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— Je suis simplement surpris qu’il y ait pensé si vite, intervint Craig.

— Pas moi, dit Carole. Réfléchissez un instant : lui, un pilote, il se trouve dans un poste de pilotage où il est inutile. Tout dans son entraînement lui demande de faire quelque chose, mais c’est le boulot du commandant. Puisqu’il a été formé à secourir les passagers, il sort du poste de pilotage où il ne peut être d’aucune aide et réintègre la cabine où il peut faire quelque chose. »

J’acquiesçai. Ça se tenait. Tom aussi était d’accord.

« Ça pourrait coller, dit-il. Mais du point de vue du règlement, il ne fait pas partie de l’équipage et son premier réflexe aurait dû être de faire ce qu’on lui demandait et non de décoller de sa propre initiative. Il aurait dû attendre les ordres de Crain.

— Crain était bien trop occupé pour émettre des suggestions. »

On en discuta encore quelque temps jusqu’à ce que je rappelle tout le monde à l’ordre : « Continuez la bande. »

Celle-ci durait plus longtemps que l’autre. C’était pis en un sens. On sentait bien que Gil croyait vraiment s’en tirer. Il annonçait les relevés de l’altimètre et ceux-ci semblaient se stabiliser. Son angle d’attaque s’améliorait. Son copilote lançait des appels, à la recherche d’un endroit où se poser en catastrophe ; il se demandait s’ils pourraient atteindre les hauts-fonds de la baie, le fleuve Sacramento ou une autre étendue d’eau ; ils parlaient de champs et de routes de campagne… et soudain l’alarme de proximité du sol se mit à beugler. Et la montagne était là.

Elle aurait été déjà dure à éviter même avec un gouvernail. Crain essaya tout ce qu’il avait à sa disposition, toutes ses gouvernes d’attitude : déporteurs, ailerons, volets, élevons, cherchant désespérément à faire basculer l’énorme bête. Le dialogue dans l’habitacle devint encore plus rapide, mais toujours aussi discipliné, tandis que s’échinaient Crain et son équipage.

Il décida de relever le nez, d’abaisser les volets, réduire les moteurs pour essayer de plaquer l’appareil au sol, l’aplatir sur le flanc de la colline, en espérant qu’il ne glisserait pas trop bas. Dès ce moment, il avait éliminé les solutions favorables et semblait uniquement préoccupé désormais de limiter la casse.

Et là, on entendit un bruit des plus surprenants : quelqu’un hurlait dans le poste de pilotage. J’étais pratiquement certain que c’était une voix d’homme et le cri était hystérique.

Les mots déferlaient maintenant presque trop vite pour être compréhensibles. Je me retrouvai assis tout au bord de la chaise, paupières serrées, dans un effort désespéré pour tâcher de percevoir ce que disait la voix. Je l’avais déjà identifiée comme étant celle de DeLisle. Il était revenu.

Mais pourquoi ? Et qu’est-ce qu’il disait ?

C’est à ce moment-là que la bande s’arrêta brutalement tandis que quelque chose de pesant me heurtait de côté. Je sursautai de surprise, rouvris les yeux et regardai entre mes jambes. Il y avait une tasse en plastique renversée. Le café chaud imbibait mon pantalon.

« Je suis tellement confuse… oh ! mon Dieu ; tenez, laissez-moi vous aider… Oh ! je suis une telle gourde, pas étonnant qu’ils n’aient pas voulu de moi comme hôtesse ! »

Et elle continua un moment sur ce ton, accroupie à côté de moi, sans cesser de m’éponger l’estomac à l’aide d’un mouchoir minuscule.

Un instant, je restai désemparé. La seconde d’avant, totalement absorbé par ces pauvres gars dans leur poste de pilotage et puis, brusquement, en prendre (littéralement) plein la gueule pour pas un rond. Elle était à quelques centimètres de moi, me dévisageant avec un drôle d’air, et elle me caressait les cuisses avec son mouchoir humide. Je ne pouvais que la fixer, muet. « Ça va, ça va, finis-je par dire. Un accident, ça peut arriver.

— Oui, mais c’est toujours à moi que ça arrive », fit-elle d’un ton plaintif.

Pour un accident, c’était un sacré bel accident.

Elle avait trébuché sur le cordon secteur, d’où l’arrêt brutal du magnéto. Son plateau était parti d’un côté et elle, une tasse dans la main, de l’autre. Elle avait atterri par terre près de moi tandis que le plateau avait achevé sa trajectoire en répandant son contenu sur la machine.

Je me précipitai pour évaluer les dégâts.

« J’ai plus qu’à trouver une autre machine, dit le technicien. Putain de stupide pétasse. C’est une bécane de cinq mille dollars que j’ai là, et c’est pas le café qui va l’arrang…

— Et la bande ? » J’eus un frisson rétrospectif. Une fois, j’avais passé la bande originale avant de l’envoyer au labo de Washington. J’avais une sacrée chance que ce ne fût qu’une copie. Personne au Conseil n’aurait trop apprécié de voir une bande échapper à une collision en vol pour finir ruinée par du marc de café.

« Ça devrait aller. Je vais la rembobiner et la sécher à la main. » Il consulta sa montre. « Donnez-moi une demi-heure. »

J’acquiesçai et me retournai pour retrouver la fille, mais elle avait disparu.

10. « L’Homme qui était arrivé trop tôt »

Témoignage de Louise Baltimore.

J’ai eu un avant-goût de ce que le Conseil avait dû ressentir. J’avais dit à ces neuf génies pitoyables que ma mission était vitale pour le succès du projet et ça les avait renversés comme autant de quilles. À présent, c’était Sherman qui faisait la même chose avec moi. Je soupçonnais son autorité d’être aussi fallacieuse que naguère la mienne, mais n’osais le faire remarquer et puis… il pouvait avoir raison. Je ressentais la même crainte superstitieuse de désobéir à un message du futur.

Cela dit, j’avais tout intérêt – portée par mon souci de sécurité, d’aucuns diront ma trouille – à tenter de discuter la proposition. Lawrence et Martin n’avaient même pas ça. Eux, ils ne voyaient pas d’inconvénients, à supposer que quelqu’un dût retourner là-bas, à ce que je dirige un raid de commando vers le funeste hangar en cette nuit funeste. Ils pouvaient rester assis bien peinards tout au bout du temps, et se faire le grand plaisir de jouer aux devinettes avec moi quand je me repointerais avec un nouvel échec.

J’avais une prémonition très peu scientifique, très primitive : j’allais échouer de nouveau. Je crois que Sherman le savait.

Tout se régla très vite : il y avait juste quelques détails à aplanir.

Lawrence avait été horrifié d’apprendre mon écart avec l’objectif lorsqu’il m’avait déposé. Il fit plancher ses équipes sur le problème et bientôt fut en mesure de m’assurer qu’il pouvait me déposer dans un rayon de vingt-cinq centimètres autour de l’objectif. Je ne le croyais pas, mais à quoi bon lui dire ?

Les détails pratiques, de mon côté, étaient infiniment moins compliqués. Ce serait bien un raid de commando. Je choisis pour m’accompagner trois de mes meilleurs agents : Mandy Djakarta, Tony Louisville et Minoru Hanoi. Pas de mascarade cette fois-ci. On débarquerait comme des voleurs dans la nuit. Notre objectif : pénétrer dans le hangar, trouver le paralyseur et ressortir sans être vus.

Je confiai à Tony le choix de l’équipement et le plan d’attaque.

Je suppose qu’il avait dû subir le même bourrage de crâne que moi. Du moins avait-il vu les mêmes films. Les uniformes qu’il nous dégotta n’auraient pas été déplacés dans un film sur la Seconde Guerre mondiale. Nous étions tous vêtus de noir, avec gants et espadrilles assorties et il s’était même muni de suie à étaler sur nos visages – Mandy exceptée, qui n’en avait pas besoin.