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— Excuse-moi, j’ai eu un petit souci… Il est sorti ? Ouais ? OK… Où est-il ?

Elle percevait une voix masculine à l’autre bout. Il ne faisait pas semblant. Elle entendit même que Daniel était dans un bar. Au comptoir, en train de fumer une clope et de boire un café.

— Chopez-le dès qu’il sort. Vous me le gardez au chaud… Je vais venir le chercher. Essayez de ne pas trop l’abîmer, OK… ?

Elle entendit on va essayer. Il raccrocha. Elle pleurait. Il sut qu’il avait gagné.

— T’es contente, Marianne ? demanda-t-il en s’accroupissant devant elle. Il ne va pas profiter longtemps de sa liberté. Dommage pour lui…

Laurent et Philippe usaient toutes leurs forces à la contenir.

— Arrête-les ! hurla-t-elle. Je vais aller au Palais ! Je vais aller te chercher le dossier…

— Le dossier ? Et la juge, alors ?

Elle ferma les yeux. Il la saisit par la nuque.

— Je vais la tuer ! s’empressa-t-elle d’ajouter. Je vais la tuer ! Rappelle-les !

Il se releva, satisfait. Il appuya sur la touche bis, la même voix émana du combiné.

— Vous l’avez eu… ? Pas encore ? Ne bougez pas, pour le moment… Mais ne le lâchez pas d’une semelle, compris ?

Oui patron, on ne le quitte pas des yeux. Il raccrocha à nouveau.

— Tu vas être en retard, Marianne, lança-t-il sèchement.

Les flics la libérèrent.

— Nous t’attendrons ici. S’il y a un problème, tu m’appelles… Le numéro ?

— 06.75.83.20.11.

— Bien. L’adresse où nous rejoindre si jamais ça tourne mal ?

— 26, rue Descartes à G. sur M.

— Très bonne mémoire, Marianne ! Dommage que tu sois aussi têtue…

Il enfila ses gants en cuir, lui confia le Glock. Laurent la braqua instantanément avec son Beretta.

— N’oublie pas de vérifier que c’est le bon dossier. Et que la juge est bien morte…

— Oui… Vous ferez rien à Daniel ?

— Ça dépend de toi, Marianne. Donne-moi une seule bonne raison et…

Elle fit non avec la tête.

— Bonne chance, Marianne. Et n’oublie pas ton mec.

Philippe fit coulisser la porte. Marianne sauta sur le trottoir avant de marcher droit devant elle. Le lieutenant referma et Franck se laissa tomber sur la banquette. Visiblement exténué.

— Tu as été parfait, souligna Laurent en allumant une Marlboro.

Parfaitement dégueulasse, pensa Franck en fermant les yeux.

Les marches du Palais. Grandioses. Marianne eut une torsion intestinale. Elle se souvenait les avoir montées plusieurs fois en star du crime. Avec escorte de paparazzi et gardes du corps en képi. Là, elle les monterait seule. Trop tôt pour la déferlante de prévenus, avocats et juges. Elle alluma une cigarette, consulta l’heure sur son portable. Huit heures pile. Forestier devait être arrivée. Elle n’était jamais en retard, selon Franck. Une de ces maniaques de la ponctualité. Marianne tira sur sa Camel avec frénésie. C’était peut-être sa dernière clope. Elle piétina ce qu’il en restait sur l’asphalte avant de se lancer à l’assaut du grand bâtiment qui annonçait la couleur. Liberté, égalité, fraternité. Meurtre prémédité.

Elle grimpa calmement les marches, cachant ses mains abîmées au fond des poches de son blouson en jean. Qui cachait lui-même un calibre 45. Elle pénétra dans le hall. Là, les ennuis pouvaient commencer. Coup d’œil circulaire. Deux avocats discutaient, leurs petites mallettes à la main, leurs robes noires de prêtres justiciers sur le dos. Un peu plus à gauche, l’accueil vitré. À éviter. Elle reprit sa marche lente et silencieuse. Ne pas courir…

Elle gagna un escalier sur la droite, s’accrocha à la rampe. Croisa un type qui la dévisagea avec curiosité. Son cœur accomplit un tour de montagnes russes dans sa poitrine.

Il m’a reconnue ! Ou peut-être… Je dois vraiment avoir une gueule effrayante ! Une gueule de boxeur, comme dirait Franck. Salaud de Franck. Faudrait que je lui fasse la peau. Et dire que j’ai couché avec lui ! Je suis vraiment tarée ! La première fois, j’étais complètement défoncée… C’est cette saloperie de came… Mais cette nuit, pourquoi je suis restée dans ses bras ?

Plus tard. Pour le moment, il faut sauver Daniel. Je suis là pour toi, mon amour. Seulement pour toi.

Elle arriva sans encombre au deuxième étage. Là, ça risquait de se compliquer. On n’accédait pas comme ça aux bureaux des juges. D’abord, montrer patte blanche. Calée contre la porte, elle jeta un œil dans le long couloir. En plein milieu, une table avec un type assis derrière. Qui lisait la presse du matin. Bien sûr, on devait passer devant lui pour accéder à l’antre de Forestier. Attendre qu’il aille pisser ou qu’il pique un roupillon. Ou qu’il meure d’une crise cardiaque. Ou souffre d’une crise d’hémorroïdes. Ou qu’il se fasse dévorer par un tyrannosaure.

Putain ! Comment je vais faire ? Elle resta plantée là cinq minutes à réfléchir. Le gars ne bougeait pas d’un centimètre. Évidemment. Y a que dans les films que le mec se taille au bon moment. Dans la réalité, il restait le cul vissé sur sa chaise. Il avait un café, un journal passionnant, aucune envie pressante pour l’inciter à se lever. On n’était pas dans une super production américaine. Juste en plein cœur du plan foireux du commissaire Francky. Il fallait donc trouver un moyen de contourner l’obstacle. Marianne cherchait l’idée du siècle. Ne trouva que l’idée du jour. Grâce à une rencontre imprévue. Une femme de ménage qui sortit un chariot d’un local non loin du bureau du buveur de café. Et qui s’éloigna en chantonnant. Marianne lorgna dans la cage d’escalier. Personne. Elle s’élança dans le couloir, armée de son plus joli sourire. Dommage qu’Aubert lui ait arrangé le portrait, ça ne lui faciliterait pas la tâche. L’homme au journal leva les yeux vers elle. Un regard mou, sans profondeur. Deux guimauves décolorées.

— Bonjour, monsieur… J’ai rendez-vous avec le juge Forestier.

— C’est un rendez-vous bien matinal !

— Oh ! C’est parce que c’est d’ordre privé ! On est copines, Nadine et moi…

Il paraissait tout sauf convaincu. Vrai que cette jeune fille qui semblait avoir passé la nuit avec Mike Tyson, peinait à passer pour l’amie de l’éminente et distinguée Nadine Forestier.

— Je la préviens.

— Inutile ! assura-t-elle en brandissant son portable. Je l’ai appelée depuis le hall ! Elle m’attend…

— Ça ne fait rien, dit-il en empoignant le téléphone. Je la préviens quand même, c’est la procédure…

— Ne vous donnez pas cette peine, monsieur…

— C’est la procédure.

Commence à me gonfler avec sa procédure.

— Votre visage me parle, ajouta-t-il. Vous venez souvent ici ?

Une grosse caisse résonnait dans sa poitrine. Un orchestre au grand complet.

— C’est la première fois.

L’huissier composa les trois chiffres du numéro interne de la juge.

— Qui dois-je annoncer ?

Marianne posa un doigt sur l’interrupteur de communication. Il la toisa de travers.

— Vous savez quoi ? On va faire un truc très agréable, tous les deux… On va oublier la procédure

Il resta la bouche ouverte. Décidément, c’était la saison du poisson-lune. Il ne vit même pas arriver le poing qui le percuta en pleine tête.

Lui et sa fidèle chaise partirent en arrière. Groggy. Marianne lui administra l’extrême-onction. Coup de pied dans la tempe. Dodo, monsieur l’huissier. Réveil migraineux en perspective ! Elle l’empoigna par les aisselles, le traîna jusqu’au local. Avec l’impression de tracter une baleine échouée. Yeux-de-Chamallow devait bien avoisiner les soixante-quinze kilos. Elle referma la porte, respira un grand coup. Personne pour contrarier son petit exercice de musculation. La chance était donc de la partie. Mais le temps passait trop vite.