— T’as peur, pas vrai, Franck ? Je pourrais te tuer, là. Vous tuer tous les trois… Maintenant que j’ai le flingue, le fric, les clefs de la bagnole. Maintenant que je sais quel sort m’attend…
Il serra les mâchoires. Regretta soudain d’avoir mis Laurine en péril pour cette fille. Mais que pouvait-elle faire d’autre, à part essayer de sauver sa peau ? À sa place, il aurait agi pareillement. Sauf qu’il aurait déjà tiré, sans doute.
— Donne-moi une autre paire de menottes. Et assieds-toi près du billard.
Il ne tentait rien. Se montrait incroyablement docile. Vrai qu’une fois mort, il ne pourrait plus sauver Laurine.
Elle passa derrière lui, menotta ses poignets. Elle lança les clefs au milieu de la table de salle à manger, avec les autres.
— Vous ferez le tri… Si vous arrivez un jour à vous détacher. Moi, je dois y aller, maintenant…
Elle s’approcha à nouveau du commissaire. Posa son 357 sur le tapis vert du billard.
— Vaut mieux pas qu’ils trouvent ton arme sur moi, Franck… Si jamais je me fais serrer, tu serais dans la merde, pas vrai ? Remarque, t’es déjà dans la merde, jusqu’au cou…
Elle rangea le Glock à sa ceinture. S’accroupit devant lui.
— Laisse-moi un temps d’avance. Et puis pars en chasse…
Il écarquilla les yeux.
— Si tu me retrouves à temps et si tu tires le premier, tu sauveras ta fille.
Elle l’embrassa, il ferma les yeux.
— Un bon conseil : une chasse à l’affût, c’est souvent plus efficace qu’une longue poursuite… Bonne chance, Franck.
✩
Marianne avait roulé vite. Fatiguée par les kilomètres. Effrayée, seule dans ce monde hostile. Mais elle atteignait son but. Premier arrêt de son dernier voyage. Retour au point de départ. Là où tout avait commencé.
Elle ralentit lorsque la voiture longea les enceintes de la maison d’arrêt de S. La première fois qu’elle les voyait de l’extérieur. Impression bizarre. Comme si elle n’était pas à sa place. Du mauvais côté des barbelés. Elle consulta l’horloge de la Laguna ; vingt et une heures trente.
Elle continua son chemin, les miradors s’évanouirent lentement dans ses rétroviseurs. Elle ne savait pas précisément où ça se trouvait. Juste que ce n’était pas très loin de la prison. Une résidence qui s’appelait les Mûriers. Elle l’avait entendue en parler, une fois. Et sa mémoire ne lui faisait jamais défaut. Elle demanda à un passant, un vieux monsieur qui promenait son chien. À droite, à gauche, tout droit et ça y est !
— Merci, monsieur…
Suivant cet itinéraire, elle découvrit rapidement la résidence en question. Elle abandonna la voiture dans la rue, escalada le portail électrique. Il fallait maintenant trouver le bon bâtiment. Elle essaya le A, passa au B ; toujours rien. Le C, peut-être. Elle commençait à douter lorsqu’elle lut son nom sur l’interphone. Un grand sourire irradia son visage. Elle sonna. Attendit, en vain. Sortie, probablement. Et si elle rentre à quatre heures du mat’ ? Pas grave, j’ai tout mon temps. Enfin, presque.
Marianne se planqua dans le parking, bien à l’abri de la pénombre. Elle se montra patiente. Elle songeait à Franck. J’ai fait le bon choix. La douceur de la nuit le lui murmurait à l’oreille. Elle pensa ensuite à Daniel. Réveilla lentement le monstre. Une fois encore. Pour son dernier repas.
À vingt-deux heures trente, une voiture se gara à dix mètres de l’ombre à l’affût. Marianne retenait sa respiration. Lorsque la silhouette familière se détacha de l’obscurité, son cœur accéléra. Je te retrouve, enfin…
Elle se faufila derrière elle, avec la discrétion d’un Sioux. Au moment où la porte s’ouvrait, elle l’attrapa par le cou, lui luxa un bras dans le dos, sa prise préférée. Enfonça le silencieux dans sa gorge.
— Bonsoir Marquise… Comment ça va ?
Le corps se tétanisa contre le sien, moment de jouissance sans pareil.
— Tu m’offres un dernier verre chez toi ?
— Qui êtes-vous ?
— Tu ne reconnais pas ma voix ?
— De… Gréville…
— Bingo ! Mais c’est Gréville… Alors, on monte, chérie ? Quel étage ?
L’appartement était à l’image de sa propriétaire. Esthétique parfaite, ordre parfait. Aussi froid qu’une morgue.
— C’est sympa chez toi…
La Marquise avait lentement reculé jusqu’au mur.
— T’as pas l’air ravie de me revoir ! Je te dérange, peut-être ? Tu attendais un client ?
— Tu ferais mieux de t’en aller, de Gréville…
— Pourquoi ? Je sais pas où dormir… Je me suis dit que tu te ferais un plaisir de m’inviter !
Marianne lorgna par la fenêtre. Elle hésitait, soudain. Pourtant, elle avait rêvé de ce moment tant de fois… La voix de Solange lui fit tourner la tête.
— J’ai un peu d’argent, si tu veux. Prends tout. Il y a à manger dans le frigo et…
— À manger ? Tu crois que je suis venue te faire la charité ou quoi ? Tu me prends pour une mendiante, c’est ça ?
— Mais je veux juste t’aider et…
— M’aider ? Je suis venue pour te faire payer… Tout ce que tu m’as fait… À moi et aux autres filles… Et surtout, je suis venue venger la mort de Daniel.
— Daniel ? Mais il… s’est suicidé ! J’y suis pour rien, moi !
— Pour rien ?! Et les photos que t’as données aux flics… ? Ton témoignage accablant… ?
— J’avais pas le choix ! Pas ma faute s’il n’a pas tenu le choc, merde !
Marianne s’approcha, la main crispée sur la crosse du pistolet. Le monstre avait faim. Une fringale terrifiante. Plus rien ne pouvait l’arrêter, désormais. Il n’avait jamais été aussi puissant. Dopé de souffrances, de chagrin, de haine. Il suffisait de battre en retraite devant lui. De le regarder faire.
— Je sais tout… Ce qu’il a subi en prison… Qu’il a été torturé par les matons… Que tu faisais partie de ses tortionnaires.
— Non ! J’ai pas participé à ça ! C’est Portier, pas moi ! C’est lui et sa bande ! Lui, Mestre et les autres… Moi, j’ai rien fait !
Prêcher le faux pour savoir le vrai. Facile, quand on a un calibre dans la main.
— Portier, hein ? Raconte… Ce qu’ils ont fait endurer à Daniel. Je veux les détails…
— Ils l’ont frappé…
— Et pas qu’une fois, pas vrai ?
— Non, pas qu’une fois… Tous les jours.
Marianne ferma les yeux. Chaleur dans ses entrailles. Couleur du sang devant les yeux. Elle était prête.
— Appelle-le… Portier, appelle-le. Dis-lui de venir ici. Invente ce que tu veux. T’as intérêt à ce qu’il se ramène au plus vite ! Sinon, c’est toi qui vas tout prendre… Et mets le haut-parleur, que je puisse vous entendre.
Solange feuilleta son répertoire, composa le numéro. Marianne constata avec régal que sa main tremblait.
— Et pas d’entourloupe, conseilla-t-elle en enfonçant le canon dans son dos. Sinon, boum ! Ta femme de ménage mettra une semaine à enlever tes restes incrustés dans le tapis…
Portier décrocha rapidement. Solange l’attira dans un piège parfait. Elle détenait des informations, des documents à lui montrer. Elle le prévenait d’un grand danger. Quelqu’un de la prison voulait sa peau. Voulait le trahir, dénoncer ses pratiques. Alors qu’elle, souhaitait l’aider. Portier n’hésita pas longtemps. Solange raccrocha.
— Tu as été géniale ! dit Marianne en s’affalant sur le canapé. Sers-moi donc un verre, j’ai soif…
— J’suis pas ton esclave !