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Elle préféra ne pas trop le contrarier et enleva son jean. Elle s’assit sur la chaise, il s’agenouilla devant elle. Juste à la bonne hauteur pour recevoir un coup de pied dans la tête. Un de ceux dont on ne revient pas. Pourtant, la peur la ligotait. Une peur idiote.

Le goût du métal dans la bouche. Friandise parfum 357.

— C’est une vieille entorse, expliqua-t-elle.

Il prit une ampoule de Percutalgine, elle la lui arracha des mains.

— Je vais le faire…

Elle cassa la fine enveloppe de verre, en vida le contenu sur sa rotule traîtresse. Elle massa en effleurant à peine la peau. Puis il lui banda le genou avec les gestes d’un apprenti-infirmier qui raterait son diplôme à coup sûr.

— Trop serré ! indiqua-t-elle avec une grimace.

Il recommença, elle s’étonna de sa patience.

— Merci.

Merci ? Mais je deviens dingue ! Je remercie un type qui m’a passée à tabac ce matin ! Qui a menacé de me faire exploser la cervelle ! Qui a menacé de massacrer l’homme que j’aime !

Elle attrapa son jean, parvint à se rhabiller en jouant aux équilibristes surdouées. Elle récupéra son paquet de cigarettes et se dirigea vers le lit. Mais une serre puissante se referma sur son bras. Elle avala ses amygdales, repartit en arrière, aspirée par les enfers. Se retrouva en face des yeux de cobra. Il ne parlait pas, la fixait comme s’il allait ouvrir une gueule béante avec trois rangées de dents. Pour la dévorer.

Il m’a laissée prendre une douche, a soigné mes blessures. C’est pas pour recommencer à me frapper. Absurde.

Elle fouillait son regard. Se posant un milliard de questions en trente secondes. Envisageant toutes les possibilités. Quand je te serai passé dessus

Il y avait comme un soupçon de sourire sur ses lèvres. Juste un soupçon.

— J’ai flippé toute la nuit à cause de ta petite promenade dans les bois…

Il attrapa son visage et le colla contre le sien. Elle aplatit son paquet de cigarettes dans sa main droite tandis que son cœur faisait une chute abyssale.

— Je t’ai donné ta chance et c’est comme ça que tu me remercies ?

Cent-cinquante pulsations seconde. Il y avait en cet homme quelque chose d’effrayant. Une sorte de sadisme bien enfoui qu’il valait mieux éviter de réveiller. Un monde d’horreurs qui sommeillait quelque part et qu’elle devinait, là, juste contre sa peau.

— Je ne recommencerai pas, balbutia-t-elle.

— Je ne t’en laisserai pas l’occasion… Mais si tu lèves encore la main sur moi ou sur un de mes hommes, je te garantis que tu vas rêver de moi toutes les nuits jusqu’à ta mort… Et si jamais tu parvenais encore à nous échapper, ce qui m’étonnerait beaucoup, il m’arriverait de gros ennuis… Tu vois ce que je veux dire ? Et s’il m’arrive de gros ennuis, je serai très en colère. Vraiment furieux… Bien pire que ce matin… Alors je remuerai ciel et terre, mais je finirai par te retrouver… Et là… Je te ferai payer, très cher…

Il accentua la pression. Un étau lui broya le visage.

— Mais en attendant de te retrouver, je me ferai la main sur ton mec… Tu comprends ce que je dis, Marianne ?

— Oui…

— N’oublie jamais : si tu ne te transformes pas en gentille fille, c’est lui qui va prendre… Et toi ensuite… C’est clair, Marianne ?

Elle se mit à pleurer doucement. Elle aurait pu se dégager bien que son équilibre soit précaire. Mais à peine si elle osait répondre.

— Oui… Je ferai plus rien contre vous.

— Bien…

Il la lâcha enfin, jouissant de la terreur qu’il avait réussi à lui injecter à haute dose dans les veines.

Elle recula d’un pas, heurta le montant du lit, bascula en arrière. Chuta sans un cri. Elle se releva en se cramponnant au pieu, s’éloigna doucement de cette emprise mentale. Ce qu’elle venait d’entendre n’était rien à côté de ce qu’elle avait entrevu au fond des yeux de jade. Un monstre. Bien pire qu’elle. Bien pire que ceux qu’elle avait croisés au cours de son existence.

Il la dévisageait toujours. Avec les mêmes yeux de reptile.

— Tu vois, t’aurais pas dû me rater, hier. Me tuer quand tu en avais l’occasion…

Il la narguait encore. La provoquait, carrément. Elle sentit la colère surgir au beau milieu de la peur. Il avait raison, en fait.

— Ouais ! J’aurais dû !

Une claque retentissante surgit de la pénombre. Ses dents s’entrechoquèrent, son cerveau trembla.

— Tu joues avec mes nerfs, Marianne ! Et j’ai les nerfs fragiles !

— J’ai jamais voulu vous tuer, putain… Je voulais juste l’aider !

— L’aider ? Mais qu’est-ce que tu me chantes, Marianne ?

— Je voulais me rendre aux gendarmes !

Il eut un moment de flottement.

— J’aime pas qu’on se foute de ma gueule ! hurla-t-il soudain.

— Je vous jure ! Je voulais me rendre ! Pour qu’ils le laissent sortir de prison… Pour leur dire que c’était pas lui qui m’avait aidée !

Il recula jusqu’au lit, s’y laissa tomber. Tandis qu’elle s’effondrait par terre. En pleine crise. Il resta un moment silencieux. Les yeux posés sur elle.

— Tu voulais vraiment te rendre ? Tu serais retournée en taule pour ce mec ?

Un oui émergea au milieu des cris de détresse. Elle était sincère. Pas en état de mentir. Elle s’était tournée vers le mur pour cacher son visage. Une boule de nerfs dont il ne voyait que les épaules et le dos, violemment secoués par des séismes à répétition. Tout juste si elle arrivait encore à respirer.

— Tu es cinglée, murmura-t-il. Complètement cinglée…

Ça ne se calmait pas. Ça semblait même empirer. Étouffée par ses propres larmes, brisée par les convulsions en série.

— Ne lui faites pas de mal ! Ne lui faites pas de mal…

Elle reprenait son souffle entre chaque mot. Continua à chercher la pitié de son ennemi.

— Ne lui faites pas de mal… Il n’y est pour rien ! Je ferai tout ce que vous voudrez…

Elle aurait vendu ses parents si elle en avait eu.

Il l’escorta jusqu’au lit. Elle cessa enfin de sangloter. Mais pas de pleurer. Ça coulait doucement, sans heurts.

— Tu n’as pas à avoir peur pour lui si tu fais ce que je te demande.

Elle lui renvoya une dose de désespoir en pleine figure.

— Mais il restera quand même en prison, parce que j’ai échoué…

— Il finira bien par sortir.

— Vous pouvez pas savoir ce que c’est… La taule… Même quelques mois, quelques semaines… Quelques jours… Il ne s’en remettra jamais.

Vendredi 8 juillet — 13 h 00

Philippe déposa le plateau sur la table de la cuisine. Intact.

— Elle refuse toujours de manger, annonça-t-il avec accablement. Elle dit qu’elle ne peut rien avaler… Et elle pleure encore.

Laurent se servit un nouveau café. Le commissaire cessa de tourner la cuiller dans le sien.

— Comment peut-on chialer aussi longtemps ? dit Franck d’un air songeur. Ça dure depuis quarante-huit heures…

— Ce qui est inquiétant, c’est qu’elle ne mange pas, fit remarquer le lieutenant. Elle n’a rien avalé depuis plus de deux jours… Tu crois qu’elle a l’intention de mourir de faim ?

Franck piqua une Marlboro à son adjoint. Il n’avait jamais autant fumé de sa vie.

— Si elle continue comme ça, rétorqua Laurent, elle ne sera pas en état d’accomplir le boulot… Le jour approche et elle ne tient même plus sur ses jambes.