Il se leva sans la réveiller. L’eau brûlante de la douche ne lui procura aucune détente. Il retourna dans sa chambre se changer et prendre les armes. Il chargea à bloc la gueule du Glock. Mit son 357 à sa ceinture.
Laurent apparut. Déjà prêt. Toujours ponctuel.
— Salut… T’as pu dormir ?
— Non.
— T’as passé la nuit avec Marianne, c’est ça ? Tu n’aurais pas dû coucher avec elle, Franck.
Le capitaine s’assit sur le lit, tandis que son ami finissait de charger l’arme de Philippe.
— J’arrive pas bien à comprendre. Elle devrait te détester, pourtant.
— C’est le cas.
— Alors, pourquoi… ?
— J’en sais rien. C’est un peu compliqué… Mais cette nuit, il ne s’est rien passé, si ça peut te rassurer. Va réveiller Philippe, s’il te plaît. Je vais chercher Marianne… Sors le fourgon, en attendant.
Il caressa son visage. Elle ouvrit les yeux. Lui donna un petit sourire, tendre, désarmé. Elle n’avait pas encore réalisé.
— C’est l’heure, Marianne…
Une frayeur intense piégea son regard. Elle se redressa d’un bond, se mit à trembler.
— Je veux pas y aller !
— Calme-toi… Je serai près de toi.
Il lui accorda quelques minutes pour réunir ses forces. Pour trouver la force, lui aussi. De l’emmener sur ces chemins terrifiants. Peut-être à l’abattoir.
Elle cessa de frissonner. Puisa au fond de ses ressources pour affronter l’inévitable. Il la laissa se doucher, s’habiller, passer une genouillère autour de sa rotule capricieuse.
— Je voudrais récupérer mon réveil, préparer mon sac…
— Tu auras tout le temps. Après. Pas maintenant.
Il accrocha un étui à sa ceinture afin qu’elle puisse y loger son arme. Plus tard.
Elle avait fumé cigarette sur cigarette. Laurent au volant, comme toujours. Philippe, juste à côté. Elle et Franck, à l’arrière du fourgon.
— Répète-moi le numéro de téléphone pour me joindre, ordonna le commissaire.
— 06.75.83.20.11… 06.75.83.20.11.
— OK. Le code pour neutraliser l’alarme ?
— 13.11.52… Et l’arme ?
Il sortit le Glock de son sac. Lui montra comment y adjoindre le silencieux.
— Je te le donnerai au dernier moment.
— T’as peur que je te braque ?
— Je te le donnerai au dernier moment, répéta-t-il. Il y a un chargeur plein. Soit seize balles calibre 45. C’est du gros. Ça peut faire un trou de la taille d’une soucoupe dans un mur.
Elle imagina la tête du procureur. Ce qu’il en resterait après…
— Fais gaffe au recul. Ne tire pas à bout portant. Sinon… Sinon, tu vas recevoir…
— Tais-toi, implora-t-elle.
Il obéit. Consulta sa montre.
— Laurent, accélère s’il te plaît.
Le capitaine appuya un peu plus sur la pédale du Trafic flambant neuf. Aménagé en véritable QG. Tables d’écoute, banquette pour dormir. Cafetière. De quoi assurer des nuits entières de planque.
— En cas de gros imprévu, tu m’appelles… Tu veux un café ?
— Non… Si j’avale quoi que ce soit, je gerbe.
Elle avait passé la nuit avec cet homme qui lui faisait maintenant horreur. Elle songea à Daniel. La seule personne qui pouvait encore donner un sens à sa vie. Elle l’avait trahi, une fois de plus. Même s’ils n’avaient fait que rester enlacés, elle l’avait trompé. C’était insupportable de penser ça.
Mon amour, ce mec est le Diable. Il me manipule. Toi et moi, c’est tellement différent… Elle ne pouvait même pas voir défiler la route, enfermée dans ce blockhaus roulant.
Franck la dévisageait sans relâche. Comme s’il craignait de la voir s’évaporer. Marianne examina ses mains. Blocs de glace, malgré la chaleur. Elle y voyait déjà le sang.
— J’ai peur, avoua-t-elle.
— Moi aussi… Mais dans quelques heures, tout sera fini.
— Faut qu’on s’arrête ! dit-elle brusquement.
— Non, on est en retard…
— Faut qu’on s’arrête, merde !
Le capitaine rangea le fourgon sur le côté. Franck fit coulisser la portière et attrapa Marianne par le bras. Philippe descendit aussi, au cas où elle aurait des velléités d’évasion.
Mais elle n’alla pas bien loin. Se plia en deux au dessus d’un caniveau. Finit à genoux dans l’herbe rachitique d’une bordure de nationale. Nausée fulgurante qu’elle ne parvint pas à soulager. Incapable de vomir sa peur, elle se contentait de suffoquer comme une asthmatique en pleine crise. Philippe l’aida à se relever.
— Excusez-moi, je ne me sentais pas très bien…
Ils reprirent place dans le fourgon, Laurent mit la gomme pour rattraper le temps perdu. Essayant tout de même de ne pas trop secouer sa passagère, ratatinée sur la banquette.
Franck enfila des gants, effaça ses empreintes digitales sur le Glock et le portable qui serait leur seul lien. Laurent amorça un ralenti.
Ils arrivaient dans une agglomération déserte. Ils étaient à F.
Ils roulèrent encore dix minutes, entrèrent dans un quartier résidentiel où de jolis pavillons côtoyaient les maisons de maître, perdues au fond de parcs immenses.
— On y est, annonça le capitaine en garant le véhicule. La rue Auguste-Renoir est à deux pas…
Marianne tenta de décompresser sa poitrine. Franck et Philippe descendirent, elle les suivit. Le commissaire lui confia le pistolet, le silencieux, le téléphone. Elle s’aperçut alors que Laurent la tenait en joue. Elle plaça le Glock dans l’étui, le reste dans les poches intérieures du blouson. Philippe lui remit aussi une sorte de lacet en plastique dur.
— Ce sont des menottes, expliqua le lieutenant. Ça peut te servir… Tu passes les mains de la personne dans la boucle et tu serres.
Il lui donna également un couteau et une lampe de poche. L’attirail du parfait boy scout partant en balade. À part le Glock, bien sûr. Heureusement qu’elle avait plein de poches. Franck lui administra les dernières consignes, l’ultime piqûre de rappel.
— Marianne, il faut que tu saches que… J’ai deux hommes à moi à S. C’est juste une mesure de précaution… Ils peuvent récupérer Daniel en prison au cas où. Ils ont un faux mandat, de quoi…
— Ça ne sera pas nécessaire, coupa Marianne. C’est tout ce que tu avais à me dire ?
Il l’emmena un peu plus loin. Laurent la gardait néanmoins dans son viseur.
— Nous t’attendrons ici. La rue Renoir, c’est la deuxième à gauche… Tu as encore une question ?
— Non.
— Alors à tout à l’heure, Marianne. Et bonne chance…
Ils se dévisagèrent encore quelques secondes. Ce fut si douloureux qu’elle eut une sorte de vertige. Puis elle partit à petites foulées vers le numéro 12 de la rue Renoir.
La muraille de Chine dans la banlieue de F. Forteresse imprenable. Le proc’ vivait avec la peur au ventre. Marianne vissa le silencieux au bout du canon puis se montra à la caméra du portail, avant de l’exploser d’une balle. Elle fut surprise par le recul qui lui déboîta presque l’épaule.
Elle entreprit l’escalade du portail en fer, qui dépassait les deux mètres de hauteur. Elle passa par-dessus, entre deux pics acérés, cala son pied sur une traverse. Elle essaya de trouver une prise pour descendre lentement, mais son pied glissa et elle dévissa de sa paroi métallique avant de percuter le sol avec une violence qui la laissa étourdie quelques instants.