Nous avions des ceintures pour arrimer le matériel, mais notre seul équipement était l’appareillage de détection grâce auquel on espérait localiser le paralyseur. Pas d’armes ce coup-ci. Assommer quelqu’un ne ferait qu’amplifier les problèmes.
Martin Coventry papillonnait comme une vraie mère poule pendant que nous attendions, alignés, l’entrée en congruence de la Porte. Il avait la bouche pleine de conseils de dernière minute.
« Vous serez là-bas de 11 heures à minuit. Nous voyons Smith arriver à 23 h 30 et repartir une heure plus tard. Donc, pendant une demi-heure, vous allez vous trouver dans le hangar avec lui et…
— On marchera sur des œufs », termina pour lui Minoru. « On a déjà vu tout ça, Martin. Vous voulez venir avec nous pour nous tenir la main ?
— Ça ne fait jamais de mal de tout revoir encore une fois.
— On l’a fait, Martin, lui assurai-je. C’est un grand hangar. On a un million de coins pour s’y planquer et puis, il ne sera pas très bien éclairé.
— Je suis plus préoccupé par votre côté, remarqua Tony. Si jamais il faut qu’on dégage pendant qu’il est en train de fouiner dans le coin, vous avez intérêt à ouvrir cette Porte bien gentiment sans faire de bruit.
— Je n’aime pas ça, dit Mandy. Pourquoi ne pas déposer la Porte à l’extérieur du hangar et entrer ensuite ? »
Martin prit un air douloureux. « Parce qu’il y avait des gardes en faction cette nuit-là.
— Oh ! que je n’aime pas ça ! dit Tony, sombrement.
— On n’y peut rien. Faites-nous juste confiance. Lawrence et moi, on va mettre tous les suppresseurs en action. La Porte apparaîtra à l’endroit prévu et elle arrivera sans le moindre bruit. »
On dira ce qu’on voudra, mais la Porte fut loin d’arriver aussi tranquillement que ça.
Je pouvais encore entendre les échos se réverbérer dans le hangar vide lorsqu’on y mit le pied. Je n’étais pas inquiète outre mesure puisque je savais qu’on était seuls et que le bruit n’était pas assez fort pour porter à l’extérieur de l’édifice. Mais je me rappelle avoir songé que Lawrence aurait intérêt à faire du meilleur boulot pour notre récupération.
« En plein dans le mille », murmura Mandy en montrant le sol en béton.
Elle avait raison. Ma brève incursion dans ce même bâtiment quelques heures plus tôt – ou quelque trente-neuf heures plus tôt, tout dépend du point de vue – avait été utile pour sélectionner un point d’accès et de sortie pour la Porte. Nous avions choisi l’angle nord-ouest, derrière ce qui restait de la queue du 747 et d’autres fragments importants du fuselage. L’ombre y était assez épaisse pour nous contraindre à utiliser nos lampes-crayons afin de scruter rapidement les alentours et d’éviter de trébucher sur quelque chose.
Une fois que je me fus repérée, je fis signe en silence aux trois autres de se déployer et de commencer les recherches. Je sortis moi-même mon détecteur et me dirigeai vers l’endroit où s’était trouvée l’arme lors de ma dernière visite dans le hangar.
Tous les sacs-poubelles avaient été déplacés. Logique. Ils avaient eu presque deux jours pour trier les débris et ils avaient bien avancé. Je commençai donc à chercher, rampant en silence comme un chat parmi l’amoncellement cauchemardesque des décombres.
Un quart d’heure plus tard, je rampais toujours et l’aiguille du détecteur n’avait pas frémi d’un demi-millimètre.
Je sifflai doucement et presque aussitôt mes camarades se matérialisèrent hors des ténèbres ; tête contre tête, on tint conciliabule.
« Je ne trouve rien.
— Moi non plus, dit Tony.
— Rien de rien. »
Minoru se contenta de hausser les épaules et faire non de la tête.
« Des idées, quelqu’un ?
— Ces bidules réagissent à l’alimentation du paralyseur. Peut-être qu’il est à plat.
— Ou que quelqu’un l’a sorti du hangar.
— Peu probable. » Je m’aperçus que je me mordillais l’ongle du pouce. « Il sera là dans quinze minutes. On se prend dix minutes, pour garder une marge de sécurité. Allumez vos lampes, regardez dans tous les coins possibles, ne vous en faites pas tant pour le bruit. Si on ne le retrouve pas, on se planque sous la queue pour attendre le retour de la Porte.
— On est bien partis pour faire chou blanc, pas vrai ? dit Mandy.
— Ne sois donc pas si pessimiste.
— Tous les voyageurs du temps sont pessimistes. »
Ce fut la seule contribution de Minoru à la conversation. Moi, je ne sais pas si je suis pessimiste de naissance ou si ça m’est venu après. Ce que je sais en tout cas, c’est que j’ai eu toutes les raisons d’embrasser cette philosophie. Un exemple : ça faisait trois ou quatre minutes que je retournais des bricoles diverses quand j’entendis Tony lancer le roucoulement sourd sur lequel nous étions convenus dans les vestiaires. On l’avait piqué à quelque Cherokee dans un film des années 30 et ce cri était censé signifier : « Je l’ai trouvé ! »
Il l’avait trouvé, pas de doute. On convergea vers lui. J’avais le cœur battant. On était vraiment en passe de s’en sortir. Et puis, je vis Tony faire signe à Mandy, lui dire de s’arrêter. Ce qu’elle fit aussitôt, glissant en silence pour s’accroupir à vingt mètres de lui. Idem pour moi. Je vis Tony lui indiquer de s’approcher. Minoru apparut sans un bruit à mes côtés, et ensemble, on rampa sur les trente derniers mètres.
L’éclairage était très mauvais. Il nous fallut un moment pour être sûr de ce que nous voyions. La première chose que j’identifiai fut le paralyseur, par terre, à trois mètres d’une rangée de tables pliantes encombrées de débris. Une masse allongée gisait dans l’ombre devant les tables à quelques pas de l’arme. Graduellement, mes yeux confirmèrent mon pressentiment initial : c’était un corps humain.
« Qui est-ce ? chuchota Mandy.
— À ton avis ? » fis-je, amère.
On s’approcha. J’allumai ma torche en veilleuse. C’était Bill Smith.
« Est-ce qu’il respire ?
— Je ne peux pas dire avec certitude.
— Ouais, il respire. Il est simplement assommé.
— Alors, il peut sans doute nous entendre. » Mandy et Tony commencèrent à battre en retraite.
« Merde ! » m’écriai-je, puis je poursuivis, plus bas : « S’il peut nous entendre, on y est déjà, dans la merde.
— Inutile d’aggraver la situation », suggéra Mandy. Je suppose qu’elle avait raison. On recula tous et on s’accroupit. Je demandai : « Il a les yeux ouverts ou fermés ?
— Ouverts, dit Tony. Je suis sûr qu’il m’a vu.
— Qu’est-ce qui s’est passé, à votre avis ? »
Tout le monde contempla la nature morte au désastre et bientôt le scénario devint évident :
Il gisait sur le dos. Les jambes écartées, l’une légèrement repliée, coincée sous l’autre : celle-là allait sans doute s’engourdir et lui ferait au réveil un mal de chien. Le paralyseur était à quelques dizaines de centimètres de sa main gauche ouverte. À quelques centimètres de la droite, il y avait un couteau suisse, sa lame longue ouverte.
Minoru résuma pour nous le scénario :
« Il est entré ici avant notre arrivée. Il a découvert le paralyseur. Sur les scanneurs, nous avons repéré une lueur rouge en provenance de l’arme : fuite de l’alimentation. C’est sans doute ce qu’il a vu lui aussi. Il a sorti le canif, commencé à farfouiller dedans et provoqué un court-circuit.
— L’arme était assez endommagée pour que le faisceau ne soit plus focalisé.
— Sacrée veine en plus qu’elle ait été sur la position “paralyseur”. On pourrait être en train de contempler un cadavre.