— Merci, docteur.
— Ça va, mademoiselle ? demanda-t-il en s’asseyant sur le lit. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Ce type… Il a voulu me forcer à… À lui faire une fellation.
— Oh la la ! gémit Sabots roses. Oh la la !
— Je crois que nous sommes arrivés à temps. Et… Comment vous avez fait ce truc ? Ce truc avec les jambes !
— Ah ! Eh bien, c’est archi-simple… Vous connaissez la chandelle ? Quand on monte les jambes au-dessus de soi, en s’appuyant sur les coudes ? Ben là, c’est pareil, sauf qu’arrivée en haut, je lui ai chopé la tête et je l’ai plaqué sur le lit… Ensuite, je lui ai coincé la nuque et comme ça, il pouvait plus bouger.
— Vous êtes gymnaste ?
— Non. J’ai… J’ai fait des arts martiaux… Du karaté et un peu de judo, aussi.
— Vraiment ? Ce flic ne devait pas être au courant ! fit-il en riant. Il ne vous a pas blessée ?
— Non. Il a pas eu le temps !
— Bon… Je suis le docteur Philippe Beauregard. L’assistant du docteur Estier.
— Moi c’est Marianne de Gréville…
— Je sais ! Vous êtes célèbre ici ! Paraît qu’il faut passer une armure avant de vous ausculter !
Il était sympa, Marianne rigola aussi.
— Je m’occuperai du flic, tout à l’heure. Pour l’instant, j’aimerais que vous passiez une radio.
— Une radio ? Mais j’en ai déjà eu plusieurs en arrivant…
— Ne vous inquiétez pas, c’est juste un examen de routine. Radio de la colonne. Vous avez des douleurs aux cervicales et je voudrais vérifier que vous n’avez pas une vertèbre déplacée… C’est une radio un peu particulière, vertèbre par vertèbre. Un brancardier va venir vous chercher, d’accord ? J’aimerais aussi vous ausculter…
Il était nerveux. Marianne lui adressa un sourire un peu coupable.
— Détendez-vous, docteur… Je ne vais pas vous tuer.
— Tant mieux ! soupira-t-il en passant une main sur son front.
Vertèbres bien en place. Solidité à toute épreuve. Incassable, Marianne. Entorse cervicale, tout de même. Beauregard allait être rassuré même si on lui avait collé une minerve qui l’enlaidissait encore un peu plus.
Elle contemplait le plafond qui défilait au-dessus de sa tête. Le brancardier sifflotait, ça lui tapait sur les nerfs. Le bras droit menotté au lit, elle se laissait balader dans les couloirs sans fin de l’hôpital.
Elle avait quitté la chambre une heure auparavant. Les deux flics en avaient profité pour prendre leur pause devant la machine à café du hall. Une fois dans la 119, l’infirmier partit à leur recherche. Il lui fallut près de dix minutes pour revenir.
— Il faut la détacher du brancard !
Le jeune policier desserra le bracelet, évitant soigneusement le regard de Marianne.
— Je peux aller aux toilettes ?
— Je vous laisse cinq minutes, accorda-t-il.
Elle en profita pour se rafraîchir au lavabo. Se toisa, droite comme un piquet dans son collier high-tech. Puis elle fut à nouveau entravée à son lit. Du côté droit, seulement. Et, enfin, Marianne goûta à la solitude. Elle s’allongea, se tourna vers la fenêtre.
Mais quelque chose l’incommodait. Quelque chose de dur sous l’oreiller. Elle le souleva et resta bouche bée. Une enveloppe blanche. Et un pistolet.
✩
Marianne déchira l’enveloppe avec les dents. Quelques lignes en traitement de texte.
« L’arme n’est pas chargée mais fera illusion. Vous maîtrisez les policiers en faction devant la porte et vous descendez sur le parking où une voiture vous attend. Une Renault bleu foncé qui vous fera un appel de phares. Agissez vite. Emportez ce message avec vous. »
Marianne relut plusieurs fois. Sourire tremblant sur ses lèvres.
Elle fourra le papier dans la poche de son jean, empoigna le calibre 45 dans la main gauche. Se faufila sous les draps et se mit à élaborer son plan. Elle frissonnait de partout, fébrile. Putain, je rêve ! C’est pas vrai… Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Concentre-toi, Marianne. Il faut attirer les flics dans la chambre. Comment ?
Une lumière clignota dans son cerveau. Elle s’éclaircit la voix. Calma ses spasmes nerveux. Cette fois, ne laisse pas passer ta chance, Marianne ! Parce que c’est la dernière. L’ultime.
— Brigadier ! hurla-t-elle. S’il vous plaît ! Venez !
Ce fut le jeune gardien de la paix qui s’aventura dans son antre. Elle se remémora son prénom. Pierre. Saint-Pierre et les portes du Paradis qui étaient sur le point de s’ouvrir… Peut-être pour tous les deux, d’ailleurs.
— Excusez-moi, dit-elle en gémissant de douleur. Je… Je voudrais que vous redressiez un peu mon lit… J’ai tellement mal à la nuque, c’est insupportable…
— T’as qu’à attendre l’infirmière.
— Je vous en prie !
Elle avait deviné un brin d’humanité chez ce type. Pourtant, il hésitait encore.
— Pierre, je vous en prie ! Je ne vous ferai rien ! Je ne peux même plus bouger… Je suis contente que ce soit vous qui soyez venu. J’ai tellement peur de votre collègue…
Il marmonna quelques mots. S’approcha du lit, se baissa pour chercher la manette. Sentit soudain un truc métallique appuyer sur sa tempe.
— Reste calme. J’ai un calibre braqué sur ta tête. Alors tu vas me détacher le poignet…
Il ne bougea pas. Transformé en sculpture de plâtre.
— Pas de connerie, Pierre… Tu es bien trop jeune pour mourir ! Et moi, je n’ai plus rien à perdre. Alors tu me détaches et je te laisse la vie… OK ?
Il se redressa lentement, elle continua à pointer le canon en direction de son visage contracté. Il récupéra les clefs dans ses mains tremblantes, ouvrit le bracelet.
— Maintenant, tu poses ton arme sur le lit et tu recules jusqu’au mur…
Il s’exécuta. Elle s’empara du revolver chargé, força Pierre à s’agenouiller et lui menotta les poignets aux barreaux du lit. Alors, le brigadier fit irruption, inquiet de ne pas voir revenir son jeune collègue. Tombant nez à nez avec le revolver de son adjoint, il leva instinctivement les mains devant lui.
— Pose ton flingue et tes pinces par terre ! ordonna Marianne.
Il se montra tout aussi docile que son coéquipier. Se retrouva dans la même position que lui. Marianne enfila ses baskets puis enfourna du papier toilette dans la bouche des flics. Dans son sac de sport, elle cacha l’arme du policier sous ses affaires, entortillée dans un de ses pulls, laissa le calibre 45 bien en vue dessus. Elle garda un revolver chargé à la ceinture, enfila une chemise sur son tee-shirt pour dissimuler sa prise de guerre. Enfin, elle murmura à l’oreille du brigadier :
— Ça, c’est pour tout à l’heure !
Il reçut un violent coup sur la nuque et s’affaissa comme un pantin chiffonné. Pierre ferma les yeux, s’attendant à recevoir le même châtiment. Mais Marianne se contenta de l’embrasser sur la joue.
— Merci Pierre ! chuchota-t-elle. T’as été parfait !
Elle quitta aussitôt la chambre, son sac à la main. Elle évita l’ascenseur, emprunta l’escalier. Ses jambes flageolaient.
Tu marches vers la liberté, Marianne ! La liberté. Cette fois, c’est à ta portée. Tu as deux flingues chargés, tu peux te tirer tranquille. Les flics du parking vont t’attendre longtemps !
Arrivée au rez-de-chaussée, elle s’efforça de paraître naturelle. Mais, alors qu’elle cherchait des yeux une porte dérobée, elle tomba sur le docteur Beauregard qui rentrait chez lui, un casque de moto à la main. Vrai qu’il avait un joli regard derrière ses binocles !