J’aurais dû accepter de sacrifier Marianne. Maintenant, je mets tout le monde en danger. Dont ce que j’ai de plus cher au monde… Pourtant, il n’arrivait pas vraiment à regretter sa décision. Trop tard, de toute façon. Et puis, tuer Marianne… Autant s’enfoncer un couteau dans le cœur.
Soudain, il remarqua le pare-buffle d’un gros 4×4 dans son rétroviseur. Avec deux hommes à l’intérieur. Ne sois pas parano, Franck. Ils ne t’ont pas suivi, comment veux-tu qu’ils te retrouvent ?
Il accéléra un peu, se trouva coincé derrière une imposante BMW. Elle-même ralentie par une Passat.
— Allez, accélérez, merde !
Le 4×4 lui collait au pare-chocs arrière, maintenant. La BM déboîta pour doubler, se mit à hauteur de la Passat. Et toutes deux pilèrent en même temps. Franck écrasa la pédale de frein à son tour. Le nez de la 307 plongea vers le bitume. Laurine s’éveilla dans un cri d’effroi. Fut projetée en avant, brutalement stoppée par la ceinture. Le 4×4 s’était placé en travers de la route, juste derrière.
Franck dégaina son arme, tandis que les hommes surgissaient des trois voitures. Armés, eux aussi. Et tellement plus nombreux.
C’était la fin. Le canon d’un fusil à pompe se colla contre la vitre, à quelques centimètres du visage de Laurine. Franck la prit dans ses bras. Maigre gilet pare-balles.
Ils étaient six. Cagoulés.
Il était seul. Terrifié.
Pas pour lui. Pour Laurine.
Ils l’avaient emmené dans une maison isolée du reste du monde. L’avaient menotté à une chaise.
— Où est ma fille ?
— Ta gueule !
Qu’attendaient-ils pour lui poser la question ? Au bout de dix minutes, Hermann apparut. C’était donc lui qu’ils attendaient. Il avait le visage crispé. Sans doute mal à l’aise d’être mêlé à cette réunion de malfrats cagoulés.
— Franck… Si vous saviez comme je suis désolé d’employer ces méthodes de voyou !
— Vous n’êtes qu’un enfoiré, Hermann ! Vous en prendre à une gosse de dix ans… J’aurais dû vous descendre au square !
— Vous auriez dû m’écouter ! s’emporta le conseiller. Vous voyez où nous en sommes à cause de votre stupide entêtement ?
— Où est ma fille ?
— Juste à côté. J’ai pensé qu’il valait mieux qu’elle ne vous voie pas dans… cette position.
Franck acquiesça en silence. Ils étaient au moins d’accord sur un point.
— Vous vous êtes cru plus malin que moi… Sauf que j’avais prévu un coup tordu de votre part.
— Comment m’avez-vous retrouvé ?
— Pendant que nous discutions dans le square, mes hommes ont posé un mouchard sous votre voiture.
Franck maudissait sa propre négligence. Une faute qui allait peut-être lui coûter la vie.
— Bon, reprit Hermann en allumant une cigarette, les choses sont devenues compliquées. À cause de vous… Mais elles vont s’arranger, j’en suis certain. Je vous propose un marché : vous nous dites où sont le film et les lettres et vous pouvez repartir…
— Repartir ? Vous me prenez pour un con ?
— Non, pas du tout ! Lorsque nous aurons tout récupéré, vous serez libre. Mais, bien sûr, nous garderons votre fille jusqu’à ce que vous ayez terminé votre boulot, Franck…
— Comment voulez-vous que je vous croie, maintenant !
— Vous n’avez pas le choix ! De toute façon, je ne veux qu’une chose : récupérer ces preuves et voir disparaître ce qui nous gêne… Quand ça sera fait, votre gamine ne nous servira plus à rien, nous n’aurons plus aucune raison de la garder. Quant à vous, vous oublierez toute cette regrettable histoire. Vous reprendrez vos fonctions… Vous voyez, c’est très simple, Franck.
— Je ne vous crois pas ! Si je vous file le dossier, vous me tuerez et vous la tuerez aussi !
Hermann se baissa un peu vers lui.
— Vous vous trompez, commissaire. J’ai trop besoin de vous pour terminer le boulot. Pour éliminer ce qui doit être éliminé…
Il ne prononçait pas le nom de Marianne. Les cagoules ne devaient pas être au courant de toute l’histoire.
— Et ensuite ? demanda Franck.
— Ensuite, vous n’aurez plus les moyens de nous menacer. Vous redeviendrez un flic comme un autre… Bien sûr, après votre petit coup d’éclat, je pense que les remerciements du ministre se feront un peu attendre… Mais vous l’avez bien cherché.
— Allez vous faire foutre !
Hermann soupira.
— Franck… Dites-moi où est ce dossier. Ne m’obligez pas à faire quelque chose de particulièrement regrettable…
La peur transfigura le visage du commissaire. Hermann enfonça le clou.
— J’espère que nous n’aurons pas à en arriver là… Mais si vous refusez de parler, nous serons contraints de nous en prendre à votre gosse. Et là, vous parlerez. Parce que vous ne pourrez pas supporter ça.
Un des hommes ouvrit une porte, revint avec Laurine. Elle voulut courir vers son père mais le monstre sans visage l’emprisonna dans ses bras. Elle semblait tellement effrayée. Le cœur de Franck se brisa.
— Combien de temps résisterez-vous commissaire ? Car même si elle ne peut pas parler, je suis sûr qu’elle doit pouvoir crier…
Il eut envie de se jeter sur lui, de lui briser le crâne. Mais ne put que sourire à sa fille. Pour la rassurer un peu. Ils ne bluffaient pas. Franck les savait prêts à tout pour arriver à leurs fins. À tout. Même à torturer une fillette.
— Alors, commissaire ?
— Emmenez-la à côté, s’il vous plaît…
Laurine repartit avec un des hommes. Franck se mit à table immédiatement.
— Le dossier est chez un notaire… Maître Paul Lescure. Rue Poincarré, à H. Il ne sait pas ce qu’il y a dans le dossier. Il n’est au courant de rien. Vous… Vous n’êtes pas obligés de le tuer.
— Encore faut-il qu’il consente à nous remettre les pièces !
— Je peux l’appeler, si vous voulez…
— Bonne idée ! Détachez-le.
Les sbires lui enlevèrent les menottes, lui donnèrent son portable.
— Avec le haut-parleur, je vous prie.
Lescure décrocha rapidement.
— C’est moi, Franck…
— Comment ça va, mon vieux ?
— Bien, bien… Dis-moi… Je vais envoyer quelqu’un récupérer le dossier que je t’ai confié.
— Vraiment ? Tu es sûr que ça va, Franck ?
— Très bien, je t’assure.
— Alors pourquoi tu ne viens pas le chercher toi-même ?
— Eh bien… Je ne peux pas aujourd’hui. Mais j’en ai besoin avant ce soir…
— Bon… Et qui dois-je attendre ?
— Un de mes hommes. Il portera un mot signé de ma main. D’ici une heure, environ…
— OK, je ne bouge pas de l’étude, de toute façon… Que ton ami me demande directement, de ta part. La secrétaire n’est pas au courant, tu comprends…
— Bien sûr… Je te remercie, Paul. À bientôt.
Il raccrocha et Hermann lui tendit une petite carte. Il y griffonna quelques mots.
Le conseiller semblait ravi. Il confia l’ordre de mission à l’un de ses hommes. Franck ferma les yeux.
— Et maintenant ?
— Maintenant, on attend que mon collaborateur revienne avec le dossier. Je vérifie qu’il s’agit des bonnes pièces et vous pouvez rejoindre votre équipe.