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— Sors, ordonna-t-elle.

— Mais… Pourquoi ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

Elle avait enlevé ses lunettes. Regard enfantin. Empli d’une terreur à la Petit Chaperon Rouge.

— Sors, je ne vais pas te faire de mal…

Clarisse descendit de la Golf. Resta pétrifiée face à Marianne. Tu ne peux pas la laisser partir. Elle pourrait prévenir les flics, leur dire où tu es… Franck sera là dans quinze minutes. Elle n’aura jamais le temps de prévenir qui que ce soit. On est perdues dans le trou du cul du monde…

Elle était dans le bureau lorsque tu as demandé le dossier Charon au juge, n’est-ce pas

Marianne se sentait écartelée.

— Tu as des enfants, Clarisse ?

— Oui… Une fille.

— Comment elle s’appelle ?

— Juliette. Elle a trois ans… Vous allez me tuer, c’est ça ?

— Tire-toi !

L’incrédulité pétrifia la greffière quelques secondes.

— Sauve-toi, répéta Marianne. Va-t’en…

Clarisse marcha doucement à reculons. En direction du bois.

— Cours ! cria Marianne. Barre-toi ! Vite !

La greffière fit volte-face et se mit à galoper. À une vitesse incroyable. Marianne la regarda s’évaporer sur le chemin herbeux. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un souvenir. Elle s’adossa à la voiture, sécha de nouvelles larmes de nervosité.

Il allait la tuer. Tu as eu raison, Marianne.

Rédemption. Un mot qui sonnait bien. Qui prenait un sens.

Clarisse courait. Si vite, malgré ses chaussures de ville. Une championne d’athlétisme, Clarisse.

Elle s’arrêta enfin, sur une petite route mal goudronnée. Reprit son souffle, appuyée sur un muret. Non, la criminelle ne l’avait pas suivie.

Lorsqu’elle eut retrouvé des battements de cœur presque normaux, elle récupéra son téléphone cellulaire dans la poche intérieure de sa veste. Continua à marcher. Composa le 17.

Bizarre que cette cinglée n’ait pas pensé à me confisquer mon portable…

Marianne consulta de nouveau l’heure. Trente-cinq minutes. Elle commençait à trouver le temps long.

Elle pensa à les rappeler. Mais peut-être valait-il mieux économiser la batterie ?

Et puis elle craignait que Franck ne lui demande des nouvelles de l’otage.

Non, patienter était le mieux. Le plus sage. Elle avait rangé le flingue dans l’étui, jouait nerveusement avec les clefs de la Golf seize soupapes.

De temps à autre, une voiture passait sur la départementale, derrière la fermette. Mais pas l’ombre d’un fourgon.

Clarisse s’était écroulée sur un banc en bois, à l’abri d’une petite chapelle. Toujours ouverte pour les âmes égarées. On lui avait dit de ne pas bouger. D’attendre une voiture de gendarmerie ou de police. De laisser la ligne de son portable libre. Elle tremblait encore. Avait envie de prévenir ses proches que son calvaire était fini. Son mari qui devait être mort d’inquiétude… Sa mère, aussi.

Mais ils feraient vite, avait promis la voix.

Elle entendit le bruit d’un moteur qui approchait. Sourit à l’effigie du Seigneur qui la contemplait du haut de son calvaire en forme de croix. Qui la protégeait. Qui avait veillé sur elle.

La lourde porte grinça. Un homme entra en même temps que le soleil. Comme une lumière divine. Elle se dressa sur ses jambes fragiles.

— Clarisse Weygand ?

Elle tremblait de la tête aux pieds. Il lui montra une carte tricolore. Elle se jeta dans ses bras.

— C’est fini, mademoiselle… Elle vous a blessée ?

— Non… Non… Mais… J’ai eu si peur !

— Je comprends, assura le policier d’une voix compatissante. Venez, maintenant.

Il était l’envoyé de Dieu, le chevalier, le prince charmant. Il la prit par la main, elle la serra très fort.

Il était si beau. Si rassurant. Un sourire si tendre. Elle l’aurait suivi jusqu’au bout du monde. Son sauveur. La fin du supplice et de la terreur.

Il la dévisagea. Elle se noya tout au fond de ses prunelles. Il avait un regard si… D’une incroyable couleur.

Ses yeux, comme deux émeraudes, étincelaient dans la pénombre de la chapelle.

Quarante-cinq minutes, maintenant. T’affole pas, Marianne. Ils vont arriver d’une minute à l’autre… Elle fuma une cigarette. Assise sur le capot de la Golf.

Quand je serai libre, je m’achèterai une caisse comme celle-là. Ouais. Gris foncé, c’est vachement classe !

Putain, Franck ! Mais qu’est-ce que tu fous ?

Le fourgon s’enfonça dans un chemin de terre. Clarisse avait tout raconté. En une seule rafale. Tout ce qu’elle avait vu. Entendu, surtout. Revenue à elle dans le cagibi, elle avait entendu Marianne de Gréville torturer la juge pour obtenir un dossier. Le dossier Charon, qu’elle, sa propre greffière, ne connaissait pas. Sauf que le nom Charon lui disait quelque chose.

Franck l’avait écoutée, sans prononcer le moindre mot. Laurent stoppa le moteur. Le commissaire fit coulisser la porte latérale. Il s’éloigna pour passer un coup de fil. Il raccrocha, fit quelques pas. S’appuya sur un arbre. Resta ainsi quelques minutes. Puis enfin, il revint vers le véhicule.

— Venez avec moi, Clarisse.

Il lui souriait, elle se leva. Mit sa main dans la sienne.

— Pourquoi on s’arrête ici ?

Laurent descendit à son tour. Pas besoin de longues explications. Il ne pouvait laisser Franck seul. Devait affronter l’horreur avec lui. Philippe, lui, s’était ratatiné sur son siège.

— Pourquoi on s’arrête ici, commissaire ? répéta Clarisse.

Franck la regarda fixement pendant quelques secondes. Elle vit tant de choses dans ses grands yeux verts. Des ombres douloureuses, des armées de démons. Puis les émeraudes se mirent à briller de mille feux. Comme s’il allait se mettre à pleurer.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta la jeune femme.

Il sortit une arme de sa poche. Celle du brigadier de l’hôpital.

— Qu’est-ce que… balbutia la greffière.

Il arma le 357, leva son bras presque au ralenti. Clarisse ouvrit la bouche. Recula doucement.

— Non…

Franck cherchait la force. Cherchait au fond de ses tripes quelque chose qui ressemblait à du courage. Ou à de la lâcheté. Ou au sens du devoir. Ou à un mélange des trois. Qui ne ressemblait à rien de connu.

Clarisse tomba à ses pieds.

— Monsieur ! Je vous en prie ! Ne me tuez pas !

Cette voix lui déchirait les chairs plus sûrement qu’un scalpel. À genoux dans l’herbe sèche, elle s’agrippait à ses jambes. Il recula brutalement. Pour ne plus sentir ce contact insupportable. Elle se plia en deux vers l’avant. Pour une dernière prière. Aussi inutile que toutes les autres. Tandis que Franck fermait les yeux quelques secondes. Pour échapper à ces images. Insoutenables.

— Non !

Il rouvrit les yeux.

— Pourquoi vous faites ça ? Ne me tuez pas !

Il tira. Trois fois.

Clarisse s’affaissa juste un peu sur l’avant. Jusqu’à ce que son visage embrasse la terre. Quelques tressaillements la secouèrent encore. Et puis, plus rien. Elle tomba sur le côté.

Morte.

Ça n’avait pas duré une minute. Ça le poursuivrait jusqu’à la fin de sa vie. Il resta le bras tendu. Se mit à trembler d’une façon impressionnante. Statue de pierre secouée par un séisme.

Laurent l’empoigna par les épaules. Puis baissa son bras à la rigidité cadavérique.