— Évidemment…
Franck commença à vider le sac. Marianne se raidit sur sa chaise. Un jean usé, des tee-shirts. Petites culottes, soutien-gorge. Réveil. Minerve. Puis son sourire s’élargit. Il venait de découvrir le revolver du brigadier, tout au fond, dans le pull. Il dévisagea Marianne. Elle soupira. Il s’approcha, l’arme à la main.
— Je croyais pourtant avoir été clair…
— C’est bon, garde tes leçons de morale, ducon !
Un coup de crosse l’éjecta de la chaise. Franck s’accroupit à côté d’elle.
— Jamais de mensonge entre nous, Marianne. D’accord ?
— Tu m’as pété la mâchoire, connard !
— J’attends ta réponse. Mais si tu en veux encore…
— C’est bon, j’ai compris ! grogna-t-elle en s’affaissant sur le dos, les mains jointes sur la figure.
Il se releva et s’adressa à la Fouine.
— Tu devrais aller à la pharmacie… Je crois que notre invitée en a vraiment besoin, maintenant.
Didier termina son verre et disparut aussitôt. Franck remit Marianne sur la chaise avec la délicatesse d’un docker. Laurent souriait, apparemment ravi qu’elle se fasse rabattre le caquet par le chef de la bande d’incapables. Le commissaire tendit à Marianne un mouchoir en papier. Sa lèvre du haut s’était rouverte sous le choc. Son nez saignait aussi.
— Tu vois, vaut mieux pas énerver le patron ! ricana Laurent. Il t’avait prévenue, non ?
Elle pressa le mouchoir sous ses narines.
— Fous-moi la paix, sale con !
— Elle a du vocabulaire, cette petite !
Franck retourna s’asseoir en face d’elle, se servit un nouveau scotch.
— J’espère que c’est la dernière fois que je suis obligé de faire ça, ajouta-t-il.
Marianne bascula la tête en arrière pour tenter de juguler l’hémorragie. Mais son entorse cervicale la rappela à l’ordre.
— T’étais pas obligé de faire ça ! rugit-elle d’une voix déformée par le Kleenex. Tu l’as fait pour calmer tes nerfs ! Et je suis pas un punching-ball, putain !
— Non. Mais j’ai malheureusement l’impression que tu ne comprends pas d’autre langage… et je crois surtout que tu avais l’intention de nous braquer avec ce flingue !
— Pas besoin de flingue pour vous tuer.
Ils échangèrent un regard amusé, histoire de lui montrer qu’ils n’avaient pas peur du phénomène.
— Il vaudrait mieux que tu changes de stratégie… Pourquoi tu t’acharnes à vouloir tout gâcher ? On a quelques jours à passer ensemble et… Il vaudrait mieux pour tout le monde que la cohabitation soit agréable… Tu ne crois pas ?
— Parce que vous pensez que j’ai envie de passer mes premiers jours dehors en compagnie d’une bande de flics ripoux ?
— Tu n’es pas encore libre. Pour l’instant, tu es sous notre contrôle… Je peux aussi bien te libérer que te tuer.
— Qui me dit que vous ne me tuerez pas quand j’aurai terminé la mission ?
— Je n’ai qu’une parole, Marianne. Et je suis désolé que ça commence aussi mal… J’ai un peu perdu mon sang-froid, je le regrette.
Il semblait sincère. Il fallait bien qu’elle s’accroche à quelque chose dans ce merdier. Il prit un autre mouchoir dans le paquet. Essuya lui-même le sang qui coulait sans discontinuer. Il se montra délicat. À force de comprimer, l’hémorragie cessa.
— Il y a une salle de bains dans ce taudis ? maugréa Marianne.
— Je vais te montrer ta chambre… C’est bien aménagé, tu verras… Tu peux te lever ?
Elle se remit debout.
— C’est par où ?
— Attends… Tu n’as plus rien sur toi ? J’aimerais que tu vires ta chemise.
Elle s’exécuta, fit une mimique douloureuse en bougeant ses épaules.
— Lève les bras…
— Je suis plus en taule, merde ! J’ai rien du tout ! Tu crois que j’ai embarqué la fourchette en plastoc de l’hosto ? T’as peur que je te plante avec pendant ton sommeil ?
— Marianne… Tourne-toi et mets les mains contre le mur. Ce sera rapide.
Elle soupira mais obéit. Il procéda à la fouille, elle eut quelques tressaillements douloureux.
— Désolé, s’excusa le commissaire.
Qu’est-ce qui lui prend ? Il me la joue gentil depuis tout à l’heure… Dans les poches de son jean, il récupéra l’enveloppe.
— C’est bon, suis-moi…
Il prit le sac, passa dans l’entrée. Il commença à gravir un escalier gigantesque. Marianne le suivait, Laurent sur ses talons. Preuve qu’ils avaient conscience du danger. Il ne serait pas aisé d’échapper à leur vigilance. Mais elle avait quelques jours devant elle. D’abord, récupérer l’intégralité de ses forces…
Un long couloir avec du parquet. Pourtant, elle eut la sensation de marcher sur du coton. Franck s’arrêta devant la dernière porte.
— C’est là… On t’a réservé cette chambre parce que c’est la mieux. La plus grande…
Elle entra derrière lui. Laurent resta sur le seuil. En embuscade, au cas où.
Oui, c’était spacieux. Un grand lit, de jolis draps. Une commode avec une télévision dessus. Une armoire à glace, un bureau, quelques bouquins. Franck poussa une autre porte.
— La salle de bains ! annonça-t-il façon majordome.
Elle avait l’impression de visiter une baraque au-dessus de ses moyens avec les gars de l’agence immobilière. Sauf que les négociateurs étaient armés jusqu’aux dents, prêts à la descendre si elle refusait la transaction…
Les yeux de Marianne étincelèrent.
— Une baignoire !
— Oui ! Si jamais on a oublié quelque chose, n’hésite pas à demander.
Marianne retourna dans la chambre. Elle ouvrit la fenêtre et tomba sur une grille fraîchement posée, le ciment tout juste sec. Au travers des barreaux, une lune pleine irradiait sa toute puissance.
— C’est plus confortable qu’en prison, non ? jugea le commissaire.
— Le confort, c’est pas important… L’important, c’est les barreaux aux fenêtres.
— T’as qu’à tirer les rideaux, tu les verras plus ! préconisa Laurent.
— Je les verrai toujours, murmura-t-elle.
— Tu seras bientôt libre, Marianne, rappela Franck. Mais pour le moment, j’ai pas spécialement envie que tu nous fausses compagnie.
Elle s’écroula sur le lit. Son visage reflétait un curieux mélange d’épuisement et de tristesse. Les deux flics étaient encore là. Qu’est-ce qu’ils veulent ?
Elle eut soudain une crispation au niveau du ventre. Une sorte de peur. Portier, penché au-dessus d’elle. Le flic de l’hosto, qui descendait la fermeture éclair de son pantalon. Premiers signes d’un traumatisme qui la suivrait toute sa vie.
Elle se leva d’un bond, recula sans les quitter des yeux.
— Ça ne va pas ? s’inquiéta le commissaire qui fit un pas en avant.
Elle, deux en arrière. Il s’immobilisa.
— Qu’est-ce qui se passe, Marianne ?
— Tu m’approches pas… OK ? Tu restes à distance !
— D’accord… Ne t’énerve pas.
— Pourquoi vous partez pas ?
— J’attendais… J’attendais juste que tu vérifies qu’il ne te manquait rien. Au cas où… Tu n’as rien à craindre de nous, assura-t-il. En tout cas, pas ça…
Elle feignit ne pas comprendre l’allusion. Fixa la télé éteinte.
— Je sais ce qui t’est arrivé en prison…
Une bouffée de chaleur grimpa jusqu’à son visage. À croire que c’était paru au Journal Officiel !
— Je vois pas de quoi tu parles.