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— Je suis tout à fait d’accord sur ce point », dit Sherman.

Je m’attendais que Martin ou Lawrence proteste devant le ridicule d’un godemiché animé émettant son opinion en pareille affaire, mais ni l’un ni l’autre ne cilla. Ils se tournèrent pour écouter Sherman – et je fis de même.

« Pour résumer ce qui s’est produit, poursuivit-il, Smith l’a vue, elle l’a regardé, et elle a détalé en courant. Est-ce bien exact, Louise ? Et ne montrez pas les dents comme ça ; ce n’est pas séduisant.

— Attends un peu que je sois rentré et que j’attrape un tournevis et un fer à souder.

— On verra bien. Pour l’heure, nous discutons de votre récent échec. Mon compte rendu de votre échec est-il exact ?

— Je m’en vais te lui décoller son joli minois du crâne, à cette espèce de…

— Tout ceci n’est pas pertinent à la question de votre…

— Et cesse d’employer ce terme !

— … échec. Asseyez-vous, Louise. Respirez régulièrement ; cette faiblesse va passer. »

J’obéis. Et ça passa.

Sherman se pencha vers moi et parla d’une voix, j’en suis certaine, inaudible pour les autres :

« J’ai entrepris certaines actions que j’ai jugées appropriées. Le nouveau visage en est une. L’induction de la catharsis en est une autre. Si tu es assez calme pour poursuivre et si tu me concèdes le droit d’assister à cette conférence, nous pourrons avancer, quitte à discuter de tes éventuels reproches, une fois que nous serons seuls. »

Je déglutis et opinai. Je ne me sentais pas de taille à parler.

« Donc il vous a vue et vous êtes partie en courant. Ça se ramène bien à cela ? »

J’opinai de nouveau.

« Alors, je ne pense pas que le dommage soit bien grand. Il est hors de question qu’il ait pu démasquer votre déguisement.

— C’est juste, dit Lawrence. Mettons-nous à sa place : il a aperçu une femme portant l’uniforme des United Airlines puis elle a détalé devant lui.

— Un comportement tout de même bizarre, observa Martin.

— Certes, mais elle peut le lui expliquer à leur prochaine rencontre. On peut imaginer un prétexte quelconque pour…

— Attendez une minute. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de prochaine rencontre ?

— C’était mon idée », intervint Sherman.

Je fis passer mon regard de l’un à l’autre, en prenant tout mon temps.

« Vous ne l’aviez pas suggéré pendant que j’étais là. Vous en avez donc discuté tous les trois en mon absence.

— C’est exact, dit Lawrence. Sherman est arrivé juste au moment où nous parvenait un nouvel élément d’information.

— Quelle nouvelle information ?

— Lawrence s’exprime mal, dit Sherman. Je suis arrivé et après moult difficultés pour me faire entendre, je suis parvenu à communiquer à l’équipe de contrôle que je savais ce qu’ils s’apprêtaient à découvrir. Peu après, ils le découvraient effectivement.

— Nous ne sommes pas encore sûrs de l’enchaînement des faits, remarqua Lawrence, sur la défensive.

— Moi, j’en suis sûr », dit Sherman.

Je l’interrompis : « Est-ce que quelqu’un voudrait bien me raconter ça clairement ? Du début à la fin, comme les choses ont coutume de se dérouler en temps normal. »

Ils s’entre-regardèrent tous les trois et, je le jure, c’étaient Martin et Lawrence qui avaient l’air indécis quand Sherman semblait inébranlable comme le roc.

« Autant le laisser raconter, concéda Lawrence.

— Très bien, dit Sherman. Trente secondes avant votre départ, je me trouvais à la poste où le Grand Ordinateur m’avait convoqué. Je lus le message qui m’y attendait à l’instant même où vous franchissiez la Porte. Obtempérant aux instructions du message, je me rendis ici. »

J’ignorais qu’un message attendait Sherman. J’ignorais qu’une capsule temporelle pût être adressée à un robot.

Il y avait une bonne raison pour cela. C’était un message inhabituel. Il spécifiait sur son enveloppe extérieure qu’aucun être humain ne devait connaître l’identité de son destinataire ou la date de son ouverture. Le G.O., comme je l’ai dit, suit ces instructions à la lettre. Techniquement, le Conseil des programmeurs avait donné ordre au G.O. de se conformer aux instructions inscrites sur les capsules temporelles, mais je me demande ce que le G.O. aurait fait si jamais le Conseil en avait décidé autrement.

Enfin, « aurait fait » n’est jamais qu’une forme restrictive du verbe « faire ». Et sans grand intérêt.

Le message demandait à Sherman – entre autres choses, et nous y reviendrons – de se rendre au poste des opérations de la Porte et de dire à Lawrence que j’allais avoir un face à face avec Bill Smith et échouer dans ma mission. Encore ce mot d’échec.

Ce qu’il fit ; ou essaya de faire. Il lui était difficile d’attirer leur attention et cela pour deux raisons : les équipes de contrôle étaient encore en train de sonder les alentours de la zone avec leurs scanneurs temporels et la situation commençait tout juste à s’éclaircir un peu et…bon, c’était un robot. La plupart des gens étaient déjà surpris rien que par sa présence. C’était comme si mon réfrigérateur s’était pointé au milieu du P.C. en faisant des claquettes et en chantant Swanneee tout en brandissant un panonceau annonçant la fin du monde.

Mais il parvint tout de même à le leur dire. Simultanément – ou quelques secondes plus tard, tout dépend de qui vous voulez croire – l’un des opérateurs repéra Bill Smith à bord d’un hélicoptère de retour du site de l’écrasement du 747, et quelqu’un d’autre trouva ce même hélicoptère garé sur l’aire à l’extérieur du hangar que j’étais en train de visiter. Déduction : Smith et moi pouvions nous rencontrer à l’intérieur du hangar.

C’est à ce moment qu’ils commencèrent à écouter Sherman. Ce fut l’affaire de quelques secondes pour confirmer qu’il avait effectivement reçu une capsule temporelle. Dès cet instant, sa cote grimpa en flèche. J’avais récemment vécu pareille expérience. Moi et mes semblables, on a tendance à écouter avec attention celui qui vient de recevoir un message du futur.

Et bien sûr, c’est le moment qu’il choisit pour la boucler.

« Le message était tout à fait précis, dit-il simplement. Il y a certaines choses que je peux vous dire et d’autres que je dois garder secrètes.

— Allons, fis-je. Ce n’est pas à moi que tu vas apprendre à jouer les…» Je n’allai pas plus loin et regrettai de ne pas avoir su boucler ma grande gueule. Me revinrent mes soupçons d’un éventuel espionnage de la part du Conseil, ainsi que ma récente prestation suscitée par ma capsule temporelle pour les convaincre d’autoriser la présente opération.

« Il y a quelques détails encore que je suis autorisé à dire, poursuivit Sherman. Le premier est que mon message confirmait le vôtre, Louise. Il soulignait que cette opération était vitale pour le succès du projet de la Porte. » Il me regarda et j’aurais bien voulu mieux savoir lire dans ses yeux, mais on ne peut pas lire ce qui n’est pas là. Ses nouveaux yeux étaient factices, bien entendu, mais ils paraissaient très naturels. Sa bouche en revanche n’était qu’une esquisse. Ses expressions se limitaient à celles d’un personnage de dessin animé. Et il n’avait pas cru utile de s’encombrer d’un nez.

« Le second point concerne la prochaine phase, puisque nous convenons tous que l’excursion vers la fenêtre A s’est révélée inutile. »

On en était donc revenu aux fenêtres. Ce qui nous restait, c’étaient B, C et D. Je jugeais D trop dangereuse, B guère susceptible de produire des résultats et C…