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Elle se laissa tomber sur la chaise, au moment où Laurent débarquait dans la cuisine. Il comprit immédiatement la situation. Marianne releva alors la date du Parisien.

— Vous le savez depuis hier et vous ne m’avez rien dit ? s’indigna-t-elle d’une voix tout juste audible.

Franck chercha la bonne réponse tout en fustigeant le capitaine de reproches silencieux.

— On a pensé que… On a pensé que ça t’inquiéterait pour rien.

— Pour rien ?

Pourquoi parlait-elle si doucement ? Un ruisseau qui n’allait pas tarder à se transformer en torrent furieux. Les deux hommes étaient prêts. Croyaient l’être, en tout cas.

— Écoute, reprit Franck, j’ignore ce que représente cet homme pour toi, mais…

— Tout.

Merde ! Il aurait préféré entendre autre chose. Du style rien. Que dalle. Je m’en fous.

— Ne t’inquiète pas… Ils vont finir par s’apercevoir qu’ils se sont trompés et le libérer.

Marianne fixait toujours le visage de Daniel en noir et blanc. Visage marqué, sous le choc, comme elle. Une épée en pleine poitrine, elle suffoquait, cherchait de l’air. Un coupable.

Elle leva les yeux sur Franck. Des iris à faire frémir Satan.

— C’est à cause de toi… À cause de vous…

— On pouvait pas deviner que tu couchais avec un surveillant ! dit Laurent en prenant un croissant. C’est pas très réglo, tout ça…

Le commissaire pâlit face à l’inconscience de son adjoint. Marianne se dressa d’un bond et sa chaise partit en arrière.

— Doucement ! pria Franck en reculant un peu. Reste calme, je t’en prie… Ça ne servira à rien.

Il s’attendait à ce qu’elle se jette sur lui mais elle fit volte-face et frappa Laurent en pleine tête. Un coup de poing qui ressemblait à un missile téléguidé. Il s’écroula d’un bloc, son crâne heurta violemment le carrelage. Il n’avait même pas eu le temps de lâcher son croissant. Franck marcha à reculons jusqu’à la porte tandis qu’elle avançait vers lui avec une armurerie au fond des yeux.

— Du calme ! répéta-t-il en tendant les mains devant lui.

Il aurait juste aimé avoir un tabouret et un fouet. Il sortit lentement de la pièce sans lui tourner le dos. Il vit arriver un coup de pied, ne parvint pas à l’arrêter et fut projeté contre une console en marbre avant de s’effondrer par terre, sonné. Marianne se mit à califourchon sur lui, plaquant ses genoux sur ses bras. Le privant ainsi de tout moyen de défense. Elle serra sa gorge.

— Je vais te crever, salaud !

Franck ne pouvait ni bouger, ni parler. Ni respirer. Une harpie aux serres puissantes comprimait sa trachée. Marianne ne voyait que du rouge, avec, au milieu, les yeux bleus de Daniel.

En accéléré, les moments forts de la vie de Franck défilèrent dans son cerveau tandis qu’il sentait peser sur son cœur le poids des rêves non réalisés. Mais au-dessus du sien, le visage de Marianne se modifia lentement. Elle relâcha un peu sa poigne meurtrière. Il s’engouffra dans la brèche avec un reste de voix.

— Mari… anne… Lâche… moi… Ne me… tue… pas…

Il devina l’hésitation dans les prunelles sombres. Un filet d’air revenait à ses poumons. Elle diminua encore un peu la pression. Mais ses mains étaient toujours autour de son cou. Prêtes à tuer.

Soudain, elle détecta une présence dans son dos, n’eut pas le temps de tourner la tête. Elle reçut un coup violent à l’arrière du crâne et tomba, inconsciente, sur le corps du commissaire.

Philippe venait de l’assommer avec le perroquet de l’entrée. Franck reprit une respiration complète, le gosier aussi plat qu’un billet de banque. Son jeune adjoint l’aida à se relever en poussant le poids inerte qui gisait sur lui. Puis ils se ruèrent dans la cuisine. Le capitaine était dans les vapes, du sang coulait de son nez mais Philippe entendit battre son cœur. Évanoui, mais vivant.

Franck porta une main à son larynx. L’air était toujours aussi rare dans ses poumons.

— Il… faut attacher Marianne avant… qu’elle…

— OK, j’y vais.

Philippe récupéra une paire de menottes dans le tiroir de la console et lui attacha les poignets tandis qu’elle commençait à revenir à elle. Puis ils transportèrent Laurent jusqu’au canapé. Un corps inerte qui pesait un âne mort. Il fallut le contenu entier d’une carafe pour que le capitaine ouvre enfin les yeux. Il grogna de douleur, porta les mains à son front. Marianne avait visé le nez, il souffrait le martyre. Il se mit à pleurer. La première fois que le commissaire voyait des larmes sur ce visage.

— Occupe-toi de lui, ordonna Franck. Je me charge de Marianne…

Il repartit vers l’entrée, la trouva prostrée contre le mur, les yeux mi-clos, encore groggy. Il la releva en la prenant sous les aisselles, l’obligea à monter l’escalier, la poussa jusqu’à sa chambre. Ferma la porte à double tour avant de redescendre en courant. Mais, au bas de l’escalier, il dut reprendre son souffle. Douleur puissante dans la tête. Vertiges, nausées.

Laurent avait une compresse d’eau chaude sur son nez qui commençait à gonfler comme une montgolfière prête à prendre son envol. Franck s’affala près de lui et raconta à Philippe comment Marianne était devenue dingue en lisant l’article de journal.

— Cette folle a failli nous tuer ! brailla Laurent en pressant la serviette chaude sur sa blessure. Ça commence à bien faire ! Il faut se débarrasser d’elle !

— Je t’avais dit de bazarder ce journal !

— Putain ! Si tu crois que je pense à tout…

— J’aurais jamais cru que cette histoire pourrait la faire disjoncter à ce point, continua le commissaire comme s’il se parlait à lui-même.

— Elle est barjo ! grommela Laurent. J’ai un de ces mal de crâne, putain !

— Philippe, emmène-le à l’hosto, s’il te plaît…

— C’est pas la peine ! protesta le capitaine d’une voix grippée.

— Discute pas ! Allez-y…

Philippe embarqua Laurent dans la Laguna. Gyro sur le toit, ils quittèrent rapidement la propriété. Franck but un café, se remettant doucement de ses émotions. Il effleura sa mâchoire endolorie, retira sa main en vitesse. Il ne pouvait même pas y toucher tellement c’était sensible. Un hématome de chaque côté du visage. Super sexy !

Il remonta, colla son oreille à la porte de la chambre. Des sortes de cris, des pleurs. Il hésita un instant puis entra. Ses poings le démangeaient. Envie de lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais il fut saisi par la vision de cette femme en pleine crise de désespoir. Qui se tordait sur le sol, pleurait. Finalement, il oublia la vengeance. Après tout, elle avait hésité à le tuer. Semblait même avoir renoncé au moment où Philippe l’avait assommée.

— Calme-toi, Marianne…

Au son de sa voix, elle cessa de se contorsionner dans le vide.

— Ça ne sert à rien de te mettre dans des états pareils… De nous mettre dans des états pareils.

— C’est ma faute ! Si je m’étais pas enfuie, ils l’auraient pas mis en prison ! C’est ma faute…

Franck resta stupéfait de voir cette fille souffrir pour un homme. Par amour. Il ne l’avait jamais imaginée capable de ça. D’aimer jusqu’au désespoir. Progressivement, le flot se calma. Elle respirait doucement. Il l’aida à s’asseoir contre le lit.

— Il faut le sortir de là, murmura-t-elle. Il est innocent…

— Je sais ! Mais je ne peux rien faire pour l’aider.

— Pourquoi il a avoué ? gémit-elle. Pourquoi ?

— Les flics ont dû le faire craquer. S’il est un peu fragile…