Solange se débattit. Marianne appuya sur l’arme jusqu’à l’empêcher de respirer.
— Dépêche toi, Portier ! Elle s’impatiente…
— Non ! gémit Solange.
Première supplique. Marianne ressentit un frisson divin dans l’échine. Mais le gradé hésitait encore.
— C’est toi ou elle. Choisis, Portier… Rappelle-toi, j’en tuerai un sur deux… !
Il cessa d’hésiter. Après tout, qu’avait-il à perdre ? Il écarta les jambes de la Marquise, reçut un coup de pied en pleine tête. Se fit plus brutal.
— Ouais, vas-y mon gros ! s’écria Marianne. Pas de quartier ! Et empêche-la de réveiller tout l’immeuble… Parce que si les flics débarquent, là, je vous tue tous les deux !
Portier eut beaucoup de mal à immobiliser Solange qui refusait de subir l’outrage. Elle lui envoyait des coups de pied désespérés. Marianne lui murmura quelques mots à l’oreille.
— Reste tranquille, Marquise. Tu vas voir, ça fait horriblement mal mais on survit…
Portier bâillonna Solange avec sa main droite. Très coopératif.
Marianne recula un peu pour profiter du spectacle. De cette vengeance sur laquelle elle avait si souvent fantasmé. Elle savait que Portier n’y parviendrait pas. La peur le rendait impuissant. Mais l’important était que la Marquise y croie, elle. Marianne regardait son visage. Ne regardait que ça. Le reste ne l’intéressait pas. La peur et la souffrance dans ses yeux. De quoi revivre la sienne une dernière fois.
Elle laissa Portier s’acharner quelques minutes. Puis décida d’écourter le supplice. Finalement, ça faisait trop mal. Assister à ça, c’était intolérable. Alors, Marianne imita le geste de Daniel. Portier sentit le silencieux se coller à l’arrière de son crâne. Il s’immobilisa.
— Bouge pas… Tu te souviens, dans le cachot ? Daniel n’a pas tiré… Parce que c’était un mec bien, Daniel…
Portier s’était pétrifié. Pourtant, Solange aurait tant désiré qu’il s’éloignât.
— Daniel était un mec bien. Moi, je ne suis qu’une criminelle… De la pire espèce. Mais je ne méritais pas ça…
Elle tourna la tête, appuya sur la gâchette. Portier s’effondra sur la Marquise qui poussa un épouvantable cri. Marianne resta figée un instant.
Oui, elle avait choisi. Mais c’est Solange qui subirait le pire.
Solange, éclaboussée par le sang et les morceaux de chair. Sur la figure, le cou, les épaules. Ça continuait à couler, sur sa poitrine. Solange, qui avait vu la balle ressortir par le front de son agresseur. Ce crâne qui avait explosé en face de ses yeux. Solange, qui s’étouffait, tentait désespérément de se débarrasser du monstrueux cadavre qui l’écrasait. Solange qui versait des larmes d’effroi.
Marianne récupéra un gros rouleau de scotch repéré sur une étagère. Elle ligota le couple de suppliciés à la table.
La Marquise avait des sortes de hoquets nerveux, à présent. Incapable de parler, les yeux gonflés de terreur. Elle secouait la tête pour essayer d’évacuer la souillure immonde de son visage.
— Je ne veux plus que tu fasses du mal à une détenue, chuchota Marianne dans son oreille.
— Je le ferai plus ! jura la Marquise entre deux sanglots. Enlève-le ! Enlève-le, je t’en supplie !
— Je sais que tu ne le feras plus… Parce que tu vas rester des heures et des heures avec ce gros porc allongé sur toi… Avec lui entre tes jambes…
Marianne lui colla un bout de scotch sur la bouche.
— Tu vas avoir le temps de réfléchir… Une nuit entière pour expier tes fautes. Peut-être même des jours, qui sait… Je suis certaine que tu ne m’oublieras pas. Ni moi, ni Daniel. Ni toutes celles que tu as torturées… Il va devenir aussi glacé que la mort… Il va se raidir lentement, tout contre toi…
Les yeux de Solange suppliaient. En vain.
— Mais tu vois, j’ai tenu parole… Je t’ai laissé la vie.
Elle passa dans la salle de bains. Signa son forfait sur le grand miroir, à l’aide d’un rouge à lèvres.
Pour Daniel, pour tous ceux qui ont souffert en prison, deux bourreaux en moins à la MA de S…
Marianne de Gréville. Numéro d’écrou 3150.
Elle se rinça la figure, l’eau coulait rouge.
Puis elle quitta l’appartement, ferma la porte. Jeta les clefs dans la rue.
Encore des kilomètres. Deux cents depuis S. Sans destination précise. Elle entra dans une bourgade qui respirait le calme et la campagne. I., ça s’appelait.
Elle s’arrêta devant la gare. Une jolie petite bâtisse. Elle coupa le moteur de la Laguna. Laissa sa tête partir en arrière, sa nuque se décrisper.
Oublier le regard de Solange. Pour toi, mon amour. Pour te venger. Et pour toutes les filles qui pourrissent derrière les murs d’enceinte de S… Je devais le faire. Pour toi. Pour elles…
Le monstre avait regagné sa tanière. Rassasié pour un temps. Non ; pour toujours. Il digérait tranquillement ses proies. Son dernier festin. Un festin de roi.
Marianne versa quelques larmes. Pour se laver de toute cette haine. De toute cette barbarie.
Parce qu’elle frôlait le bonheur, aussi.
Elle regarda autour d’elle. Ici, ça irait très bien.
Elle s’allongea sur les deux sièges. Elle souriait. Elle n’avait plus peur. Enfin. Elle s’endormit rapidement. Dans les bras d’un ciel serein.
✩
Samedi 23 juillet — 08 h 45
Aucun d’eux n’avait dormi. Attablés dans la cuisine, devant un café froid, ils erraient sur des chemins pavés d’angoisse. Ils avaient fini par arriver à se détacher. Même si Franck s’était démis l’épaule pour parvenir à soulever le billard. Tout juste s’il ressentait encore la douleur. Une, bien plus forte, accaparait son corps et son esprit. Laurine. Ils n’étaient pas partis en chasse, Marianne ayant pris soin de crever les quatre pneus de la 307 avant de disparaître. Un dépanneur allait venir rechausser la voiture ce matin. Et ensuite ?
— On va chercher où ? interrogea Philippe qui portait un énorme pansement sur la gorge.
— Je sais pas, avoua Franck. Elle a une nuit d’avance.
— Pourquoi elle a parlé de ce truc, de la chasse à l’affût ? demanda Laurent.
— Moi, je me demande surtout pourquoi elle ne nous a pas tués ! ajouta Philippe.
— Parce qu’elle nous aime bien, supposa Laurent. Mais on a vraiment été très cons… Personne n’a pensé à aller fermer la porte de sa chambre.
— Tu crois qu’on va la retrouver ? s’inquiéta le lieutenant.
— On n’a pas le choix ! répliqua le capitaine. On doit la retrouver… Et la tuer.
Franck, incapable de parler, ferma les yeux. Et soudain, son portable vibra. La voix sèche d’Hermann lui écorcha l’oreille.
— Pouvez-vous m’expliquer ce qui se passe, commissaire ? Vous êtes inconscient ? Vous croyez quoi ? Que nous hésiterons à nous en prendre à votre fille ? Comment avez-vous osé la laisser partir ?
Le cœur de Franck exécuta un saut de l’ange sans filet. Par quelle ruse étaient-ils déjà au courant ? Un micro planqué dans le salon ?
— Elle… Comment le savez-vous ?
— Comment je le sais ?! Écoutez donc la radio, pauvre con ! Elle s’en est prise à deux gardiens de S., cette nuit ! Et elle a signé son crime !
— Je ne l’ai pas laissée s’enfuir ! Quand elle a vu que je n’avais ni les papiers, ni l’argent, elle a compris que vous vouliez sa mort, figurez-vous ! Et… elle nous a échappé…
— J’espère pour vous que vous allez lui mettre la main dessus ! Ça vaudrait mieux pour votre fille, Franck ! Parce que si jamais d’autres flics l’arrêtent, si jamais elle parle, je vous jure que vous êtes un homme mort, Franck ! Vous, votre fille et le reste de votre équipe ! Me suis-je bien fait comprendre ?