Elle avait soudain envie de renoncer. De les laisser entrer, de les laisser l’emmener. Non, jamais je ne retournerai en taule. Plutôt mourir. Elle contempla son Glock, bien au chaud dans sa main droite. Réfléchis, Marianne… Tu ne vas pas crever maintenant. Maintenant que la liberté te tend les bras. Tu as éliminé deux pourritures, réglé ta dette à la société. Gagné ta rédemption. Même si c’est dans le sang. Alors, hors de question de mourir maintenant ! Tu as payé, tu as le droit de vivre. De vivre libre. Avec Daniel. De lui donner ton amour pour l’éternité. Sauver Daniel…
Voilà l’ultime mission. La mission de sa vie, en fait.
Elle survola du regard cette pièce où elle avait connu des heures terribles. Se força à affronter le corps toujours chaud de son ancienne tortionnaire. Qui la fixait encore, au-delà même du trépas. Avec son petit air supérieur. Figé, maintenant.
Il doit bien exister un moyen de sortir d’ici vivante. Franck m’a choisie, moi. Parce qu’il pensait que j’étais la plus forte. Assez forte pour y arriver… Non… Il m’a choisie parce que j’étais la coupable idéale aux yeux de tous… Ressaisis-toi, Marianne. Elle tourna la tête vers le cagibi. La solution était là. Elle s’appelait Clarisse Weygand. Le téléphone sonna, elle sursauta. Elle hésita, puis décrocha.
— Oui ?
— Qui est à l’appareil ? interrogea une voix masculine rauque et sèche.
— Même question, répondit calmement Marianne.
— Je suis le commandant Joreski, police judiciaire. Et vous ?
— Marianne de Gréville.
Silence de mort. Son nom avait tendance à tarir les éloquences les plus vives. Elle sourit.
— Je suis armée, précisa-t-elle.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Sortir d’ici sans encombre…
— Pourquoi avez-vous pris la juge en otage ?
— Je n’ai pas pris Forestier en otage…
— Dans ce cas, laissez-la partir.
— Je vais avoir du mal, monsieur… Je viens de la tuer… Vous êtes encore là, commandant ?
— Oui.
Nouveau silence. Elle imaginait la tête du flic sans même la connaître. Encore un poisson-lune.
— Et maintenant, je veux me tirer d’ici sans qu’il y ait de morts supplémentaires…
Le ton se fit plus dur, à l’autre bout.
— Je vous conseille de sortir mains sur la tête. C’est vraiment la seule chose à faire pour qu’il n’y ait pas une mort supplémentaire.
— Je ne retournerai pas en taule, commandant. Mettez-vous ça dans le crâne.
— Tu viens d’assassiner un juge, Gréville. Jamais on ne te laissera partir. Enfonce-toi ça dans le crâne.
— J’ai avec moi la greffière de Forestier… Clarisse Weygand. Elle, elle est encore en vie pour le moment. Ce serait bien qu’elle le reste, vous ne trouvez pas ? Si vous donnez l’assaut, je la tue… Vous m’entendez, commandant ?
— Oui, Marianne… Je vous entends.
Il avait mis un peu de sirop dans sa voix. Se souvenait subitement de son prénom.
— Ordonnez à vos hommes de dégager le secteur. Je vais sortir avec la fille… Si jamais je vois un uniforme, je tire dans le tas. Ça pourrait se terminer en carnage. J’ai un automatique, un chargeur plein de seize balles… Et je sais m’en servir.
— Il faut vous rendre, Marianne. Sinon, vous allez vous faire tuer…
— Vous êtes bouché ou quoi ? Je ne me rendrai jamais ! Jamais, vous entendez ? Il faut me laisser partir, sinon vous aurez la mort de Weygand sur la conscience… Et peut-être d’autres, aussi… Je veux une bagnole à la porte de derrière. Avec le plein, évidemment. Moteur en marche, portières ouvertes. Dans dix minutes. Et, bien sûr, aucun flic dans les parages. Vous m’avez bien comprise ?
— Oui… Pourquoi avez-vous tué le juge ? Qu’est-ce que vous voulez ?
— Rien. Je voulais juste lui faire la peau. La vengeance, commandant… Tout comme Xavier Aubert, le proc’… Vous l’avez trouvé ? Vous devriez aller chez lui… Faire un brin de ménage… Faudrait enlever les restes de sa cervelle sur les murs.
— Vous avez tué Aubert ?! s’étrangla le flic.
— Oui, monsieur… Vous voyez, je n’ai vraiment plus rien à perdre. Je ne suis pas à un cadavre près. Alors faites très attention à la greffière… Elle, vous pouvez encore la sauver si vous déconnez pas… Commandant ? Faudrait pas trop traîner, je deviens nerveuse. Et quand je suis nerveuse, je fais n’importe quoi…
— Oui… On va vous donner la voiture.
— Très bien. Rappelez-moi quand elle sera prête.
Marianne raccrocha. Prit son front entre ses mains.
— Putain de merde ! Je vais pas m’en sortir ! Je vais pas m’en sortir…
Elle jeta un œil par la fenêtre. Un fourgon venait de s’arrêter. Six hommes cagoulés en surgirent. Armés jusqu’aux dents. GIGN ou RAID. De mieux en mieux ! Elle imaginait le même fourgon derrière le Palais. Ta dernière heure est là, Marianne ! Tu as toujours su que tu finirais mal. Elle fondit en larmes, se recroquevilla sur le sol. Resta ainsi de longues minutes. S’attendant à voir débouler les hommes en noir dans le bureau. À recevoir une rafale d’arme automatique en pleine tête. Mais ce fut la sonnerie du téléphone qui trancha le silence.
— Marianne ?
— Je vous écoute, commandant…
— La voiture est en bas.
— Parfait. Et les hommes du GIGN, ils sont où ? Dites-leur de se casser, commandant. J’ai un œil sur eux.
— OK. Mais je vous conseille de ne pas toucher à mademoiselle Weygand…
— Si vous ne m’y forcez pas, je ne lui ferai aucun mal. Je descends dès que vos molosses sont retournés à la niche.
Elle ouvrit le cagibi. Clarisse était ratatinée au fond du placard. Une sorte d’amas de chairs vibrantes.
— Amène-toi…
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Amène-toi ! gronda Marianne.
La greffière marcha lentement vers Marianne, louchant sur son arme. Lorsqu’elle arriva dans le bureau, elle buta sur le cadavre de Forestier, poussa un cri hystérique.
— Ta gueule !
Marianne la saisit par un bras et la força à s’asseoir sous la fenêtre. À l’abri derrière le mur, elle épia les hommes du GIGN qui remontaient dans leur véhicule et partaient. Sans doute cinquante mètres plus loin. Mais c’était toujours ça.
— On va faire une petite balade, toutes les deux… Prends la pochette mauve sur le bureau. T’as pas intérêt à la lâcher ! C’est précieux pour moi, tu piges ?
— Oui… Oui…
— On va y aller. J’espère pour toi que les flics ne vont pas nous canarder… Tu sais conduire ?
— Oui… Oui, j’ai une voiture…
— Une voiture ? Elle est où ?
— Dans le parking… Au sous-sol.
Un spot lumineux clignota soudain dans son cerveau.
— On y accède comment ?
— Il… Il faut descendre dans le hall et… Il y a un ascenseur avec une clef.
— C’est dans la même direction que la porte de derrière ?
— Oui… Juste avant dans le couloir…
— Parfait. Prends les clefs de ta bagnole et celle de l’ascenseur.
La greffière obéissait, un peu mécaniquement. Marianne lui passa un bras autour de la gorge et la força à avancer.
— Ouvre… Doucement… Tu vois quelque chose ?
— Non… Y a personne, on dirait…
— Ne joue pas aux héroïnes, Clarisse. J’ai déjà tué des tas de gens… J’ai vraiment plus rien à perdre. Sauf la vie, tu saisis ?
— Oui… Je ferai rien ! Ne me tuez pas !
— Si t’es bien sage, je ne te ferai aucun mal… Allez, c’est parti !