?!
— Enlevez votre main… Avant qu’il ne soit trop tard.
Il se marrait tandis que son coéquipier paraissait beaucoup moins à l’aise.
— Allez, Marianne ! Tu t’ennuies pas, toute seule sur ce lit ? Si t’es sympa avec nous, je te rends tes cigarettes…
— Espèce d’enfoiré ! Tu veux que je couche avec toi en échange de ce qui m’appartient déjà ? Pour qui tu me prends !
— T’emballe pas ! Une petite gâterie fera très bien l’affaire ! Et puis j’peux te donner autre chose que les clopes… Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
Elle braqua ses yeux dans les siens. Fadasses, malgré le désir.
— Ton flingue me ferait très plaisir !
— Ça, je peux pas te le donner, chérie !
— Alors tu peux aller te branler dans les chiottes, monsieur le policier !
Le jeune rigola à son tour, le brigadier contre-attaqua. Mais il avait enlevé sa main, c’était déjà ça.
— Paraît que tu t’es fait violer en taule par les gardiens… C’est le toubib qui me l’a dit ! Paraît que ça te rend agressive ! Mais moi, je crois que t’étais déjà agressive avant. Je crois aussi qu’ils ont eu raison…
La voix sournoise du flic s’insinuait en elle comme une fumée nocive.
— C’était comment ? Ils étaient combien ?
Elle lorgna du côté de son arme de service, solidement ancrée à sa ceinture. D’un geste, elle pourrait… Mais il y avait l’autre juste en face. En deuxième ligne. Elle n’aurait pas le temps de saisir le flingue, qu’il aurait déjà tiré. Et après ? Après, tu ne reverras jamais Daniel. Elle se mura dans le silence. Il lui filait la nausée, la forçait à revivre l’instant figé dans l’horreur.
— C’était douloureux ? Peut-être que ça t’a plu ! Allez, raconte ! Qu’est-ce qu’y t’ont obligée à faire ?
— Foutez-moi la paix ou je hurle !
Il attacha son poignet gauche au lit. Elle cria, il plaqua une main sur sa bouche.
— Du calme ! Qu’est-ce que t’es nerveuse ! On te veut pas de mal, on veut juste discuter avec toi… Si t’arrêtes de gueuler, j’enlève ma main, OK ? Mais si tu cries, je te colle une raclée ! Toute façon, tout le monde s’en fout d’une taularde comme toi !
Elle acquiesça d’un signe du menton, il ôta sa main.
— On s’ennuie, tu comprends ? On est bloqués ici à surveiller une ordure qui devrait moisir en taule… Faudrait rétablir la peine de mort pour les nuisibles comme toi… Je pourrais t’étouffer avec ton oreiller… Comme ça tu coûterais plus rien à la société.
Sueurs froides dans son dos. La pire des engeances. Le flic facho et revanchard.
— Mais qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?!
— Tu pourrais nous divertir, mon copain et moi ! Tu l’as bien fait avec le maton, hier. Alors pourquoi pas avec nous, hein ? Allez, rends-toi utile, au moins…
Il caressa son bras puis s’adressa à son collègue.
— Surveille la porte. Si quelqu’un approche, tu frappes. Quand j’aurai fini, ce sera ton tour…
Le gardien sortit dans le couloir, Marianne resta seule avec le brigadier. Il fit glisser la fermeture éclair de son pantalon.
— Allez, Marianne, sois gentille… Fais-toi pardonner.
Elle se demanda soudain pourquoi la vie ne lui laissait jamais de répit. Pas même dans une chambre d’hôpital. Pourquoi déclenchait-elle tant de haine, tant de brutalité ? Tant de mépris… Fais-toi pardonner… Tu payes, Marianne. Tu payes. Parce que tu as fait trop d’orphelins.
Il l’attrapa par les cheveux, voulut la forcer à approcher son visage de son érection. Elle faillit lui vomir dessus puis poussa un cri, signal que la machine de guerre se mettait en marche. Appuyée sur un coude, s’aidant de la barrière, elle se souleva, des pieds jusqu’à la moitié du dos et, sans qu’il ait le temps de comprendre comment, elle saisit son cou entre ses jambes, le bascula en avant sur le lit. Il chuta, entraîné par une force incroyable. Ses genoux touchèrent le sol violemment. Marianne, tenant sa nuque entre ses jambes, commença à l’étrangler. Il tenta d’ouvrir le piège, mais ses bras ne pouvaient lutter contre l’étreinte mortelle.
— Tu rigoles moins, pas vrai connard ?
La tête dans un étau puissant, il se tortillait sur le matelas. Il approcha sa main droite de son arme, Marianne augmenta la pression.
— Bouge et je te brise la nuque !
Il s’immobilisa instantanément. Marianne réfléchissait. Les mains attachées, elle ne pouvait pas grand-chose. À part le tuer. Parce que si elle le libérait… À force de serrer, il finirait peut-être par s’évanouir… Pas sûr. Mais le hasard vint à son secours.
Le gardien frappa deux coups contre la porte. Quelques secondes après, un toubib fit son apparition, accompagné de Sabots roses. Les deux blouses blanches restèrent un instant ébahies devant ce tableau cocasse. Puis le médecin réagit enfin.
— Lâchez ce policier immédiatement !
— Il a voulu m’agresser !
Le deuxième flic, alerté par les cris, entra à son tour. En voyant son chef dans cette fâcheuse position, il ne trouva rien d’autre à faire que de dégainer son flingue. Vraiment inexpérimenté, le jeunot !
Sabots roses poussa un cri d’épouvante.
— Tout le monde reste calme ! implora le médecin. Rangez votre arme !
— Je vais le lâcher, murmura Marianne. Mais je ne veux plus qu’il m’approche…
Elle desserra enfin le collet d’étranglement, le flic glissa contre le lit. Portant immédiatement les deux mains à sa gorge, il respira avec un bruit effrayant. Il avait changé de couleur, avait viré cramoisi.
— Il a voulu me violer ! se justifia Marianne.
Le gardien de la paix rengaina son revolver puis aida son supérieur à se relever.
— Vous n’allez pas croire cette folle ! protesta le brigadier. J’ai rien essayé du tout !
Le docteur esquissa un drôle de sourire.
— Alors expliquez-moi donc pourquoi votre braguette est ouverte… Et que votre…
Le visage du flic prit la couleur des murs. Passant du rouge au blanc sans transition. Sabots roses n’en perdit pas une miette tandis qu’il remontait la fermeture éclair de son pantalon.
— C’est pas ce que vous croyez, docteur…
— Ça suffit ! hurla le médecin. Je vais appeler votre hiérarchie tout de suite et je vous garantis que vous allez avoir de sérieux problèmes !
— Ça va ! C’est elle qui m’a allumé ! Et ensuite, elle est devenue dingue !
— C’est faux ! s’indigna Marianne. J’ai allumé personne ! Il ment !
— Détachez-la. Tout de suite.
Le jeune policier ouvrit les deux paires de menottes.
— Toi, tu perds rien pour attendre ! balança le brigadier à Marianne.
— Dehors ! somma le praticien.
Les deux flics s’éclipsèrent, Marianne sourit à son sauveur. Un joli blondinet avec des lunettes.