Выбрать главу

Elle avait oublié les flics qui l’attendaient dehors. Avait oublié un instant pourquoi elle était là. Elle s’agenouilla près du corps, posa le canon sur son crâne. Juste en haut de sa nuque brisée. Le canon tremblait autant que sa main, que son bras.

Tire, Marianne. Il est déjà mort, de toute façon. Tire. Pour sauver Daniel.

Elle bloqua sa respiration, appuya sur la gâchette. Le corps se souleva dans un soubresaut terrifiant, elle reçut une giclée de sang, de chair et d’os en pleine tête. Elle partit à la renverse, recula sur les fesses. Resta un moment tétanisée face au cadavre. Puis elle essuya son visage souillé comme si elle voulait s’arracher la peau. Calme-toi Marianne. Casse-toi d’ici.

Marianne de Gréville semble incapable de discerner le bien du mal… Pourtant, elle a été reconnue responsable de ses actes

Elle se releva doucement, récupéra la mallette puis tituba jusqu’au vestibule. Tellement de sang sur son visage. Le sien et celui d’Aubert. Elle dut encore s’arrêter un instant. Au bord de l’évanouissement.

Je requiers donc une peine exemplaire, la plus lourde qui soit

Elle récupéra tous les trousseaux de clefs avant de se ruer dans le jardin et de galoper comme une dératée jusqu’au portail. Dans la rue, elle partit d’abord dans le mauvais sens. Rebroussa chemin, accéléra encore. Comme poursuivie par une horde de loups affamés. Le fourgon, enfin ! Elle fonça droit dessus. Ne put s’arrêter à temps et percuta la taule comme un bolide sans freins. Les flics descendirent en vitesse, la trouvèrent effondrée sur l’asphalte. Dans un état effrayant. Plus de souffle. La figure, les mains, les vêtements maculés de sang. Les yeux hagards.

Franck l’embarqua à l’arrière, l’allongea sur la banquette, récupéra le Glock. Elle ouvrit les yeux ; trois faces inquiètes se penchaient au-dessus d’elle.

— Marianne ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu m’entends ? Donnez-moi de l’eau, les gars…

Philippe lui passa une bouteille d’eau minérale. Franck en aspergea le visage de Marianne qui eut un brutal sursaut. Il la souleva par les épaules.

— Marianne ? Tu m’entends ?

— Oui…

— Il est mort ? Tu l’as tué ?

Il la secoua brutalement.

— Oui, gémit-elle avec une voix à l’agonie.

— Tu es certaine qu’il est mort ? cria-t-il.

— Oui ! hurla-t-elle en le repoussant méchamment. Il est mort ! MORT !

— Et le dossier ?

— Il est dans la mallette, dit Laurent. Je viens de vérifier.

— Alors allons-y ! ordonna le commissaire. Faut pas traîner ici.

Le capitaine se plaça au volant. Franck, rassuré, continua à s’occuper de Marianne tandis que le fourgon l’emmenait déjà vers de nouvelles horreurs.

Elle fondit en larmes, il la serra dans ses bras.

Philippe, resté à l’arrière, s’accrochait à la table d’écoute pour ne pas chavirer dans les virages. Franck s’aperçut que Marianne avait une plaie à l’arrière du crâne.

— Vous vous êtes battus ? murmura-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Incapable de raconter, elle continua à sangloter. À ruiner le polo Lacoste du commissaire. En l’inondant de larmes, de sang.

Laurent s’arrêta à la sortie de la ville, se gara sur une aire de pique-nique minable. Cette fois, Marianne se vida les entrailles sur le bas-côté. Soutenue par Franck qui ne la lâchait pas d’une semelle. Pire qu’une sangsue.

Laurent fumait sa clope, appuyé contre le fourgon. Comme s’il partait en vacances avec sa petite famille. Philippe faisait les cent pas. En se rongeant les ongles.

L’aube se leva sur ce drôle d’équipage.

Justine avait fait la nuit. Seule en raison du manque cruel d’effectif. Cruel à tous les sens du terme. Elle regarda le jour pointer entre les miradors. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Pourtant, les détenues l’avaient laissée tranquille. Aucune n’avait bronché. Ni crise de manque, ni bagarre, ni détresse à soulager. Seulement la sienne à supporter.

Quelque chose continuait de lui bouffer les tripes, méthodiquement. Comme un parasite, un truc qui se nourrissait de sa vie, l’asséchait lentement. La peine, immense. Le chagrin, la rancœur, l’impuissance. La culpabilité. La haine. Et la peur de la haine. Plusieurs parasites à vrai dire.

Elle arpentait le couloir du quartier d’isolement. Passa devant la cellule 119, toujours vide. Cruel à dire, ça aussi. Marianne lui manquait. Puis elle s’arrêta devant la 127. Ouvrit la trappe. VM était déjà debout. En train de s’entraîner.

Justine l’observa quelques instants. Arme de guerre toujours en état de marche. Toujours prête. Jamais lasse ou désespérée. Elle entra, VM se redressa.

— Bonjour, surveillante… Qu’est-ce qui se passe ?

Justine s’assit près de la table.

— Je peux vous prendre une cigarette ?

— Allez-y…

VM s’installa face à la gardienne. Intriguée par cette visite matinale. Inhabituelle.

— Qu’est-ce qui vous amène dans ma tanière, surveillante ? Vous n’avez pas l’air bien…

— Non, je ne suis pas bien…

— Je comprends.

Justine la dévisageait avec insistance.

— Vous avez quelque chose à me demander ? supposa calmement VM. Allez-y, je vous écoute.

— Qu’est-ce que… Qu’est-ce qu’il faut pour tuer quelqu’un ? murmura Justine.

Passé l’étonnement, VM lui répondit avec un sourire sec et froid.

— Une bonne raison.

Justine n’osait avouer ce qu’elle était venue chercher ici. Le savait-elle vraiment, d’ailleurs ? Mais VM le devina.

— Vous avez envie de vengeance, surveillante, c’est ça ?

— Je sais pas… Oui. C’est elle qui l’a assassiné… Solange… Et Portier, aussi…

— Vous avez envie de les tuer ?

— Parfois… Parfois, je…

— Oubliez ça, Justine. Vous n’êtes pas une meurtrière, vous ne le serez jamais.

— Et si…

— Si quoi ? Vous êtes en train de me demander de le faire à votre place ?

— Non, je…

— Je ne suis pas une tueuse à gages, surveillante. Même si je refroidissais Pariotti, vous ne pourriez le supporter. Vous avez de la haine au fond de vous, c’est normal… Mais vous avez surtout du chagrin. Oubliez ça, Justine. Croyez-moi… Vous gâcheriez votre vie. Et vous ne le méritez pas. Vous la combattrez autrement. Avec vos armes, à vous.

— Vous avez raison. Je ne sais même pas pourquoi je suis venue et…

— C’est pas bien grave. Et puis… Quelque chose me dit que cette salope le paiera un jour.

*

Le fourgon était encore sur l’aire de pique-nique. Laurent surveillait les aiguilles de sa montre. Franck, à l’arrière, soignait Marianne, Philippe jouant les assistants. Il nettoya ses blessures. Crâne et arcade sourcilière ouverts, lèvre supérieure fendue. Plaies sur les dix doigts. Elle se laissait faire.

— Change-toi. Tu ne peux pas entrer comme ça dans le Palais. Déjà que t’as la gueule d’un boxeur…

Il sortit une rechange complète d’un sac. Philippe admira la prévoyance et le calme de son patron. Il se tourna, Marianne se débarrassa avec soulagement de ses fringues maculées d’horreur. Franck en profita pour enfiler une chemise propre. À croire qu’il ne se déplaçait jamais sans sa garde-robe. Le lieutenant lui proposa un chewing-gum à la menthe, seul remontant disponible.

Elle retrouvait progressivement la parole mais n’avait encore rien raconté. Elle avala un demi-litre d’eau minérale. Avec la menthe forte du chewing-gum, ça gomma un peu l’amertume bileuse dans sa bouche. Elle enchaîna avec une Camel.