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— S’il lui arrive quoi que ce soit, je vous tue…

— Si vous obéissez, il ne lui arrivera rien. Conduisez Gréville dans une gare. Abattez-la. Vous aurez les honneurs, Franck… Et…

Il récupéra la photo sur le banc.

— … elle aura la vie sauve. Que représente pour vous la vie de cette criminelle comparée à celle de votre propre fille ? Dès que vous aurez achevé la mission, vous la retrouverez. Vous n’aurez pas à le regretter, croyez-moi… Plus tard, vous me remercierez.

Franck se releva. Comme un boxeur qu’on croyait mort. Maintenant, il n’avait plus le choix. Il fallait déclarer la guerre totale. À lui de sortir les armes lourdes.

— J’ai fait une copie du film. Et j’ai gardé les lettres.

Un frisson secoua Hermann des orteils jusqu’aux cheveux. Mais il se reprit bien vite.

— Vous bluffez…

— Vraiment ? Je vous parle de cette vidéo où l’on voit clairement Charon et ses amis massacrer une pauvre jeune femme… Soixante minutes d’une cruauté sans nom ! Je vous parle des lettres où Nadine Forestier évoque cette affaire, où l’on apprend que Martinelli veut s’en servir contre Dumaine, le moment venu, à des fins politiques. Pour prendre sa place dans la campagne présidentielle, je suppose… Je vous parle de ces lettres où l’on comprend qu’elle et Aubert ne sont en aucun cas impliqués dans le réseau de pédophilie…

Le conseiller se liquéfiait sur place. Un esquimau fondant sous le soleil de juillet.

— Vous m’avez donné l’ordre d’exécuter trois innocents pour protéger la pire des pourritures, Hermann. Je ne vais pas vous laisser sacrifier une vie de plus ! J’ai tout prévu ; copie du film et du dossier, correspondance de Forestier. J’y ai ajouté une lettre signée de ma main, qui explique tout depuis le début. Comment j’ai aidé Marianne à s’évader, sur les ordres de qui… Et dans quel but. J’ai fait en sorte que tout cela soit bien à l’abri. Et, surtout, que ces preuves soient envoyées aux médias si jamais il m’arrivait quelque chose… Si je disparais, ça vous explose à la gueule. Si vous touchez à Marianne ou à un de mes hommes, ça vous explose à la gueule. Et si vous touchez à ma gosse, ça vous explose aussi à la gueule.

Il s’approcha encore un peu de ce qui restait d’Hermann. La main sur la crosse de son 357.

— Mais si vous la touchez, en plus de balancer le dossier, je m’occupe personnellement de vous… Si je meurs, vous sautez sur une mine. Et le ministre avec vous. Ainsi que le garde des Sceaux… Et ce, quelle que soit ma mort ! Deux balles dans la tête ou les freins de ma voiture qui lâchent… Une crise cardiaque ou l’incendie de mon appart’ ! Si je me suicide en ouvrant le gaz… Ou si je ne donne plus signe de vie pendant un court laps de temps ! Vous voyez, j’ai prévu tous les cas de figure. C’est bien pour ça que vous m’avez choisi, non ? Pour ma prévoyance et mon efficacité, n’est-ce pas, monsieur le conseiller ?!

Une grosse boule déforma la gorge d’Hermann. Franck l’aplatissait un peu plus à chaque mot.

— Vous m’aviez peut-être pris pour un crétin, monsieur le conseiller… Navré de vous décevoir !

— Vous êtes devenu fou, Franck… Complètement fou ! Vous allez tout perdre pour cette… fille !

— Non, j’ai juste ouvert les yeux. Et je vous conseille d’aller voir le ministre de ce pas. Histoire de lui apprendre que son chien de garde est devenu méchant… Marianne va quitter ce pays, vivante. Et je veux Laurine tout de suite. C’est clair ?

— Écoutez… Nous pouvons négocier…

— Négocier ? C’est exactement ce que je viens de faire. La peau de deux ministres contre la mienne et celle des gens qui comptent pour moi… Vous avez une heure pour me rendre ma fille, Hermann. Et priez pour qu’il ne lui soit rien arrivé. Si elle a la moindre égratignure, je vous égorge. Compris ?… Dans cinquante minutes je vous appelle pour vous indiquer où déposer ma gosse.

Franck fit volte-face et s’éloigna rapidement.

Hermann reprenait ses esprits. À son tour de courir un marathon cérébral.

Il téléphona au ministre. Lui exposa la situation en phrases concises. Droit au but. Dumaine était d’une intelligence exceptionnelle. En deux minutes, il trouva la solution. D’une effrayante simplicité. Ils étaient en guerre, désormais. Ils n’avaient plus le choix.

Heureusement pour eux, Hermann avait pris certaines précautions, lui aussi. Comme s’il avait senti le vent tourner. Il composa un autre numéro, distribua les ordres à la façon d’une sulfateuse.

Franck monta dans sa voiture. Tremblant de la tête aux pieds. Tentant de contrôler ses nerfs, il appela Laurent.

— Qu’est-ce t’as ? T’as une drôle de voix…

— Barrez-vous de la maison.

— Pardon ?

— Tirez-vous, tous les trois ! Allez n’importe où… Mais vérifie que vous n’êtes pas suivis.

— Tu me fais peur, là… Dis-moi ce qui se passe ?

— Pas le temps ! Obéis, je t’expliquerai plus tard. Ne rentrez pas tant que je ne vous ai pas rappelés, tu as compris ? Surtout, ne dis rien à Marianne. Simplement que vous allez faire un tour, OK ?

— Ouais, d’accord… Mais putain, explique-moi, Franck !

— Non. Plus tard. J’ai confiance en toi, Laurent.

Il raccrocha. Le visage de sa môme l’obsédait. Et s’ils s’en prennent à elle, maintenant ? Non. Ils n’oseront jamais. J’ai fait ce qu’il fallait pour la sauver. Ou peut-être tout le contraire.

Il passa ses mains sur son visage. Il errait dans un labyrinthe sombre.

Rat de laboratoire entre les mains expertes d’un chercheur sadique.

Il essaya de se concentrer. Le plus important était de récupérer Laurine. Mieux valait ne pas rester immobile pendant une heure. Il ne fallait surtout pas qu’ils mettent la main sur lui. Sinon, tout était fini. Faire le tour de la ville, pendant cinquante minutes. Ou se planquer dans un endroit sûr.

Il lorgna dans son rétroviseur. Rien. Aucune voiture suspecte. Mais le problème se présenterait lorsqu’il irait récupérer sa petite Laurine. Non, il trouverait la solution.

Comme toujours. Pourtant, les questions se bousculaient dans sa tête. Il avait peur. Peur d’avoir choisi le mauvais chemin.

*

Marianne rêvassait devant la fenêtre. Un peu fatiguée, aujourd’hui. Elle repensait à la semaine qu’elle venait de vivre. Quelques jours fantastiques. Elle en avait pris plein les yeux. Avait réalisé tant de rêves, en quelques jours. Franck l’avait conduite où elle avait voulu. D’abord, au lac de St-C., là où les cendres de Daniel avaient été dispersées. Il l’avait laissée seule pendant près d’une heure, respectant ses larmes. Puis ils s’étaient rendus au bord de l’océan. Des années qu’elle ne l’avait pas vu ! Ils y avaient passé une journée inoubliable. Comme deux amants en cavale. Deux amants sages, pourtant. Car Franck se contentait de gestes tendres, fugaces. Jamais plus.

Une semaine féerique, oui. Tant de lumière, de soleil, de ciel, d’oxygène. Une cuite de bonheur.

Franck n’allait pas tarder à revenir. Avec le passeport pour la liberté. Elle aurait dû sourire. Être heureuse d’approcher du but. Pourtant, elle ne souriait pas. Elle ne se sentait toujours pas prête.

Elle avait encore peur. Tellement peur. De tout. De se découvrir un avenir après avoir mis des années à accepter qu’elle n’en avait plus.

Peur d’elle-même comme de son ombre. Non, elle n’était pas prête. Morte de trouille, Marianne.

La nuit, elle pleurait encore. Lorsqu’elle se retrouvait seule et que tristesse et angoisses venaient l’étreindre avec force, tel un amant brutal. Elle ressemblait à ces animaux qui passent trop de temps en captivité au contact de leurs geôliers. Qui, lorsqu’on les relâche, rôdent longtemps autour de l’enclos. Tels des fantômes. À ces animaux qui ne s’adaptent plus jamais à la vie sauvage.