— Je vais pas le tuer ! riposta Marianne.
— Toi, la ferme ! ordonna Franck d’un air mauvais.
— Ne t’énerve pas ! Elle en avait envie, moi aussi… Je ne vois pas ce qu’il y a de mal !
— Dégage ! On en parlera demain. Et t’as pas intérêt à ce que je te retrouve ici… C’est clair ?
Didier lui adressa un regard méchant mais s’exécuta. Franck referma la porte puis s’avança. Marianne recula d’instinct. Pourtant, reculer, c’était avouer son crime avec préméditation.
— Désolé d’avoir ruiné tes projets, Marianne…
Elle s’arrêta quand ses omoplates touchèrent le mur. Elle avait encore sa chance. Après tout, elle avait mis KO des types bien plus forts que lui. Son esprit s’emballa. Je peux peut-être repartir à zéro avec lui. La bière empoisonnée trônait encore sur le bureau, il aurait peut-être soif. Pour le moment ses yeux verts étincelaient de colère et d’amertume. Mais elle pouvait produire un autre effet sur lui.
— Alors, raconte-moi comment tu comptais procéder, Marianne ! exigea-t-il avec un sourire funeste. Tu lui aurais brisé la nuque, peut-être…
— Pourquoi vous dites ça ? J’avais pas envie d’être seule, c’est tout…
Le sourire du flic s’élargit, laissant apparaître une jolie dentition carnassière.
— Et bien sûr, pour cela tu as choisi Didier… Tu sais, je ne suis pas une nana, mais il me semble que de nous quatre, ce n’est pas forcément lui le plus attirant…
— Il a été sympa avec moi… C’est pas le physique qui compte !
— Alors comme ça, tout d’un coup, tu as eu très envie de lui, c’est bien ça ? Au point de lui filer rancard dans ta chambre en pleine nuit… Parce que je connais un peu Didier. Il ne serait jamais venu ici au milieu de la nuit si tu ne l’y avais pas attiré…
— Vous allez me faire chier longtemps ? J’ai commis un crime, c’est ça ? J’suis majeure, non ?
Il remarqua quelque chose par terre, près du lit. La rallonge électrique. Il se l’appropria.
— C’est avec ça que tu comptais l’attacher, je présume…
— Mais arrêtez, putain ! souffla Marianne en essayant de paraître excédée. Pas ma faute si vous êtes complètement parano !
Il fondit sur elle en un mouvement rapide, s’empara d’elle avant de l’écraser face au mur.
— Aïe ! Lâchez-moi ! Qu’est-ce qui vous prend ?!
— Chut, tu vas réveiller tout le monde !
Elle tenta de lui échapper. Mais il lui avait bloqué les bras dans le dos et lui ligota les poignets avec le fil électrique. Elle essaya de se dégager, il la décolla du sol. Elle donnait des coups de pieds hargneux dans le vide. Subitement, elle se contracta. Il venait d’aventurer une main entre ses jambes.
— Mais qu’est-ce que vous faites ? gémit-elle avec fureur. Arrêtez ! Ne me touchez pas !
— Je veux juste vérifier un truc, Marianne…
Elle se remit à gigoter, en vain.
— Tu vas te faire mal… Cesse de bouger. Bizarre, mais… Je ne sens rien… Si tu avais vraiment eu envie de l’autre idiot, je devrais le sentir… Mais peut-être que si j’insiste, ça va venir…
— Arrêtez, merde ! implora-t-elle d’une voix brisée.
Il enleva enfin sa main puis la poussa vers l’avant. Elle percuta le mur violemment, retomba en arrière. Se ratatina sur le parquet. Il alluma tranquillement une cigarette.
— Tu savais pourtant que je ne dors pas, Marianne… C’est toi-même qui l’as dit.
Il fouilla les tiroirs, dénicha rapidement les boîtes de médicaments.
— Eh bien ! Tu as déjà pris tout ça ? Tu vas t’intoxiquer…
Elle le dévisageait avec rage, prostrée dans l’angle de la pièce. Il brandit la canette de bière.
— Si je bois ça, je vais mettre combien de temps à m’écrouler ?
Il lui saisit la gorge. Elle lui décocha un coup de pied qu’il évita de justesse.
— J’ai bien envie de te forcer à boire cette merde, juste pour voir l’effet… Je ne suis pas aussi con que tu as l’air de le penser ! J’ai un pote médecin, je l’ai appelé tout à l’heure. Les deux médocs ensemble donnent un cocktail détonant… Je croyais que tu voulais t’en servir pour toi, pour remplacer la drogue. Mais maintenant, je comprends mieux ! Je comprends tout…
Elle s’était murée dans le silence, les lèvres soudées sur son échec.
— Tu veux vraiment que ça finisse mal entre nous ? Que ton cauchemar devienne réalité ? Il était peut-être prémonitoire, qui sait…
Il effleura sa joue, elle tourna la tête jusqu’à se meurtrir la nuque. Il la ramena face à lui, brutalement.
— Qu’est-ce que tu lui as raconté au pauvre Didier pour le faire craquer ? J’imagine la scène ! Ça fait des années qu’un homme ne m’a pas touchée… C’est bien ça, non ? Et puis tu t’es collée contre lui… Il a fondu comme neige au soleil, n’est-ce pas Marianne ? Mais si tu es vraiment en manque, je peux arranger ça !
Elle tenta de mordre sa main, rata encore son attaque. Il se mit à rire. Recula un peu.
— Ne me touche pas ! menaça-t-elle.
— Et qui va m’en empêcher ? Toi ?
— Essaye et je te tue !
— Mais je ne suis pas Didier, Marianne ! Je suis bien plus méchant que lui. Il ne faut pas me donner des idées pareilles, tu sais…
Il la souleva, la jeta sur le lit. Elle atterrit sur le ventre, il s’allongea sur elle. Imparable. Elle suffoquait sous son poids, incapable de bouger. Elle se mit à hurler. Il la bâillonna d’une main, lui parla doucement, juste dans le creux de l’oreille.
— Qu’est-ce qui se passe, Marianne ? T’as plus envie ? Pourtant, ça fait si longtemps qu’un homme ne t’a pas touchée !
Elle sentait qu’il ne bluffait pas. Qu’il avait suffisamment de cartes dans le pantalon pour rafler la mise. Lui infliger la pire vengeance, commettre l’irréparable. L’humilier, la blesser à mort.
— T’avais raison ce matin ; je suis parfois violent. J’y peux rien, tu sais, je me contrôle pas toujours…
Il enleva sa main, elle reprit une grande bouffée d’oxygène.
— Arrêtez ! gémit-elle.
— Y a tellement de choses que j’ai envie de faire avec toi… Par où vais-je commencer ?
Elle se mit à pleurer, s’étouffant de peur.
— Tu comprends, je veux être sûr que tu n’essaieras plus de me trahir… Que tu auras trop peur pour recommencer…
— Faites pas ça ! Je recommencerai pas !
Il cessa enfin son jeu cruel, se releva puis libéra ses poignets. Elle se laissa glisser jusqu’à ce que ses genoux touchent le parquet, eut encore quelques sanglots terrifiés.
— On aura une petite discussion demain, toi et moi…
Il quitta la chambre avec la bière et les médicaments. Marianne rossa violemment le matelas. Mordit les draps pour taire sa rage. Elle venait de tout rater. De se dévoiler, perdant ainsi sa dernière chance.
— Je vais te tuer ! Je vais te tuer, enfoiré…
Le commissaire poussa la porte de la chambre de Didier. Il le trouva endormi. À même le parquet. Il n’avait pas eu la force d’atteindre son lit.
— Tu vois, espèce de crétin, tu n’aurais même pas eu le temps d’en profiter…
✩
Dimanche 3 juillet — 09 h 30
Le commissaire dégustait son café sur le perron, profitant des dernières fraîcheurs avant la chaleur étouffante.
La Laguna vint se garer en bas des marches. Le capitaine revenait de son petit tour matinal. Le rituel journaux-cigarettes-croissants. Tiercé en plus, le dimanche. Il monta l’escalier et tendit le quotidien à son patron.