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— Ça ne t’arrivera pas ici.

Ils quittèrent la pièce, fermèrent à clef.

J’ai été ridicule. Ils doivent bien se foutre de ma gueule, ces ordures ! Elle se laissa tomber à nouveau sur le lit. Si confortable qu’elle eut l’impression de s’y noyer.

Après une cigarette, elle se déshabilla, s’observa dans le miroir de l’armoire. Elle s’y voyait de la tête aux pieds. Pour la première fois depuis qu’elle avait dix-sept ans. Au bout d’une minute, elle se mit à pleurer.

Tu as vieilli si vite, Marianne ! Tu es tellement abîmée… Mais vivante et bientôt libre. Reprends-toi !

Elle s’exila dans la salle de bains. Vrai qu’ils avaient tout prévu. Serviettes, brosse à dents, dentifrice. Produits en tout genre qui fleuraient bon le parfum de synthèse, le propre, le luxe, la féminité. Oui, c’était une femme qui avait préparé tout ça ! Impossible que ce soit un homme… Elle fit couler l’eau chaude dans la baignoire avec une bonne dose de bain moussant, respira à plein nez la fragrance délicate. Un bain… Depuis quatre ans qu’elle en rêvait ! Elle vérifia la température de l’eau et s’y plongea avec un délicieux frisson. Plaisir sensoriel tellement merveilleux qu’il lui arracha de nouvelles larmes. Elle se savonna généreusement, oubliant les vieilles habitudes. Ne pas gaspiller le gel douche qui doit durer le mois. Dix minutes, pas une de plus.

— Le pied ! s’exclama-t-elle en riant comme une gamine.

Ça apaisa un peu ses douleurs multiples et récurrentes. La délassa de la tête aux pieds. Elle alluma la petite radio trouvée sur le bureau. En zappant, elle tomba sur Jay Kay. Son dernier tube, sans doute. Il n’avait pas changé. Elle monta le son. Revit le visage de Thomas.

Elle se fit ensuite un shampooing qui titilla ses narines. Se laissa porter par l’eau chaude. Elle n’avait plus la force ou l’envie de quitter cette enveloppe liquide si réconfortante. Prête à passer la moitié de la nuit dans ce bain de jouvence, l’autre moitié dans le grand lit. Si grand, pour elle toute seule. Elle changea de fréquence. Elle ne connaissait aucune chanson, de toute façon. Elle avait apporté ses Camel, elle s’en offrit une. Fumer dans un bain moussant. Le rêve ! Elle évitait de songer à la suite, de se rappeler pourquoi elle était ici. Le prix à payer pour ce bain. Pour cette spectaculaire évasion. La radio passa un tube des années 90, Marianne essaya de se souvenir des paroles. Chantonna. Profite, ne pense pas à demain. Tu trouveras la solution… Elle chantait toujours, avait monté le volume à fond.

Jusqu’à ce qu’elle pousse un hurlement strident. Le commissaire se tenait à deux mètres. L’air éberlué face à cette étonnante cantatrice.

— Putain ! Vous voulez que je fasse une attaque ? Mais qu’est-ce que vous foutez là ?

— Excuse-moi… Je m’inquiétais… Ça fait cinq minutes que je frappe à la porte… J’ai cru que tu avais un malaise.

— J’ai pas le droit de prendre un bain ?

— Si. Mais ça fait plus de deux heures et…

Le temps est farceur, parfois ! Deux heures en cellule, c’était interminable. Deux heures dans un bain, ça passait si vite. Surtout quand on n’en a pas pris depuis des années. Heureusement qu’elle avait mis plein de mousse. Ça lui avait évité le pire.

— Je t’attends dans la chambre, ajouta le flic avec un petit sourire.

Il referma la porte, elle éteignit la radio. Elle s’enroula dans un drap de bain. Essaya d’arranger sa coiffure. Testa tous les parfums, choisit le dernier, le plus léger. Puis elle entrouvrit la porte.

— Faudrait que je puisse m’habiller tranquille…

— Oui, bien sûr. Je vais sortir. Il y a quelques vêtements dans l’armoire… Normalement, c’est ta taille.

Elle resta stupéfaite. Des vêtements ? Elle se hâta d’admirer sa nouvelle garde-robe. De quoi s’habiller du haut jusqu’au bas. Dessus et dessous. Elle opta pour un jean noir, un tee-shirt gris. Un poil trop grand. Mais propre et neuf. À son goût, en plus ! Incroyable qu’ils aient prévu tout ça… Elle remarqua une robe. Noire et longue, magnifique. Elle positionna le cintre au niveau de ses épaules, la robe devant elle. Une autre Marianne. Jamais je ne pourrais mettre ça !

Elle ouvrit la porte de la chambre. Le commissaire patientait sagement dans le corridor.

— Vous vouliez quoi ?

— Tu as faim ? On a des pizzas, si tu veux.

— Des vraies pizzas ?

— Pourquoi, il en existe des fausses ?!

— On voit que vous avez jamais bouffé en zonzon, vous !

— Des pizzas plus vraies que nature ! Tu viens ?

— Pourquoi ? Je mange pas dans ma cel… chambre ?

— Manger avec des flics, ça te coupe l’appétit, c’est ça ?

Elle s’appuya au chambranle.

— J’ai l’habitude de manger seule…

— Ce soir, j’aimerais que tu te joignes à nous… Qu’on fasse un peu connaissance.

— Je vais chercher mes clopes, dit-elle en soupirant.

— Inutile… Didier t’a ramené une cartouche. Allez, magne-toi, je commence à avoir les crocs ! Ça fait une heure qu’on t’attend.

Ils m’attendent pour bouffer ? Elle allait d’étonnement en étonnement. Il la fit passer devant, elle avança lentement dans le couloir étroit, puis dans l’escalier. Chaque fois que son pied se posait sur une marche, ça résonnait dans son cerveau engourdi. La fièvre était remontée en flèche. Le bain, sans doute trop chaud. Les émotions trop fortes. Soudain, elle s’immobilisa. Elle plia les genoux, se retint à la rampe. Il passa devant.

— Tu te sens mal ? demanda une voix étrange, comme un disque lu à la mauvaise vitesse.

— Je… Je crois que je vais tourner de l’œil…

Il voulut l’aider, elle se dégagea un peu brutalement. Puis elle se remit en marche, la tête haute, les pieds dans la ouate, jusqu’à la grande pièce où les deux autres étaient déjà attablés.

— Super ! Un repas de famille ! marmonna Marianne.

Le commissaire lui avança la chaise, elle s’y laissa tomber. Elle commença par avaler la codéine pour calmer le feu dans sa tête. L’ambiance était pesante. Marianne fixait son assiette.

— Ça t’arrive souvent ce genre de malaise ? s’enquit Franck, assis pile en face.

— À chaque fois qu’on me file cinquante coups de matraque dans la tronche…

Laurent se mit à rire. Pourtant, il n’y avait rien de drôle.

— Qui t’a sortie de là ? interrogea le patron.

— Le premier surveillant… Le chef, quoi.

— Pourquoi, il n’a pas participé à la petite fête, lui ? s’étonna Laurent.

— Non. Lui, c’est un mec bien. Il n’y avait personne de mon bâtiment… C’est les matons du bloc A qui ont débarqué… Quand le chef s’en est aperçu, il est venu à mon secours…

Ils cessèrent de la torturer de questions. Didier se chargea du service. Le moins gradé, sans doute. Il plaça deux parts dans l’assiette de Marianne qui détaillait chacun de ses gestes. Encore des choses oubliées depuis longtemps. Une vraie assiette, de vrais couverts. Une serviette en tissu, un verre à pied. Quelqu’un qui la servait, un peu comme au restaurant. Mais difficile d’utiliser une fourchette avec une attelle qui lui paralysait la moitié de la main gauche. La pizza manqua de finir sur la table, elle soupira. Franck posa alors ses couverts et mangea avec les mains. Ses hommes firent de même et elle les imita. Finalement, ils n’étaient peut-être pas si salauds que ça.

Reste méfiante, Marianne.

Elle ingurgita les deux parts en les gagnant de vitesse. Franck remplit son verre de vin.

— Depuis combien de temps t’as pas mangé ? lança-t-il en riant.

— Mangé quelque chose d’aussi bon ? Environ quatre ans…