Выбрать главу

— Ils t’ont tout de même pas tuée ! constata Laurent.

— Parce que la directrice est intervenue juste à temps. J’ai passé trois semaines à l’hosto…

— Bon, on va peut-être parler d’autre chose ! coupa Franck.

— Volontiers, acquiesça Marianne.

Les entrées arrivèrent au bon moment. Nœud pap’ fit un grand sourire à Marianne. Leur souhaita bon appétit. Elle retourna ses deux verres à pied.

— Je me souviens plus… Le grand, c’est pour le vin, c’est ça ?

— C’est l’inverse ! indiqua Franck.

Laurent remplit les verres. Le commissaire leva le sien.

— À ta liberté, murmura-t-il.

— Si je survis jusque-là…

— Et pourquoi non ?

— Parce que le petit serveur a certainement déjà ameuté l’armée.

— Alors, dans ce cas, à notre dernier repas ! rectifia Franck en souriant. La vie sans risque, ça vaut pas le coup !

— T’es vraiment malade ! Si t’avais goûté aux cachots, tu serais moins détendu.

Il n’arrêtait pas de sourire. Elle ne l’avait jamais vu comme ça.

— T’as croisé des détenus connus ? reprit Laurent.

Franck lui adressa un regard un peu courroucé qui signifiait change de conversation, t’es lourd.

— Laisse, dit Marianne. Ça ne me dérange pas… J’ai connu VM…

Marianne se mit à parler à bâtons rompus. VM, qui lui avait sauvé la vie, les Hyènes qui voulaient sa peau simplement parce qu’elle avait une cote de popularité élevée. Emma malmenée, suicidée. La Marquise, la mort de Monique… Ils étaient médusés par tant de cruauté. Là, juste derrière les murs des prisons de la République. Mais aussi tant de solidarité. Un monde à part, un monde inconnu.

Puis Marianne fit une pause. C’était dur de repenser à tout ça. Eux semblaient passionnés par ses récits. Elle réalisa que ça la soulageait d’en parler. Même si ça lui ouvrait le cœur en deux.

— J’aurais juste aimé tuer la Marquise avant de partir. Daniel serait toujours vivant… Elle savait pour lui et moi… J’ai vu sur le journal qu’elle avait témoigné contre lui.

— Pourquoi, à ton avis ?

— Parce qu’elle est pourrie jusqu’à la moelle. Qu’elle était amoureuse de lui, et qu’il me préférait à elle… La jalousie, quoi.

Elle ne put réprimer une larme qu’elle essuya bien vite avec sa jolie serviette en coton. Franck lui posa discrètement une main sur la jambe.

— Essaie d’oublier tout ça…

— Oublier ? Ça risque pas !… Et vous ? Vous faites quoi à part sortir de taule les criminels ?

Franck sembla soudain embarrassé.

— Disons que nous sommes chargés de missions un peu particulières…

— Ça, j’avais saisi, monsieur le commissaire ! C’est quoi, votre truc ? DST ? RG ?

— On peut pas te répondre, princesse !

— Tant pis ! Alors, vous m’autorisez à liquider la Marquise ? Ça ne prendra que quelques minutes…

Philippe manqua encore d’avaler de travers.

— Arrête, pria Franck. On ne peut pas faire un truc pareil !

— Vous avez tous les droits, non ? Alors pensez à toutes ces pauvres filles qu’elle torture en prison. Cette femme, c’est un monstre. Y a même pas de mots pour la décrire… Elle et Portier…

— Portier ?

— Un des gradés du quartier des mecs. C’est lui et ses copains qui m’ont envoyée à l’hosto le soir où j’ai tué Monique. Si je l’avais en face de moi…

— Impossible ! répéta le commissaire. Mais peut-être qu’un détenu finira par leur régler leur compte…

— Il n’y a qu’une fille comme moi pour faire la peau à un maton. La plupart ont trop la trouille de ce qui les attend après. Des jours et des jours de torture, ça dissuade la plupart…

— Mais pas toi, c’est ça ?

— Je sais pas. J’y pensais pas. Je dois être timbrée…

Nœud pap’ ramena son joli sourire. Débarrassa les assiettes. Marianne se tourna un peu vivement sur la droite pour admirer le plan d’eau. Elle poussa un gémissement, pressa sa main sur sa blessure.

— Fais attention, tout de même, conseilla Franck. Faudrait pas faire sauter les points.

— Comment vous avez fait pour le toubib ?

— Quel toubib ? s’étonna Laurent en allumant une cigarette.

— Celui qui m’a soignée, évidemment ! Ça s’est pas recousu tout seul !

À leur tour de raconter. Comment Franck s’était transformé en chirurgien, Laurent en infirmier et Philippe en secouriste. Elle semblait épatée.

— Tu ne te souviens de rien ? demanda Franck.

— Un peu. Mais je devais être dans un sale état parce que c’est très flou… Je me rappelle du plafond de la cuisine, du capitaine qui me parlait. De la douleur. Et puis après, plus rien. Si j’ai bien compris, vous m’avez sauvé la vie. Et moi, j’ai oublié de vous remercier…

— C’est de notre faute si tu t’es fait tirer dessus, répondit Franck. Normal qu’on ait tout fait pour te soigner, non ?

— Vous auriez pu me laisser crever, la mission était finie.

— On aurait pu, oui. Mais on n’en avait pas envie.

— Ouais ! Tu nous aurais manqué ! ajouta Laurent. On se serait vachement ennuyés sans toi !

— Eh bien… Faudra que je pense à vous dire merci, alors…

— C’est ça, princesse. Faudra que tu y penses !

— Vous êtes quand même de drôles de types… Et au fait, comment va la Fouine ?

— La fouine ? répéta Philippe. Quelle fouine ?

— Comment il s’appelait déjà… Didier !

Ils explosèrent de rire.

— Il règle la circulation à un carrefour de P. !

— Houa ! T’es dur, toi !

— Non, je plaisante. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a quitté mon équipe.

— C’est ma faute, tout ça. Pauvre gars ! Dire qu’il pourrait se la couler douce au bord d’un joli plan d’eau ! La vie est cruelle…

*

Marianne s’écroula sur une chaise. Un peu éméchée. Ivre de sensations anciennes, oubliées. Elle était épuisée mais souriait. Laurent apporta des bières et un coca pour elle. Après le resto, ils l’avaient emmenée se balader. Des heures et des heures de liberté, l’émerveillement à chaque pas, du bonheur plein les yeux. Ils l’avaient même conduite sur le quai d’une gare minuscule. Une heure à regarder passer les trains, sur un banc, en plein soleil. Ces trains qu’elle avait écoutés si souvent. Les voir passer, s’arrêter. C’était si intense.

Une journée inoubliable. Où elle avait fait ce dont elle avait envie.

Tout ce qu’elle aurait aimé faire avec Daniel.

— Ça va ? s’inquiéta Franck. T’es fatiguée ?

— Un peu… Mais ça va.

Son sourire sombra doucement.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu pleures ?

Elle enfouit son visage dans ses mains, s’appuya sur la table. Il passa un bras autour de son épaule.

— Marianne… Qu’est-ce que tu as ?

— Rien… Rien ne t’en fais pas. C’est juste que… Ça va passer.

Elle releva la tête, essuya ses larmes. Les considéra avec une mine un peu coupable.

— C’est juste l’émotion, c’est rien. Ça faisait si longtemps que… Si longtemps qu’on ne m’avait pas offert un cadeau comme celui-là…

Franck lui rendit son sourire ému. Caressa sa joue.

— Ce n’est que le début, Marianne. Dans quelques jours, tu pourras faire tout ce que tu veux…