Le couloir, désert complet. Elles étaient tout au bout, ils ne pouvaient donc pas surgir dans leur dos. Marianne tenait le pistolet braqué dans la nuque de son otage.
Ils avaient évacué le Palais. Aucune mauvaise rencontre jusqu’au hall, désert, lui aussi. Mais, sur le parvis, un bon paquet d’uniformes. Armes au poing, Marianne dans leurs viseurs.
Elle planta le canon du Glock dans la gorge de la greffière. Continua de protéger sa fuite, planquée derrière son bouclier. Dans un silence irréel. Elles bifurquèrent dans un couloir, avancèrent dos au mur, en crabe, de façon à ce que Marianne puisse surveiller les deux côtés de la coursive. Il fallut passer une porte fermée par un digicode. La greffière enfonça son badge dans la fente. Sésame, ouvre-toi.
— Tu es parfaite, murmura Marianne qui la sentait défaillir dans ses bras. Continue comme ça…
L’ascenseur, enfin. Marianne l’appela d’un coup d’épaule. Elles s’engouffrèrent à l’intérieur. Clarisse introduisit la clef dans la serrure, la cabine plongea vers le sous-sol. Marianne la serrait contre elle au cas où les flics l’attendraient à l’arrivée. Les portes s’ouvrirent à nouveau sur une pénombre peu engageante. Clarisse alluma la lumière.
Apparemment, les képis n’étaient pas descendus jusque-là. Forcément, ils l’attendaient ailleurs.
— C’est laquelle ta bagnole ?
— La… Golf… grise…
Clarisse appuya sur la clef, les clignotants de la Volkswagen s’agitèrent avec un bruit de haute technologie.
— Tu conduis, moi je grimpe à l’arrière…
— Je… vous donne la voiture ! Mais laissez-moi partir !
— Tu conduis ! menaça Marianne en enfonçant l’arme dans ses côtes.
Clarisse s’installa au volant, Marianne s’allongea sur la banquette arrière.
— J’ai le flingue pointé dans ton dos. À la moindre connerie de ta part, je te descends. La sortie donne où ?
— Dans la rue de derrière…
— Là où il y a la porte ?
— Oui… Mais beaucoup plus loin…
— OK… Tu sors, tu prends dans la direction opposée à celle de la porte… Parce qu’il y aura une caisse garée en plein milieu.
— Mais… Je ne peux aller qu’à droite. À gauche, c’est interdit…
— Tu fonces à gauche, d’accord ? S’il y a des keufs, ils se pousseront. Fonce et ne te pose pas de questions ! Tu as compris, Clarisse ? Allez, démarre !
Elle mit le contact puis activa le portail électrique. Marianne ne voyait pas grand-chose.
— Fonce ! ordonna-t-elle. Surtout, t’arrête pas ! Sinon, on est mortes toutes les deux !
La greffière pressa l’accélérateur avec l’énergie de la peur et la Golf s’élança dans un dérapage à peine contrôlé. Marianne voyait défiler des bouts de ciel, des fenêtres d’immeubles. Des lampadaires.
— Tu vois des flics ?
— J’ai forcé le passage !
Marianne se redressa un peu, restant tout de même pliée en deux pour ne pas offrir une cible parfaite aux tireurs d’élite.
— Ils nous suivent ! hurla soudain Clarisse en se cramponnant au volant.
Deux voitures banalisées leur filaient le train, à cinquante mètres. Bien en vue.
— Reste calme. C’était prévisible. Il faut se débarrasser d’eux. Tu vas prendre à droite et là, tu accélères…
Clarisse était un as du volant, une chance ! Elle bifurqua, appuya sur le champignon, projetant Marianne sur le dossier. Les flics toujours aux fesses.
— Faut les semer ! gueula Marianne. Démerde-toi comme tu veux ! Sinon, tu vas crever avec moi !
Les policiers restaient à distance, cherchant seulement à ne pas les perdre de vue. Peu enclins à acculer une tueuse de l’envergure de Marianne dans une souricière qui pourrait coûter la vie à une greffière. Ils avaient déjà perdu un proc’ et un juge.
La Golf s’engouffra dans une ruelle, tomba nez à cul avec une benne à ordures qui avançait au ralenti.
— Qu’est-ce que je fais ? gémit Clarisse.
— Double ! Par le trottoir !
— Ça passera jamais !
— Double ! somma Marianne en plantant le canon dans sa gorge.
La Golf grimpa sur le trottoir, sous les regards ébahis des hommes en combinaison verte.
— Plus vite ! brailla Marianne.
La voiture renversa un container, le traîna sur dix mètres, puis retrouva la chaussée. Les flics prirent le même chemin. Mais la benne avait continué d’avancer. Le passage s’avérait désormais impossible. Le véhicule de police s’encastra entre un immeuble et une camionnette mal stationnée.
— Ouais ! jubila Marianne. Fonce, fonce, fonce !
Virage sur deux roues. L’arrière de la Golf percuta une voiture en double file. Mais reprit sa bonne trajectoire. Clarisse continua à suivre les instructions de sa copilote surexcitée. Deuxième virage en angle droit. Toujours à plein régime. Marianne lorgna derrière. Pas l’ombre d’une voiture.
— À droite, maintenant !
— C’est un sens interdit !
— À droite !
La Golf pila d’un coup sec, chassa encore de l’arrière.
— C’est bon, dit Marianne, je crois qu’on les a semés…
Clarisse se mit soudain à pleurer. Pas très pratique pour conduire.
— Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous allez faire ?
— J’ai besoin de toi tant qu’on n’est pas sorties de cette ville… Ensuite je te laisserai partir.
— Non ! Vous allez me tuer ! Comme Nadine !
La greffière éclata en sanglots. Marianne leva les yeux au ciel. Si elle continue, elle va se planter !
— J’ai buté la juge parce que j’avais un compte à régler avec elle. Mais je n’ai rien contre toi. Tu n’as rien à craindre… Sauf si tu me joues un tour. Alors cesse de chialer et tirons-nous d’ici !
Clarisse retrouva un semblant de calme. La Golf se mêla à la circulation matinale assez intense de ce côté-ci. Marianne toujours à l’arrière, recroquevillée sur la banquette. À l’affût du moindre képi. Du moindre uniforme.
— Il faut aller dans un endroit tranquille… Et surtout, tu grilles pas les feux, tu dépasses pas les limitations de vitesse. T’as bien compris ?
— Oui, bredouilla la greffière en remontant ses lunettes sur son nez.
— Tu t’en sors comme un chef, Clarisse…
Ils étaient restés dans le fourgon. Non loin du 26 de la rue Descartes, à G. sur M.
Ils attendaient sans trop y croire de voir surgir Marianne. Ils n’étaient pas entrés dans la petite maison, leur planque. Si jamais elle se faisait prendre et avait la mauvaise idée de leur déballer l’adresse, mieux valait rester prêts à décoller en urgence. Laurent, les yeux braqués dans le rétroviseur, grillait sa énième cigarette. Philippe et Franck se momifiaient à l’arrière.
— Elle s’en sortira pas, murmura le lieutenant pour la dixième fois.
— Garde espoir, répondit Franck. Elle a peut-être trouvé la solution.
Sur le canal police, ils n’arrivaient pas à choper les infos sur ce qui se passait au Palais de justice de P. Laurent mit la radio des actualités en continu. Ils subirent quelques publicités soporifiques avant d’entendre le jingle du flash de neuf heures trente.
Drame au Palais de justice de P. ce matin. Le juge d’instruction Nadine Forestier vient d’être assassinée dans son bureau. D’après les premières informations dont nous disposons, elle aurait été abattue par Marianne de Gréville, il y a environ une heure. Marianne de Gréville, c’est cette jeune détenue de la maison d’arrêt de S. qui s’est évadée il y a un peu plus d’une semaine. Les forces de l’ordre ont encerclé le Palais mais elle a réussi à s’enfuir en prenant en otage une jeune greffière dont on reste sans nouvelles pour le moment…