Elle piqua un sprint, arriva enfin à destination. Une grande porte blanche et moulurée. Avec une jolie plaque dorée. Juge d’instruction Nadine Forestier. Cascade de mauvais souvenirs… Elle pensa frapper. À quoi bon ? Elle frapperait plus tard. Elle tourna la poignée, entra, referma derrière elle. Se retrouva face à un visage familier. Jamais oublié.
Contrairement au procureur, Forestier ne mit pas trois secondes à la reconnaître. Ses traits se décomposèrent au ralenti.
— Mon Dieu ! murmura la magistrate.
— Non, ce n’est que moi. Dieu n’est pas avec vous, aujourd’hui…
Ce n’était pourtant pas le moment de déclamer de grandes phrases.
— C’est bien le dossier Dufour que vous vouliez, Nadine ?
Marianne frisa la crise cardiaque. Tourna la tête sur sa droite. Un petit cagibi ou plutôt un grand placard communiquait avec le bureau. La voix émanait de là. Et une jeune femme en tailleur gris et lunettes en surgit, une pochette à la main. Elle ne vit pas Marianne immédiatement. Mais suivit le regard pétrifié de la juge. Les trois femmes se dévisagèrent mutuellement dans un silence écrasant.
Marianne songea à faire demi-tour. Pensa aussitôt à Daniel. Je suis dans la merde. Jusqu’au cou. Jusqu’à la racine des cheveux.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’informa la jeune femme à lunettes.
La juge se leva doucement, Marianne écarta le pan de son blouson, empoigna son Glock. L’intruse lâcha son dossier. La magistrate s’immobilisa sur le champ.
— Du calme… Pas un geste, pas un cri.
— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda Forestier avec un impressionnant sang-froid.
— J’avais très envie de vous revoir, madame le juge…
— Mais qui êtes-vous ? s’étrangla Lunettes.
— C’est Marianne de Gréville.
Lunettes vira au rouge puis au blanc.
— En personne ! ajouta Marianne. Et vous, vous êtes qui ?
— C’est Clarisse Weygand, expliqua Forestier. Ma greffière.
Elle avait toujours aimé répondre à la place des autres. Êtes-vous coupable ? Oui, vous êtes coupable.
Putain ! Francky va m’entendre ! Elle n’arrive jamais avant neuf heures… Mon cul, oui !
Elle essaya d’activer ses neurones. Agir dans l’ordre. Elle tourna le verrou de la porte. Inutile qu’un quatrième larron ne s’invite à la fête. Elle inspecta le cagibi. Pas de sortie, pas de fenêtre, pas de téléphone.
— Clarisse ? Approchez…
La greffière avala sa salive. Marianne arma son pistolet.
— Approchez avant que je m’énerve…
La greffière activa ses pieds sur le lino, resta tout de même à une distance raisonnable.
— Tournez-vous, Clarisse…
— Qu’est-ce que vous allez me faire ?
— Si tu n’obéis pas, je vais te tuer, voilà ce que je vais faire…
La greffière obtempéra. Marianne l’assomma d’un coup de crosse dans la nuque. Elle s’effondra avec la grâce d’une ballerine interprétant La Mort du Cygne. Les yeux de la juge débordaient de leurs orbites. Ses lèvres fines s’étaient pincées en cercle.
— Fous-la dans le placard, ordonna Marianne.
Forestier empoigna sa fidèle servante par les poignets. La traîna jusque dans le local. Elle geignait sous l’effort. Craqua sa jupe un peu serrée.
— Ferme la porte, maintenant.
La magistrate s’exécuta. Marianne l’approcha.
— Qu’est-ce que vous êtes venue faire ici ?
— Tu m’as manquée pendant toutes ces années… Mais je suis pas venue prendre le thé. Je cherche un dossier… Le dossier Charon.
Stupeur en face. Décidément, ce nom avait tendance à déclencher des réactions assez fortes.
— Je veux ce dossier, répéta Marianne. Et vite, en plus…
— Je n’ai aucun dossier de ce nom-là, mademoiselle de Gréville.
Bien sûr, elle n’allait pas céder aussi facilement. Marianne lui adressa un sourire sanguinaire, histoire de lui rappeler qui elle était.
— Mais si, tu l’as ! Tu as même l’original, ici… Tandis que la copie se trouve chez ton amant… Au passage, faudra que tu m’expliques comment tu peux t’envoyer en l’air avec ce débris !
— Je ne comprends vraiment rien…
Marianne soupira.
— Alors je te ré-explique… Toi, tu as l’original de ce dossier. Et moi, je suis venue le récupérer. Après avoir volé la copie chez ton copain le proc’… C’est assez clair ?
— Vous êtes allée chez Xavier ?
— Ouais, tout à l’heure. C’est très sympa chez lui, d’ailleurs… Très classe… Surtout la serre ! Mais tu sais, il était en train de mater un film porno quand je suis arrivée… Tu dois pas lui suffire.
— Mon Dieu !
— Arrête avec ton dieu ! Envoie le dossier. Sinon, je te jure que je te descends.
— Si vous me tuez, vous n’aurez pas le dossier. Moi seule sais où il se trouve.
Marianne fut un peu désarçonnée par tant d’audace. La juge se rebiffait. Elle avait toujours été une dure à cuire. Au moins, Forestier venait d’avouer qu’elle avait bien le dossier. Bon début.
— T’as raison, admit-elle. Mais je vais t’obliger à parler, je te le garantis…
Nadine Forestier tentait de masquer sa peur sous l’air hautain dont elle ne se départait d’ailleurs jamais. Marianne décida de passer à l’action. La douleur était la seule à pouvoir faire craquer cette espèce d’iceberg monté sur talons aiguilles.
Elle rangea le Glock dans l’étui, Forestier se précipita soudain en direction de la porte. Marianne n’eut aucune peine à la rattraper, la plaqua face contre un mur, déclenchant un cri étouffé.
— Ta gueule !
Marianne la poussa jusqu’au bureau, l’écrasa à plat ventre dessus, le nez dans l’un de ses fameux dossiers. Un bras tordu dans le dos, une pression insoutenable sur la nuque.
— Il est où, ce dossier ?
— Je… Je ne l’ai pas ici…
Marianne vrilla un peu plus son poignet. Appuya sur ses cervicales pour l’empêcher de crier.
— Tu oses te foutre de ma gueule ? Tu veux vraiment que je te casse le bras ?
— Non ! Je vous jure que…
— Putain ! Je perds patience, là ! Tu te rappelles, je sais pas distinguer le bien du mal… Tu t’en rappelles, dis ?
— Il n’est pas ici ! Vous perdez votre temps !
— T’as raison, tu me fais perdre mon temps ! Alors on va accélérer un peu !
Elle sortit de sa poche la lanière en plastique remise par Philippe. Noua les poignets de Forestier. Serra à fond jusqu’à ce que le sang ne passe plus.
— C’est agréable, les menottes, madame le juge ? Ça te plaît ? Tu te souviens quand tu refusais qu’on me les enlève ? Quand je restais des heures menottée à cette chaise ?
La juge gémissait, mais n’avouait toujours pas. Marianne la souleva par les cheveux, la força à tomber à genoux face au bureau. Elle reprit son pistolet en mains, planta le canon dans sa gorge.
— Écoute-moi bien. Parce que je vais pas répéter cinquante fois la même chose…
Une petite complainte de souffrance vint ponctuer les menaces.
— Des amis tiennent absolument à récupérer ce dossier. Si je reviens les mains vides, je vais mourir… Et je ne tiens pas du tout à crever, tu piges ?