— Excusez-moi, mais quand je suis arrivée à l’hosto, j’étais dans le coltar ! J’ai pas pu étudier la configuration des lieux…
— Te fous pas de ma gueule !
Ça y est, il perd son flegme ! Envie de le faire sortir de ses gonds, de voir enfin ses crocs.
— Moi ? Mais non, je vous assure, commissaire ! Fallait fournir un plan avec le calibre !
— Arrête ton numéro ! On ne t’a pas aidée à t’évader pour que tu te répandes dans les rues…
— Que je me répande ? On dirait que vous parlez d’une substance toxique ! C’est vrai que je suis une plante vénéneuse ! répondit-elle avec un sourire effronté.
Elle prit son paquet de cigarettes dans la poche de sa chemise.
— Les policiers ? demanda Franck. Ceux qui étaient en faction devant ta porte…
Marianne le fixa au travers de la flamme de son briquet qui dansait sur ses iris. Le noir et le feu conféraient un air satanique à son regard. Elle admirait en secret sa façon de se contenir.
Mais elle saurait l’obliger à se dévoiler.
— Morts, précisa-t-elle avec détachement.
Les trois flics se figèrent dans une posture d’effroi.
— Je plaisante ! Ils font seulement leurs prières du soir, comme de bons chrétiens…. À genoux, menottés au lit avec leurs propres pinces. La police, c’est vraiment une bande d’incapables !
Le commissaire se contenait de plus en plus difficilement. Laurent jouait avec son Zippo, le faisant tournoyer sur la table en bois laqué. Quant à la Fouine, il semblait hypnotisé par le visage de Marianne. Pourtant si meurtri qu’il en devenait difficile à affronter.
Franck contempla un tableau que Marianne jugeait aussi sinistre que les rideaux.
— Il faut que les choses soient bien claires entre nous. Je t’ai libérée dans un but bien précis. Parce que tu as une mission à accomplir.
— Je crois que vous faites erreur, monsieur le commissaire… Je vous signale que j’ai jamais accepté la mission en question !
Il la crucifia à distance. Deux yeux magnétiques, où se mélangeaient le vert et l’ocre. Un peu comme un essai audacieux sur la palette d’un peintre. Il semblait sur le point d’exploser.
— C’est vrai ! renchérit Marianne. Pouvez-vous me dire quand j’ai accepté ce contrat ? Vous pouvez me rappeler la date ? Parce que moi, je n’en garde aucun souvenir…
— Arrête de jouer avec moi ! J’ai pas pu te voir au parloir puisque tu étais à l’hosto !
— Justement !
— Tu avais l’intention de refuser ?
— Évidemment ! Qu’est-ce que vous croyez !
Il passa une main dans ses cheveux, sans même se décoiffer. Il s’approcha, la dévisagea bizarrement.
— C’est dommage, murmura-t-il.
— Ben c’est comme ça ! Faudra trouver quelqu’un d’autre pour votre sale boulot…
Il dégaina son arme du holster, posa le canon au milieu du front de Marianne.
— Dans ce cas, tu ne nous sers plus à rien… Faut qu’on se débarrasse de toi au plus vite.
Il appuya sur le revolver, la tête de Marianne bascula en arrière. Sa nuque se tétanisa. Elle s’accrocha des deux mains à la chaise.
— Soit tu acceptes de bosser pour moi, soit je te descends. Maintenant.
— Tu le feras pas… Tu ne me tueras pas de sang froid…
Une absolue détermination jaillissait des prunelles du flic. Un frisson remonta doucement le long de ses jambes jusqu’à s’éterniser dans ses reins.
— Ça va ! murmura-t-elle. C’est bon… Je vais le faire, ton boulot de merde !
Il enleva la sécurité de l’arme, fit descendre le canon au milieu de ses yeux, juste en haut du nez.
— Tu acceptes donc le contrat ? J’ai bien entendu, cette fois ?
— Ouais ! confirma-t-elle en louchant sur la gueule béante du 357.
Il rangea son arme. Elle pencha la tête en avant en grimaçant de douleur.
— J’ai aucune confiance en toi, Marianne. Mais si tu te tiens tranquille, si tu obéis à mes ordres et si tu mènes à bien la mission, je tiendrai parole ; tu auras le fric et les faux papiers pour te tirer loin d’ici. Par contre, si jamais t’essayes de nous baiser, je te tuerai de mes propres mains.
Sa voix était aussi glacée que le dos de Marianne.
— On vient de te sortir de taule, Gréville. Il y a un prix à payer pour ça…
— Je ne vous avais rien demandé ! C’est vous qui êtes venus me chercher…
— Tu préfères retourner là-bas, peut-être ? Tu veux que les matons recommencent à te torturer ? Vu ta gueule, on dirait qu’ils ne t’ont pas vraiment à la bonne… Sans doute parce que tu as buté une gardienne. Apparemment, ils t’en ont fait baver, je me trompe ?
Il était si près qu’elle sentait son parfum un peu entêtant. Elle massait son cou, soutenait son regard.
— C’est pas la première fois… J’ai pas peur des matons !
— T’as raison de ne plus en avoir peur. Parce que si tu refuses de travailler pour moi, tu vas mourir. On te retrouvera dans un fossé, en état de décomposition avancée. Ils auront un mal fou à t’identifier… Parce que si tu refuses, je serai très énervé. Et quand je suis énervé, j’ai tendance à devenir méchant…
— Parce qu’il t’arrive d’être sympa, peut-être ?
— Ça m’arrive, oui…
Il se dirigea vers le bar, en sortit une bouteille de scotch et quatre verres.
— Alors ? Tu es sûre de ta décision ? vérifia-t-il en débouchant le whisky.
— J’ai le choix ?!
— Pas vraiment.
— Je dois tuer qui ?
— Tu le sauras le moment venu.
Il remplit à moitié les verres, en plaça un devant elle. Mais elle n’y toucha pas. Si longtemps qu’elle n’avait pas bu d’alcool… En avalant ça, elle risquait le coma foudroyant.
Elle essuya son front pendant qu’ils attaquaient leur apéro.
— Tu vas pouvoir te refaire une santé. Tu as quelques jours devant toi.
— Génial… Trop sympa !
— Il te faut quelque chose ? Des médicaments ?
— De la codéine… Pour les douleurs. Et une cartouche de clopes… Camel fortes.
— Tu peux trouver une pharmacie de garde ? demanda-t-il à la Fouine. Et un tabac, aussi… Au fait, je te présente Didier. Tu te rappelles de Laurent, je présume ?
— Ouais… Et le p’tit jeune ? Philippe, je crois…
— Tu as une mémoire étonnante, Marianne !
— Entre autres. J’ai plein de choses étonnantes…
— Philippe sera là demain.
Elle essaya de masquer l’angoisse qui lui étreignait les tripes. Ne jamais montrer, ne jamais avouer.
— Quatre flics pour moi toute seule ? Vous flippez, les mecs !
Franck se contenta de sourire. Mais son sourire sonnait faux. Tout sonnait faux, ici.
— Où est l’arme ? questionna-t-il soudain.
— Tu l’as récupérée tout à l’heure, rappela Marianne en se frictionnant la nuque.
— Je parle du Glock, celui qui était planqué sous ton oreiller.
— Je… Dans le sac, juste sur mes affaires…
Il empoigna le sac, le posa au milieu de la table. Il trouva le calibre 45 et le lança à Didier.
— Et l’autre ? Celle du flic.
— Tu me l’as prise devant l’hosto !
— Il y avait deux hommes devant ta porte, Marianne.
— Ouais, mais j’ai piqué qu’un flingue… L’autre est resté dans la chambre. Qu’est-ce que j’aurais fait avec les deux ?