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— Thomas Guérin, c’est ça ?

Marianne frissonna.

— Et tes grands-parents ?

— Jamais une lettre, fit-elle d’une voix coupante. Jamais une visite. Jamais un centime.

— Tu ne m’as pas répondu, insista-t-il en écrasant son mégot. Qu’est-ce qui t’a le plus manqué en taule ? Le confort ? L’hygiène ?

— Les hommes ? essaya Didier.

Marianne sourit tristement. Les hommes ? S’il savait !

— Le pire, c’est l’ennui… Tout manque, là-bas… Pouvoir se laver quand on veut, manger à sa faim. Boire du café. Toucher la terre… Mais ce qui manque le plus, c’est la liberté. Aller et venir à sa guise. À droite ou à gauche… Ne plus avoir de grilles ou de barbelés. Regarder le ciel, faire des projets d’avenir… Se dire qu’on a un avenir, simplement… La liberté…

Ils admirèrent le ciel à leur tour. Prirent le temps de compter les étoiles. Comme ils ne l’avaient pas fait depuis si longtemps. Depuis trop longtemps. Puis Marianne regagna sagement sa chambre. Franck l’avait escortée jusqu’à la porte.

— Bonne nuit, Marianne.

— Bonne nuit. Et merci pour la balade… Je suis désolée pour tout à l’heure… J’étais ivre.

— Ça va, c’est oublié.

— Et j’voulais vous dire… Je… Je suis heureuse que vous m’ayez sortie de taule…

— Tant mieux… Dors bien, Marianne.

La clef dans la serrure, encore. Elle entrebâilla la fenêtre. C’est alors qu’elle l’entendit approcher. Sa bouche s’arrondit de surprise. Chacun de ses muscles se mit à vibrer. Chacun de ses sens se plaça en alerte. Impossible… Je dois rêver ! Elle tendit l’oreille, le grondement lointain s’intensifia. Jusqu’à emplir la totalité de l’espace.

Le train l’avait suivie jusque là, fidèle parmi les fidèles ! Une larme coula sur sa joue. C’était un signe. Elle ne pouvait pas le voir, juste l’entendre qui s’éloignait déjà. Un sourire s’éternisa sur ses lèvres. Maintenant, je sais que je vais réussir.

Elle se déshabilla complètement, se glissa sous les draps. Les bras en croix pour mesurer l’espace. Trop grand. Elle se recroquevilla lentement pour n’occuper plus qu’une toute petite partie du lit.

Daniel, mon amour, je serai bientôt près de toi.

Ma liberté, ce sera avec toi. Ma liberté, ce sera toi.

Vendredi 1er juillet

Franck tapa trois coups discrets contre la porte. N’obtint aucune réponse. Il tourna la clef dans la serrure, jeta un œil dans la pièce. Marianne dormait.

En équilibre, tout au bord du lit. Enroulée dans les draps avec juste un bras et un pied qui dépassaient. Un rayon de soleil escaladait déjà le mur de la chambre. Encombré d’un plateau, il entra sur la pointe des pieds.

Accroupi à côté du lit, il prit quelques secondes pour la regarder en toute impunité. Il fut frappé par son visage. Elle ressemblait non plus à une criminelle mais à une petite fille à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession. Une petite fille presque défigurée, quand même. Ce qui était assez choquant. Il songea soudain qu’elle feignait peut-être le sommeil. Qu’elle allait se jeter sur lui. Mais il courut le risque de rester à portée. Apprendre à ne pas la craindre. Elle qui savait si bien jouer avec cette peur qu’elle inspirait chez l’ennemi.

— Marianne ?

Elle ouvrit les yeux. Instant d’errance mentale. Cherchant où elle se trouvait. Puis un léger recul face aux yeux verts. Qu’elle eut tant aimés bleus.

— Bonjour, dit le flic en souriant. Petit-déjeuner ! Bien dormi ?

Elle crispa ses mains sur le drap. Hocha la tête. Il posa son présent sur le matelas, juste à côté d’elle.

Un vrai café, deux croissants. Une orange pressée. Elle considéra le festin avec étonnement. Se redressa, prenant soin de garder le drap jusqu’en haut de sa poitrine. Elle aurait aimé savourer son repas en solitaire mais n’osa pas lui demander de partir.

— Il est bon votre café, commissaire… Il est quelle heure ?

— Neuf heures… Je ne sais pas à quelle heure tu te réveilles d’habitude.

— Ça dépend… On n’a pas d’heure, en prison. On peut dormir toute la journée, si on veut…

— Comment tu te sens, ce matin ? Tu as encore de la fièvre ?

Elle toucha son front. Rattrapa le drap in extremis.

— On dirait que ça va mieux… Mais faudrait que je change le bandage autour de mon poignet, il n’a pas apprécié le bain !

— Didier a ramené tout ce qu’il fallait de la pharmacie. Bandes, compresses…

— Merci… Ils ont parlé de moi à la télé ?

— Oui… Tu fais la Une de tous les journaux ce matin ! Je te les monterai dans la journée.

Elle termina son deuxième croissant. Le flic rêvassait devant la fenêtre.

— Vous pouvez me passer mon paquet de clopes ?

Il récupéra les cigarettes, vint s’asseoir près d’elle. Un peu trop près.

— Le train ne t’a pas trop dérangée ? C’est le problème de cette maison, elle est juste à côté des voies ferrées… Moi, j’arrive pas à m’y faire.

— Au contraire ! répondit-elle en se frottant les yeux. J’adore… Faut pas l’entendre comme un bruit. Mais comme un voyage qu’on peut faire dans sa tête…

— Un voyage ?

— Un peu d’imagination, commissaire ! C’est fou comme la taule m’a développé l’imagination…

Elle jeta son mégot par la fenêtre. Juste entre deux barreaux.

— Quelle adresse ! constata le flic en souriant.

— C’est quoi le programme, aujourd’hui ?

— Repos ! annonça-t-il en se levant. Il faut que tu te refasses une santé, Marianne.

— Je vais rester enfermée dans cette chambre à longueur de journée ? C’est ça ?

— Tu as de quoi t’occuper, ici ; télé, radio, livres… Et la baignoire, aussi !

— C’est vrai. Mais en taule, on avait droit à deux promenades par jour.

— On verra plus tard. Pour le moment, je crois que tu as surtout besoin de dormir.

— J’aime pas dormir la journée…

Il se mit à sourire de son air un peu capricieux.

— C’est pour quand ? questionna-t-elle soudain.

— Je ne sais pas encore. Quelques jours, je pense.

— Pourquoi vous ne me dites pas qui c’est ?

— À quoi ça servirait ?

— À me préparer… À me faire à l’idée… Vous avez peur que je m’échappe avec l’info, pas vrai ?

— J’espère que tu ne t’échapperas pas, rétorqua-t-il d’un ton plus dur. Je n’aimerais pas être obligé de…

— De me tuer ? Ça vous ferait quoi ?

Il posa la main sur la poignée de la porte, la regarda bien en face. Dommage, la matinée avait si bien commencé.

— Rien, jura-t-il froidement. Ce serait juste un échec. Du travail pour rien.

Elle baissa les yeux.

— Moi non plus, ça ne me ferait ni chaud ni froid de vous tuer…

La porte claqua, Marianne resta figée dans ses draps.

— Tu mens, sale flic ! chuchota-t-elle en fixant le plafond. On ne peut pas tuer sans émotion…

*

Maison d’arrêt de S. — 9 h 15 — Bureau des surveillantes

— J’arrive pas encore à y croire, murmura Justine en tournant la cuiller dans son café.

Daniel s’installa en face d’elle.

— Moi non plus, avoua-t-il.

— Tu es heureux, n’est-ce pas ?

— Heureux n’est pas le mot, Justine… Un détenu qui s’évade, c’est une cible potentielle. J’ai… J’ai peur que les flics la retrouvent et l’abattent.