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— Et ils ont gardée Laurine, c’est ça ? murmura Laurent.

— Ils la garderont tant que… tant que…

Inutile de préciser. Ils avaient tous compris. Franck sortit la photo de sa poche. Comme pour leur prouver qu’il ne mentait pas. Qu’il n’avait pas eu le choix. Marianne mit un moment à reprendre ses esprits. Elle observait son futur bourreau, en train de pleurer. Remarqua alors qu’il portait son arme.

Lui piquer, m’enfuir. Partir, maintenant. Fuir la mort. Elle s’approcha de lui.

— C’est qui, Laurine ? demanda-t-elle d’une voix glaciale.

Il n’eut pas la force de répondre. Laurent le fit à sa place.

— C’est sa fille.

Elle s’empara du cliché. Une gamine blonde aux yeux verts. Quelque chose clochait dans son visage… Puis Marianne déchira la photo avec rage avant de l’éparpiller en confettis sur le sol.

Elle s’était réfugiée dans sa chambre, au premier. Sur son lit. Elle laissait couler ses larmes. Seule.

Aucun des hommes n’était monté la réconforter. Personne n’osait l’affronter, sans doute. Ils n’étaient même pas venus fermer la porte à clef. Trahie. Condamnée. Dans le couloir de la mort. Au pied de l’échafaud.

Elle essayait de détester Franck. Pas si évident que ça. Lui qui souffrait autant qu’elle. À qui on avait arraché un morceau de chair. Qui s’était battu jusqu’au bout pour la sauver.

Elle ne connaissait pas le visage de ses jurés, cette fois. Imaginait juste des hommes en costard-cravate. Sans cœur. Sans âme. Des monstres, bien pires qu’elle. Qui voulaient sa mort pour remonter dans les sondages, pour combler le peuple. Des résultats.

Ces monstres, qui s’attaquaient à une enfant pour obliger son père à assassiner.

Mais moi, je ne vais pas me laisser faire ! Debout, Marianne ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre, de sa fille ? Je ne veux pas mourir ! Je n’ai que vingt et un ans… Vingt et un ans…

Franck, c’est un ennemi. Un ennemi et rien d’autre ! Il a menacé Daniel, il s’en est pris à un innocent pour me forcer à tuer. Je vais trouver le moyen de m’échapper et le laisser dans sa merde ! Je vais pas mourir pour une gamine ! Une attardée en plus…

Elle pleura longtemps, jusqu’à ce que le soleil s’abîme à l’horizon. Elle nageait à contre-courant, luttait contre une force invisible. Elle cherchait un rocher, ou même un simple morceau de bois pour s’agripper. Pour éviter les rapides qui l’entraînaient vers la chute.

Puis, après des heures de lutte, elle s’échoua enfin sur une rive accueillante, loin des tumultes. Elle sécha ses larmes. Fin de la quête qui durait depuis trop d’années.

Elle venait de trouver ce qu’elle cherchait depuis si longtemps. Depuis toujours, peut-être. Et qui se cachait à l’endroit le plus accessible. Là, au fond d’elle-même.

Elle venait de comprendre. De trouver. La véritable Marianne.

Un étage plus bas, tout était silencieux. Laurent avait bien essayé de dénicher des solutions, mais à chaque fois, il était tombé dans une impasse. Il avait même suggéré d’enlever les gosses du conseiller ou du ministre, de procéder à un échange. Sauf qu’Hermann n’avait ni femme ni enfant. Et que Dumaine était gardé par une armée de flics surentraînés. Il n’avait pas trouvé la solution, finalement.

Tout simplement parce qu’il n’y en avait pas. Ou plutôt, il n’y en avait qu’une.

Marianne ou Laurine.

La question ne se posait même pas. Le choix, déjà fait.

Il avait pesté, ragé, insulté. Puis finalement, il s’était tu. Terrassé par l’évidence.

Tuer Marianne, ce n’était pas pire que tuer Clarisse. Sauf que maintenant, ils savaient qu’ils avaient été bernés, qu’ils avaient massacré des innocents. Sauf que maintenant, ils savaient vraiment pour qui ils travaillaient. Sauf que c’était Marianne. Et que Marianne, ce n’était pas une inconnue.

Marianne, ils l’aimaient. Ils ne l’avaient jamais autant aimée qu’en cet instant.

— C’est moi qui la tuerai, murmura soudain Franck. Je ne vous obligerai pas à…

— Je serai avec toi, assura Laurent.

— Mais… Comment je vais pouvoir l’emmener à la gare et… lui tirer dessus… J’y arriverai jamais…

Il ne parvenait même plus à pleurer.

Ils tournèrent brusquement la tête. Marianne était là. Elle avait dû entendre ses dernières paroles, sans doute. Elle s’avança un peu. Ils la regardaient, surpris. Son visage était si calme. On aurait dit un ange.

Un ange qui serrait la mort dans sa main gauche. Philippe n’eut pas le temps d’avoir peur. La lame se bloqua sous son menton. Un couteau de cuisine qui lui parut énorme. Elle dévisagea Laurent.

— Je t’avais dit qu’on ne m’entend jamais arriver…

Philippe avait un bras tordu dans le dos, une froideur mortelle sur la carotide.

— File-moi ton arme ! ordonna Marianne.

— Non, répondit Franck.

Elle appuya un peu, le sang commença à couler, le jeune lieutenant poussa un cri d’effroi.

— Tu veux un mort de plus ? Je ne me laisserai pas emmener à l’abattoir comme un animal, Franck… Envoie ton flingue. Ou je l’égorge. C’est ça que tu veux ?

Il la dévisageait. Tant de détermination dans sa voix, comme dans ses yeux.

— Le flingue, Franck !

— Marianne… Je peux pas… Je ne peux pas te laisser partir !

— Si tu es aussi bon que tu le prétends, tu me retrouveras. Peut-être… Tu auras ta chance, j’aurai la mienne.

Elle enfonça encore un peu la lame, Philippe manqua de s’évanouir dans ses bras. Il suppliait son chef du regard. Le col de son polo était déjà écarlate.

Franck prit l’arme dans son holster, la posa doucement sur le sol. De son pied, il la fit glisser jusqu’à Marianne. Elle poussa Philippe en avant, ramassa le revolver. En priant pour qu’il soit chargé. Mais vu qu’aucun d’eux ne bronchait, elle jugea que c’était le cas.

— OK, maintenant, les clefs de la bagnole…

Laurent les récupéra dans sa poche et les lui lança. Philippe comprimait la plaie pour éviter de mourir.

— Le fric, maintenant ! Celui du proc’… Je l’ai bien gagné, non ?

— Il est dans ma chambre.

— Ligote tes copains, d’abord. Ensuite, on ira le chercher tous les deux.

Le commissaire récupéra deux paires de menottes dans l’entrée. Marianne s’était placée dans un angle de la pièce pour surveiller les gestes de chacun. Pour les tenir en respect.

— Au radiateur, précisa-t-elle. Méthode de flic !

Philippe et Laurent furent attachés à chaque extrémité du chauffage en fonte. Le lieutenant eut le droit de garder une main libre pour continuer à faire pression sur la blessure.

— Allez, on y va. Passe devant, je te suis…

Franck monta l’escalier avec le canon du revolver braqué entre ses omoplates. Il ouvrit l’armoire, en sortit un sac plastique dont il vida le contenu sur le lit.

— Y a trois mille euros, dit-il.

— Je veux le Glock aussi…

Il composa la combinaison du coffre.

— Recule.

Il ne bougea pas.

— Déconne pas Franck ! Si t’es mort, tu pourras plus rien pour ta gosse.

Il consentit quelques pas en arrière. Elle récupéra le pistolet, vérifia qu’il était chargé et le fourra dans le sac avec les billets. Elle lui adressa un signe, il la précéda dans l’escalier. Constata qu’elle avait déjà préparé son sac de sport, posé dans l’entrée. Ils n’avaient rien vu, rien entendu.

Il rejoignit ses amis dans le salon. Marianne le fixait étrangement.