— J’emprunte les axes secondaires ? proposa le capitaine. À cause des barrages…
— Non. Prends la route la plus courte. Ils ne fouilleront jamais un fourgon de flic.
Laurent avait une conduite particulièrement souple mais les nerfs des deux infirmiers étaient mis à rude épreuve.
— Elle est au courant pour le suicide de Bachmann, annonça soudain le commissaire.
— On sait, répondit Philippe. On a vu le journal… Elle a réagi comment ?
— Elle… Elle voulait me buter.
— Te buter ? s’écria Laurent. Comment tu l’en as dissuadée ?
— J’ai rien fait… Elle a fini par renoncer. A dit qu’il y avait eu trop de sang versé. Je crois surtout qu’elle n’avait plus la force. Elle… Elle avait peur de mourir toute seule. À la fin, elle voulait que ce soit moi qui la tue…
Laurent mit un peu de musique pour détendre l’atmosphère. Le fourgon dévorait les kilomètres à vitesse réduite. Une sorte de compte à rebours résonnait dans le véhicule, transformé en ambulance. Avec l’espoir partagé qu’il ne se transformerait pas en corbillard avant d’arriver à T.
— Barrage ! annonça soudain le pilote avec son calme habituel.
À peine vingt bornes de parcourues. Philippe tira le rideau de séparation derrière le siège conducteur.
Laurent stoppa face à trois hommes armés de fusils. Baissa la vitre tout en sortant sa carte tricolore.
— Bonsoir messieurs.
Il brandit tout de suite son laissez-passer magique.
— Excusez-nous, capitaine. On doit arrêter tous les véhicules.
— C’est bien normal colonel, répliqua Laurent. Toujours aucune trace de Gréville ?
— Non… Mais on vient de retrouver la Golf. À trois bornes de G. sur M. Panne sèche !
— Ah ? Elle n’a plus de bagnole, alors ?
— Elle en a peut-être volée une autre. Du coup, ça nous complique la tâche. Mais on a retrouvé beaucoup de sang sur les sièges, elle est donc gravement blessée. Elle n’ira pas bien loin.
Marianne se mit à gémir, Franck plaqua précipitamment une main sur sa bouche.
— Vous allez où ? bavarda le gendarme.
— Je remonte sur P., mentit Laurent. Je ramène le soum’…
— Eh bien bonne route, capitaine !
— Bon courage à vous, répondit Laurent avec un petit salut militaire. J’espère que vous allez la choper, cette petite ordure.
— Je peux vous dire que si elle se pointe ici, on tire à vue. On l’achève !
Il attendit que les herses soient enlevées de la chaussée pour repartir en douceur. Franck ôta sa main. Marianne gardait toujours les yeux fermés mais bougeait de temps à autre. La chemise du lieutenant était complètement imbibée de sang.
— On va la perdre, murmura-t-il.
Philippe s’agenouilla près de la banquette, plaça la main de Marianne dans la sienne.
— Elle est glacée…
Il trouva un plaid, la couvrit jusqu’au menton.
— Allez, Marianne, tiens bon… Ne nous lâche pas maintenant !
Ils passèrent un deuxième barrage, tenu par des CRS. Perdirent encore de précieuses minutes.
— Combien de temps ? interrogea le commissaire.
— Une demi-heure environ, répondit le capitaine. Elle a repris connaissance ?
— Non, dit Philippe. Accélère…
Pied au plancher, il secoua ses passagers comme à la fête foraine dans les nombreux virages.
Ils arrivèrent enfin à la propriété. Alors que l’aurore pointait son aura lumineuse.
Franck porta Marianne à l’intérieur, l’allongea sur la table de la cuisine. Il regarda ses coéquipiers avec angoisse. Le plus dur restait à faire. Mais elle avait au moins survécu au trajet. Avec une paire de ciseaux, il coupa le tee-shirt en son milieu.
— Faut un médecin, murmura Philippe devant l’étendue des dégâts.
— On ne peut pas, rétorqua Franck d’un ton nerveux. Tout le monde connaît son visage, maintenant. Ce serait du suicide.
— Mais elle va crever ! s’indigna le lieutenant.
— Non… On va faire le nécessaire.
— Ah oui ? J’savais pas que t’étais docteur !
— Il faudra bien qu’on se débrouille. Qu’est-ce qu’on a ici ?
— La trousse de premiers secours du fourgon, répondit Laurent. Elle est assez complète, mais… Là, c’est pas un petit bobo.
— Elle pisse le sang ! ajouta Philippe, aussi blanc que la table en formica.
— Je connais un toubib, reprit le capitaine. Je peux peut-être l’appeler ? C’est une bonne copine de ma frangine. Elle pourrait nous expliquer la marche à suivre. Nous filer quelques conseils… Je lui monterai un bobard !
Franck contempla encore Marianne. Sentiment d’impuissance face au carnage.
— OK, acquiesça-t-il enfin. Appelle-la…
Laurent réveilla d’abord sa sœur qui lui donna le numéro dans un demi-sommeil. Tira ensuite la doctoresse des bras de Morphée. Lui raconta qu’ils avaient un blessé par balles. Un mec qu’ils ne pouvaient sous aucun prétexte emmener à l’hôpital. Un témoin capital, poursuivi par la mafia… un truc à dormir debout. Mais ça tombait bien, la chirurgienne dormait à moitié. Il expliqua en gros l’état du malade. L’endroit où les balles avaient perforé la chair. Il s’adressa à Franck.
— Les balles sont ressorties ?
— Apparemment oui, répondit le commissaire.
— Oui, elles ont traversé… Ouais, c’est une chance… Je sais pas…
Il consulta à nouveau à son patron.
— Est-ce qu’il y a un organe vital de touché ?
— Comment veux-tu que je le sache ! pesta Franck.
— On sait pas… Ouais…
Le capitaine fit une grimace significative. Nota encore quelques mots.
— Ouais… Il a perdu beaucoup de sang… Euh… Il pèse environ… soixante-quinze kilos…
Le commissaire écarquilla les yeux.
Laurent lui adressa un regard signifiant à lui tout seul qu’il pouvait difficilement prétendre que son blessé de sexe masculin pesait cinquante-cinq kilos à tout casser ! Il continua à converser avec la chirurgienne, fouilla l’intérieur de la trousse de secours.
— Ouais ! Génial, on en a… Comment ça marche ? OK, j’ai compris… On va essayer… Non, c’est gentil, Viviane mais tu peux pas venir. On est vachement loin. Je te rappelle si j’ai besoin. Merci… Merci beaucoup et pardon de t’avoir tirée du pieu.
Il raccrocha enfin, soupira.
— Bon, c’est pas de la tarte… Pour commencer, il faut nettoyer les plaies avec une gaze et de l’eau bouillie… Ensuite, faut passer dessus du truc antiseptique. Et puis, il faut recoudre…
— Recoudre ? s’étrangla Philippe.
— Ben oui… Il suffit apparemment d’avoir une aiguille et du fil, bien désinfectés.
— Génial ! gémit le lieutenant. J’ai toujours adoré la couture…
— Dès que c’est fini, je fonce à la pharmacie. Il lui faut des antibios, des calmants. Et des trucs pour tout le sang qu’elle a perdu…
— Ils vont te filer tout ça sans ordonnance ? s’inquiéta Franck.
— Je me débrouillerai. Je leur passerai la toubib, en cas. Et puis ils commencent à me connaître là-bas !
— Co… comment on fait pour l’endormir ? demanda Philippe.
— L’endormir ? s’étonna Laurent. Mais elle dort déjà…
— Et si elle se réveille ? On va pas la recoudre sans l’endormir !
— Si, affirma le capitaine. Elle ne se réveillera pas… Elle est complètement dans les vapes.
Franck passa une serviette humide sur le visage de Marianne, désinfecta les petites écorchures, le plus facile. Tandis que Laurent mettait la maison sens dessus dessous pour trouver un nécessaire de couture. Il hurla Euréka au bout de dix minutes. Marianne geignait parfois, des plaintes à peine audibles. Mais, à aucun moment, elle n’ouvrit les yeux.