— Vous le devez, Franck… ! Il faut nous comprendre… Cette fille représente une menace pour Dumaine comme pour la population. On ne peut pas la remettre en liberté. Ce serait… criminel.
Criminel. Justement le mot qui venait à l’esprit de Franck. Il sortit son épée du fourreau. Prêt à se battre.
— Elle a frôlé la mort pour récupérer ces films. Elle a pris deux balles dans la peau, a passé vingt-quatre heures dans le coma. Mes hommes et moi avons tout fait pour la sauver… Ce n’est pas pour la tuer ! Elle a accompli sa part du contrat. Elle a désormais le droit à sa récompense.
— Je comprends vos sentiments, Franck… Mais j’ai beau eu m’efforcer de convaincre le ministre, il n’en a pas démordu. Et je crois sincèrement qu’il a raison.
— Je ne la tuerai pas, monsieur. N’insistez pas.
Le conseiller soupira. Croisa les mains dans le dos.
— Vous n’avez pas le choix, Franck. Dans cette histoire, vous êtes mouillé jusqu’au cou, vous comprenez… Vous ne pouvez pas vous opposer à Dumaine. Tout ça pour cette fille… Ce n’est qu’une meurtrière. Une folle.
— C’est une jeune femme de vingt et un ans. Qui a risqué sa vie pour sauver celle du ministre. Qui a montré un courage hors du commun.
— Franck, soyez raisonnable, je vous en prie ! Jusqu’à présent, vous avez été parfait. Ne gâchez pas tout pour elle… Vous vous êtes attaché à elle, c’est ça ?
— Je ne m’attache à personne, monsieur. Mais je n’ai qu’une parole et je croyais que c’était aussi valable pour vous. Visiblement, je me suis trompé.
Hermann accusa le coup. Nouvelle insulte. Mais ce n’était pas ça qui le contrariait. C’était ce refus obstiné. Cette perte de temps et d’énergie.
— Cette fille doit mourir, Franck. Le ministre vous l’ordonne. Vous m’entendez ?
— Je vous entends. Mais je refuse de commettre ce crime.
Hermann eut un léger sursaut. Le mot crime, sans doute. Il fit quelques pas, traçant un cercle imaginaire autour de son nouvel ennemi.
— Franck… Réfléchissez, s’il vous plaît. Vous ne pouvez plus reculer. Si vous laissez partir cette fille, vous commettrez une lourde erreur, croyez-moi…
— Vous me menacez ?
— Non… J’essaie simplement de vous faire revenir à la raison.
Il s’arrêta de marcher, se planta à nouveau face au commissaire.
— Oubliez vos scrupules à la con !
Il commençait à faiblir. À employer des mots inhabituels. À perdre un peu ses moyens.
— Mes scrupules ? Vous connaissez donc le sens de ce mot, monsieur ? Je pense pourtant que les scrupules ne doivent pas beaucoup vous embarrasser…
— Et vous ? Je vous rappelle que vous avez été l’instigateur de deux assassinats, Franck. Vous en avez vous-même commis un troisième… Vous avez abattu de sang froid une jeune femme.
Douleur dans la poitrine. Clarisse, à genoux devant lui. Ses suppliques qui le poursuivaient dans ses insomnies. Ou dans ses cauchemars.
— Sur vos ordres ! Je l’ai abattue sur vos ordres ! rappela-t-il d’une voix assassine.
— Mes ordres ? Je ne vois pas de quoi vous parlez, monsieur le commissaire…
Franck serra les poings. Malgré la chaleur, les émeraudes étaient glacées.
— Je vous le répète, vous n’avez pas le choix.
— On a toujours le choix, monsieur.
— Non, pas toujours. Ne nous obligez pas à… À nous montrer plus persuasifs, si vous voyez ce que je veux dire…
— Non, je ne vois pas. Précisez votre pensée, monsieur le conseiller.
Il venait de dire monsieur le conseiller comme il aurait craché sale pourriture. Hermann, pourtant, gardait un calme relatif.
— Ne croyez pas que je fais ça de gaîté de cœur. Je vous transmets simplement les ordres du ministre. Et vous devez vous y plier.
Le cerveau de Franck entra dans une série de circonvolutions douloureuses. Il ne lui avait pas avoué ses intentions la semaine dernière parce qu’ils avaient espéré que Marianne ne survivrait pas à ses blessures. Une belle bande de salauds ! Il fallait choisir la bonne option, maintenant. Celle qui pourrait sauver la vie de Marianne, celle de ses hommes. Et la sienne, aussi. Il avait une arme en sa possession, certes. Une de celles dont on ne connaît pas la portée. Une de celles qui peut vous arracher le bras avant d’atteindre sa cible.
Hermann attendait qu’il se prononce. Qu’il accepte ou refuse. Lui aussi cachait sans doute encore une arme. Impossible qu’il n’ait pas prévu d’autres arguments pour le faire céder. Pourtant, il tenta encore la manière douce. La corruption.
— Je vous en prie, Franck… Soyez raisonnable ! N’oubliez pas que nous saurons nous montrer reconnaissants, envers vous-même et vos équipiers…
Le commissaire voulait connaître la dernière carte de son ennemi. La puissance de feu qu’il allait devoir affronter. Car jamais il ne capitulerait. C’était pour le moment sa seule certitude.
— Je ne tuerai pas Marianne, martela-t-il.
Le visage d’Hermann se durcit subitement. Son vrai visage, sans doute. Ils se tenaient face à face, le monde semblait ne plus exister autour d’eux.
— Le ministre et moi avions confiance en vous, Franck. Vous me décevez beaucoup, vous le décevrez beaucoup…
— Je vous renvoie le compliment.
Hermann fit un pas en arrière. Comme s’il prenait son élan.
— Franck… Je me doutais que vous réagiriez ainsi, même si j’espérais que vous seriez plus… comment dire… plus compréhensif. Moins stupide ! C’est vraiment dommage…
— Désolé de vous décevoir, monsieur.
— Étant donné que je prévoyais ce cas de figure, j’ai pris mes dispositions…
Voilà. Franck augurait le pire. Ruiner sa carrière et celle de ses hommes, sans doute. Les radier d’une manière ou d’une autre de la police. En les traînant dans la boue, si possible. Franck attendait, stoïque. Prêt à tout entendre.
Presque.
Hermann sortit quelque chose de sa poche. Une photographie, apparemment. Il la tendit à Franck qui resta sidéré un instant. Puis la panique s’empara de ses entrailles.
— Franck… Vous ne voudriez pas qu’il lui arrive quelque chose, n’est-ce pas ?
Le commissaire l’attrapa par le col de sa veste, l’écrasa contre un arbre.
— Lâchez-moi, pauvre fou !
— Espèce de fumier ! Si jamais tu touches à un seul de ses cheveux, je t’expédie en enfer !
— Calmez-vous ! s’étrangla Hermann. Ça ne sert à… rien… C’est déjà… trop… tard…
Franck accentua la pression.
— Trop tard ? hurla-t-il.
— Elle est… entre nos mains… Lâchez-moi… Sinon…
Franck desserra son étreinte. Il se sentit vaciller. Hermann reprit sa respiration. Il adressa un signe de la main à deux molosses en costard qui se précipitaient vers eux. Du coup, ils restèrent à distance.
— Je suis vraiment désolé d’avoir à… À en arriver là… Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer. Gréville doit mourir, c’est clair ?
Franck avait reculé, il s’écroula sur un banc. Complètement abasourdi. Il avait tout imaginé. Tout, sauf l’inimaginable. Hermann revint vers lui, n’approcha pas à moins d’un mètre.
— Où est-elle ? murmura Franck.
— Ne vous inquiétez pas, nous ne lui avons fait aucun mal. Pour l’instant, en tout cas… Mes hommes sont allés la chercher, au moment du déjeuner. Elle est avec eux. Elle est bien traitée, croyez-moi. Et dès que vous aurez terminé la mission, nous vous la rendrons…