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— Police ! Arrêtez-vous ! Levez les mains !

Tu parles ! Elle cavale entre les fondations, son flingue dans la main droite. Le visage inondé de larmes brûlantes. Elle court à une vitesse hallucinante, à peine essoufflée. Ils me l’ont tué. Tué.

Elle remonte de l’autre côté du trou tandis que les flics le contournent. Elle court, entre les baraques de chantier, les poutrelles métalliques qui jonchent le sol. Entre ses larmes aveuglantes. Elle court, son cœur habitué à la cadence infernale. Des années d’entraînement. Elle escalade une palissade, fonce tout droit, la meute sur ses talons. Elle bifurque dans une petite rue, saute par-dessus un muret. Se planque instantanément dans un buisson, juste derrière la clôture. Ses poursuivants passent dans la ruelle. Ils ne l’ont pas vue. Elle a réussi.

Ils m’ont pris Thomas, ils ont pris ma vie.

Elle respire doucement, plus un bruit alentour. Mais un chien se met à aboyer derrière la porte d’entrée de la maison. La lumière s’allume dans le hall, puis dans le jardin.

— Ta gueule, sale clébard ! Tu vas me faire repérer…

Passer chez les voisins serait plus prudent. Elle se relève, longe la haie. Tout à coup, elle sent une présence, tourne la tête et tombe nez à nez avec le canon d’une arme.

— Tu mets les mains derrière la tête ! Allez !

Le flic arbore un large sourire, content de lui. Une de ses petites camarades arrive, complètement asphyxiée par l’effort. Marianne lève lentement les mains. Dans son cerveau, par contre, tout va très vite. La taule, le sourire en coin des vieux cons — on t’avait dit que tu finirais mal — et le manque.

Ils n’ont pas vu le flingue à ma ceinture. Ils me l’auraient déjà pris sinon…

— Je l’ai trouvée ! hurle le policier dans un cri de victoire.

— Avance vers nous ! continue la fille en tirant sur ses menottes coincées après son pantalon.

Elle semble encore plus terrorisée que Marianne. Ses mains tremblent, son front perle de sueur. Elle peine à respirer. Son collègue continue d’ameuter la horde. Il a rangé le revolver dans le holster, ça n’a pas échappé à Marianne. Il prend sa radio pour appeler ses copains qui restent sourds à ses brames de triomphe. La petite s’emmêle avec les bracelets. Elle va finir par entraver ses propres poignets. Là, Marianne sent qu’elle a encore une chance. Une ultime chance. Deux amateurs, rien de plus. Alors qu’elle est une guerrière, une vraie.

Agir avant que les autres n’arrivent.

Dans un mouvement presque invisible tellement il est rapide, elle saisit le pistolet, le pointe en direction des deux uniformes. Finalement, c’est pas si dur. Leurs yeux s’arrondissent de peur.

— Bougez pas ! dit-elle dans un souffle un peu rauque.

Elle passe le muret, s’éloigne à reculons, suffit d’arriver au bout de la rue et de partir en courant en les laissant sur place… Mais… qu’est-ce qu’il fout l’autre ? Il… Il dégaine… L’impression d’un mauvais film qui passe au ralenti. Il va tirer.

Non ! Moi en premier !

Elle appuie, une fois. Deux fois, trois fois… Vide le chargeur, les yeux fermés. Quand elle les rouvre, les deux sont à terre, la fille bouge encore. Paralysée, Marianne cherche l’issue, les yeux aimantés par ses victimes. Le cœur au bord de l’arrêt cardiaque, les pieds au bord du précipice.

— Lâche ton arme ou on ouvre le feu !

Le reste de la cohorte a flairé sa trace. Ils sont quatre. Quatre flingues braqués sur elle. Et si Thomas était encore vivant ? Il était peut-être simplement évanoui, il va peut-être s’en sortir. Dans la nuit, elle n’a pas pu bien voir.

— Lâche ton arme j’ai dit !

Elle ne pense même pas à desserrer les doigts, crispés à mort sur le métal. À ses pieds, la flic gémit de détresse. Marianne la regarde, elle, puis les autres. On dirait que ça fait des heures que la scène a commencé…

Les fenêtres de la rue s’éclairent, le chien va finir par défoncer la porte. Des gens en pyjama se risquent dehors, assistent au spectacle. Encore mieux que les feuilletons télé.

Si je bouge, ils me descendent. Si je ne bouge pas, ils me descendent aussi. Mais si Thomas est vivant, je ne veux pas mourir !

Elle fait un mouvement, sent l’impact, entend la détonation. S’effondre en arrière dans un cri de douleur. Ensuite, tout va très vite. Autour d’elle, un danse d’ombres menaçantes. Juste avant qu’elle ne ferme les yeux.

Thomas ? Thomas ? Elle ne voit plus rien… Juste des voix, des pas. On la bouscule. Elle a mal, tellement mal.

— Il est mort ! Il est mort ! Le SAMU, vite !

Thomas ?

Et puis une longue spirale l’attire. Elle a si froid, si mal. Tourne sur elle-même, fragile papillon dans la tourmente. Ensuite, noir complet. Silence total.

Enfin, la scène est finie.

Mardi 5 avril

Début du mois, jour de la solde. La Marquise se présenta à la porte de la cellule 119. Elle s’était tapé la garde cette nuit, enchaînait avec une journée de travail. Elle avait peu et mal dormi, allait faire payer son manque de sommeil. Mais de toute façon, elle avait toujours quelque chose à faire payer…

Marianne s’assit sur son lit tandis que Solange entrait, Micheline sur ses talons. Micheline, une détenue qui avait passé l’âge légal de la retraite. On aurait dit un fantôme, l’ombre d’une femme qui avait existé ailleurs que derrière les barreaux. Mais à force, elle avait pris la couleur grise des murs.

— Voilà ton petit cadeau, de Gréville ! balança la Marquise avec dédain.

— Gréville, reprit calmement Marianne en se levant. C’est soit mademoiselle de Gréville, soit Gréville tout court… Il faut apprendre à parler français, surveillante !

— Tu crois que tu vas m’apprendre à parler français, toi ?

— Je vous explique seulement comment employer la particule. Une Marquise devrait pourtant savoir cela !

Solange changea instantanément de couleur. Elle n’avait jamais assumé son surnom.

— Ferme-la !

— À vos ordres, madame de la surveillance ! ricana Marianne.

— Tu ferais mieux de remercier le contribuable de ne pas te laisser crever la bouche ouverte.

Marianne joignit ses mains, fit craquer ses phalanges.

Micheline profita de la trêve pour déposer le colis sur la table. Paquetage de l’indigent : brosse à dents, savon, serviettes hygiéniques, shampooing, gel douche, dentifrice. Le minimum vital gracieusement offert par l’administration pénitentiaire à celles qui n’avaient rien. Elle avait dû toucher son petit pécule, aussi. Un autre cadeau de la prison. Une somme ridicule portée sur son compte. De quoi cantiner une bricole et les deux paquets de cigarettes que Daniel l’obligeait à acheter chaque mois de façon à ne pas éveiller les soupçons des gardiennes. Comme si ça ne se voyait pas qu’elle fumait vingt clopes par jour ! N’empêche, ça avait l’air de faire illusion.

Marianne fixait toujours Solange tandis que Micheline retournait à son chariot, l’échine courbée.

— Pouvez-vous signaler au généreux contribuable qu’il a oublié le Chanel no 5, surveillante ?!

— C’est vrai que tu pues, mais aucun parfum ne viendra à bout d’une telle odeur.