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— Lit la Une…

Il partit se chercher un jus dans la cuisine, réapparut quelques instants après. Il s’installa à côté de Franck, guettant une réaction inévitable sur son visage.

— J’en croyais pas mes yeux ! fit Laurent. La petite nous avait caché sa grande histoire d’amour avec un maton ! Ce pauvre type va s’en prendre plein la gueule pour pas un rond.

— Incroyable, murmura Franck.

Il semblait préoccupé.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda le capitaine. Tu tires une de ces tronches !

— C’est… C’est Didier… Il dort. Et il n’est pas près de se réveiller.

— Quoi ?

— Je l’ai surpris dans la chambre de Marianne, cette nuit…

— Il était en train de la sauter ?

— Il en était aux préliminaires.

— Il s’emmerde pas celui-là ! répliqua Laurent en riant. Elle était d’accord au moins ou…

— Plus que d’accord ! Elle lui avait filé rancard…

— Mais pourquoi a-t-elle choisi cette demi-portion… ? Tu veux dire qu’elle avait l’intention de…

— Bien sûr ! Elle comptait se tirer en pleine nuit ! Tu te souviens des médocs que tu lui as ramenés hier ? Eh bien, le mélange des deux, donne un puissant somnifère… Il a monté à boire, elle en a versé dans sa bière… Et puis je suis arrivé. J’ai renvoyé Didier dans sa piaule ; dix minutes après, il s’est écroulé comme une masse. Il n’a même pas eu le temps d’arriver à son pieu !

— Je rêve ! Tu as réagi comment pour Marianne ?

— Je… lui ai donné une petite leçon. Je lui ai fait peur… Enfin, je crois !

— Et Didier ?

— Je sais pas encore… Je vais peut-être le dégager du groupe. Il est bien trop faible, il ne fait pas le poids face à une fille comme elle. S’il fait encore une connerie et qu’elle nous échappe ?

— T’as peut-être raison… En tout cas, il faut que tu sois plus dur avec elle, Franck.

— Je ne veux pas qu’elle nous haïsse… Je comptais installer une relation de confiance.

— Ben, c’est raté mon pote ! Cette fille est cinglée, tu n’y peux rien…

— Elle n’est pas cinglée. Mais t’as raison sur un point ; pour la relation de confiance, c’est cuit…

— Il faut lui foutre la trouille ! Une bonne fois pour toutes ! Qu’elle ne s’avise pas de recommencer… Le problème, c’est qu’elle n’a peur de rien.

— Cette nuit, je pense vraiment l’avoir terrorisée. Je lui ai fait croire que j’allais la…

Laurent mit quelques secondes à comprendre.

— T’as fait ça ?!

— Ben… Je crois que c’est la seule chose capable de l’effrayer… Sauf que maintenant, elle sait que je bluffais.

— Ouais, c’est ce que je disais, y a rien qui lui fait peur ! Rien qu’on puisse faire, en tout cas.

— Si. Elle a forcément peur de mourir. Tout le monde a peur de mourir. Seulement, elle est inconsciente, voilà le problème. Prête à prendre beaucoup de risques… Elle n’a pas l’intention de bosser pour nous, elle ne l’a jamais eue. Elle refuse de tuer, même pour obtenir sa liberté. Elle veut se tirer, c’est sa seule obsession… Faut qu’elle réalise que nous sommes prêts à tout. Même à la descendre.

Il y eut un long silence puis Laurent partit à rire. Bien mal à propos.

— Pourquoi tu te marres comme ça ? s’étonna le commissaire.

— J’imagine Didier en train de… Il a eu chaud !

Il était plié en deux, Franck rigola à son tour.

— Elle en aurait fait qu’une bouchée ! ajouta le capitaine.

— T’as raison ! Si je l’avais pas sorti de là…

Philippe apparut sur le perron, l’air paniqué.

— Les mecs ! Didier est par terre dans sa chambre ! J’ai essayé de le réveiller mais…

Ses deux collègues éclatèrent de rire, il les dévisagea avec une incompréhension cocasse.

— Viens ! dit Laurent. On va te mettre au parfum…

Cellule 213 — 09 h 45

Daniel se pencha pour voir son visage dans le miroir microscopique collé au-dessus du lavabo branlant.

Sous sa barbe de trois jours, se dessinaient ses joues creusées. Ses yeux, cernés de mauve, hurlaient de détresse. Il n’avait quasiment pas dormi, les sbires de Portier ayant fait le nécessaire. Lumière allumée toute nuit dans la cellule, coups contre la porte. Il s’aspergea le visage d’eau froide javellisée. Se fit une toilette rapide. Alla se rallonger sur le matelas qui plia sous l’effort.

Que faire d’autre, ici ? Enfermé entre quatre murs, privé de liens. Privé de tout. Il somnola, entendit les gars descendre en promenade. Avant, c’était lui qui les accompagnait. Quand il n’était que simple maton dans le bâtiment A. Avant d’être promu gradé et de prendre ses fonctions chez les filles.

Maintenant qu’il n’avait plus que ça à faire, il pensait à sa vie. À son passé. Comme s’il relisait un mauvais livre. Une histoire qui ne lui avait jamais plu. Mais il n’avait que celle-là. Une vie de merde, en somme. Une vie passée derrière les barreaux, qui se terminait logiquement. Derrière les barreaux.

Un travail épuisant, ingrat, mal payé. Un travail où il aurait voulu être utile mais où il n’avait que tourné des clefs dans des serrures. Ouvrir et fermer des grilles. Des milliers de fois. Une vie à l’ombre, jalonnée d’horreurs carcérales. Dans les entrailles pourries de la société, dans ces catacombes où personne ne voulait descendre. Là, au milieu des assassins, escrocs, dealers, violeurs, braqueurs, maquereaux. Des caïds ou des quidams devenus délinquants au gré d’un virage mal négocié. Une vie au milieu des accidentés de la vie. Et de tous les innocents qui croupissent dans les geôles.

Tant d’amertume, de frustration. Quelques lueurs d’espoir, quelques rares bons moments. Il avait croisé des destins hors du commun, appris à ne plus se fier aux apparences. Aux jugements hâtifs.

Une vie comme il en existe tant. Jusqu’au jour où… Où il avait croisé son regard noir. Où il s’était attardé sur sa bouche d’enfant capricieuse. Sur les courbes d’un corps taillé pour tuer. Où il s’était laissé subjuguer par une criminelle que tout le monde abhorrait. Par une tueuse capable du pire. Capable de lui donner le meilleur d’elle-même. Il se souvint de la première fois où elle avait été à lui. Quelque chose de si fort qu’il avait compris inconsciemment qu’elle le conduirait jusqu’en enfer. Et qu’il la suivrait les yeux fermés. Un jour ou l’autre.

Qu’elle le ferait marcher sur des braises incandescentes. Et qu’il en redemanderait. Qu’il paierait de sa vie. Un jour ou l’autre.

Aujourd’hui, peut-être.

La porte s’ouvrit. Le jeune Ludovic apparut.

Juste derrière lui, un visage illumina la cage. Justine, les bras chargés de cadeaux. Vêtements propres, barres chocolatées. Cartouche de cigarettes, bouquins, nécessaire pour la toilette. Tout ce qu’elle venait d’entrer en fraude, au nez et à la barbe de Portier, avec la complicité de Ludo. Justine, qui souriait et pleurait en même temps.

Daniel la reçut dans ses bras. Ce fut lui qui la consola.

*

Didier ressemblait à un patient en soins intensifs. Ses yeux, gonflés et noircis, avaient du mal à affronter la lumière du jour. Ses gestes saccadés, comme ceux d’un mime débutant, avaient quelque chose de grotesque. Laurent déposa un bol de café fumant devant lui.

— Allez, mon gars ! Bois ça ! Ça va te faire dessoûler !