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Allez, Marianne, saisis ta chance ! Tu peux y arriver ! Tu peux retrouver ta liberté !

La porte s’ouvrit, elle crut que c’était Franck qui revenait avec les papiers et l’argent.

— Salut, princesse, dit le capitaine. On va se balader…

— On n’attend pas Franck ? s’étonna-t-elle.

— Non… Il va rentrer tard. Allez, habille-toi.

— Je suis un peu crevée…

— Ben, on fera juste un tour en voiture, si tu préfères… J’ai pas envie de moisir ici et je peux pas te laisser seule. Allez, amène-toi !

Elle récupéra ses clopes, ses lunettes de soleil. Philippe patientait déjà sur le perron. Il y avait une drôle de tension dans l’air. Un truc bizarre. Elle grimpa à l’avant de la voiture, ils quittèrent la propriété aussitôt. Elle remarqua bien vite que Laurent gardait les yeux braqués dans son rétroviseur.

— Qu’est-ce qui se passe ? Vous m’avez l’air sacrément nerveux, tous les deux…

— Tu te fais des idées, princesse.

— Non, je crois pas… Vous vous êtes engueulés, c’est ça ? Et pourquoi tu regardes tout le temps derrière ? T’as peur d’être suivi ?

— Non, je t’assure…

Elle cessa de le questionner, pressentant qu’il n’allait pas tarder à s’énerver. Se concentra sur sa dose journalière d’extérieur. La méthode de Franck aurait pu marcher. Sauf qu’elle était toujours en prison, finalement. Prison de luxe, certes. Mais prison tout de même. Maintenant, elle ne craignait plus de sortir avec eux. Mais n’aurait pas osé mettre un pied dehors sans eux. Son espace s’était simplement élargi. La cour de promenade était plus grande. Simplement plus grande. Mais les barbelés étaient toujours là, autour d’elle. Tout comme les barreaux. Ces grilles qu’elle était la seule à voir, sans doute.

Ceux qui sont libérés y arrivent, Marianne… Alors, pourquoi pas toi ? Peut-être parce qu’elle n’était pas sortie par la grande porte. Qu’elle n’était qu’une fuyarde. Qu’elle serait toujours en cavale. Jamais tranquille, même à l’autre bout du monde.

Parce qu’elle n’avait personne à qui se raccrocher, personne qui l’attendait dehors. Parce qu’elle avait été privée de liberté avant même de connaître la vie. Parce qu’elle n’avait pas fini de payer pour ses fautes, qu’elles pesaient encore de tout leur poids en elle. Comme des boulets à ses chevilles, ceux qui entravent les bagnards.

Poursuivie, Marianne. Par une horde de remords. Par une file indienne de corbillards. Elle s’était sentie plus libre dans les bras de Daniel qu’au bord de l’océan. Pourquoi ?

— À quoi tu penses ? interrogea soudain Philippe en s’approchant de l’appuie-tête.

— À la liberté…

— Tu as hâte ?

— Non… Pas vraiment…

Elle jeta un froid dans l’habitacle.

— T’es si bien que ça avec nous ? s’étonna le capitaine.

— J’ai peur de ce qui m’attend…

— Tu sauras très bien te débrouiller ! affirma le lieutenant.

Me débrouiller ? Et vivre, alors ?

— Il y a quelque chose en moi qui restera toujours là-bas…

Une question lui martelait la tête. Toujours la même. La liberté existe-t-elle vraiment ? L’humain s’entoure de chimères comme il passerait une armure. Le paradis, l’enfer, le bonheur. La liberté ?

*

Hermann décrocha dès la première sonnerie.

— Ma fille est avec vous ?

— Oui.

— Déposez-la à l’arrêt de bus, avenue de la République, ordonna Franck.

— D’accord. Nous y serons dans environ dix minutes.

— Et n’oubliez pas, Hermann ; s’il lui manque un cheveu, je vous tue.

Franck raccrocha. Il gara sa voiture, serra les mains sur le volant. S’instilla une dose de courage. Puis il enfila sa veste pour cacher son arme. À pied, il se dirigea vers l’avenue de la République, poussa la porte d’un troquet, presque en face de l’arrêt. Il commanda un café. Quelques personnes attendaient le bus. La vie battait son plein, indifférente. Personne ne se doutant que l’existence d’une petite fille était en danger. Personne ne se doutant du drame qui coulait dans les veines de son père. Papa va te sortir de là, ma chérie…

Une berline ralentit sur les bandes jaunes. La portière arrière s’ouvrit, Laurine en descendit. Elle alla sagement s’asseoir sur le banc en plastique, suivant certainement les instructions d’Hermann. Franck ne bougea pas un cil, la voiture grise s’éloigna doucement. Il vérifia qu’elle avait quitté l’avenue, scruta les alentours.

Rien à l’horizon, aucun homme en embuscade.

Il régla son café et quitta discrètement le bar. Puis il récupéra sa voiture, effectua le tour du pâté de maisons. Jeta un dernier coup d’œil. Une fois le bus parti, il prit sa place devant l’arrêt et baissa la vitre côté passager.

— Laurine ! Monte, chérie ! Monte vite !

Le visage de l’enfant s’illumina de bonheur. Elle grimpa, se jeta dans les bras de son père.

— Ma puce… Comment ça va ?

Elle ne lui répondit pas. Elle ne répondait jamais. Mais les mots, il les lisait dans ses yeux, aussi verts que les siens. En beaucoup plus tendres. Il boucla sa ceinture puis se remit très vite en route.

— Ils ne t’ont pas embêtée ?

Un petit signe de tête pour dire non.

— Tu as mangé ?

Elle lui montra un jouet, un truc qu’ils donnent avec les menus enfants, dans les fast-food.

— Ah ! dit-il en souriant. C’était bien ?

Apparemment, oui. Elle avait l’air calme. Ils ne l’avaient pas effrayée. Elle était d’une nature confiante. Elle ne connaissait pas le mal.

— Tu ne retournes pas au centre, aujourd’hui. Je vais t’emmener chez Irène… Tu as quelques jours de vacances, mon bébé !

Il devina un peu d’angoisse.

— Tu l’aimes bien, Irène, non ?

Elle émit une sorte de son censé exprimer la colère.

— C’est juste pour quelques jours, ma puce… Après, je viendrai te chercher… Promis !

Elle se mit à renâcler. Déçue. Ayant sans doute espéré passer quelques jours avec papa. Mais Irène, c’était la personne la plus sûre. Aucun lien avec lui, aucune chance qu’ils la localisent. Il surveillait son rétroviseur à intervalles réguliers. Laurine boudait toujours. Il passa une main dans ses cheveux aussi blonds qu’un champ de blé mûr.

— Allez ! Arrête de faire la tête !

Elle consentit à lui sourire. Le plus beau des cadeaux.

— On va faire les magasins, d’abord. Je vais t’acheter quelques trucs… Quelques affaires. Parce qu’on n’a pas le temps de retourner à l’institut. Tu choisiras ce que tu veux, d’accord ?

Évidemment, elle était d’accord ! Quand papa ouvrait le porte-monnaie pour les cadeaux, elle était toujours d’accord.

Ils quittèrent la ville, empruntèrent l’autoroute pendant quelques kilomètres. Laurine s’était assoupie. Comme souvent en voiture. Franck la regardait à la dérobée. Il avait toujours aimé la voir dormir. Parce que, prisonnière de ses rêves, elle ressemblait à toutes les autres petites filles. Il n’y avait plus tous ces tics nerveux qui venaient torturer son si joli visage. Elle semblait enfin normale. Comme il aurait tant voulu qu’elle soit.

La 307 prit la première sortie, Franck s’arrêta au péage. Plus qu’une vingtaine de kilomètres. Il avait pensé prévenir Irène mais craignait qu’Hermann ne le localise avec son portable. Elle aurait donc la surprise. Laurine dormait toujours. Franck ne pouvait se détendre. Même s’il avait sa gosse à ses côtés. Ça lui avait semblé trop facile. Ils avaient capitulé un peu vite. Il les avait sans doute pris de cours. Mais, ensuite ?