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Témoignage de Bill Smith.

Nous avons ri, tous les deux enlacés, complètement bourrés, puis nous avons refait l’amour, plus lentement. Nous avons ri encore, et fait encore l’amour. Je m’étonnais moi-même. J’espère qu’elle aura apprécié.

Je ne sais pas quand je me suis endormi. Ça semblait sans importance.

Et pourtant si. Oh ! que si !

Je jaillis du lit comme un missile téléguidé…

… et m’écrasai le nez contre le mur. Je restai à le fixer ébahi, tandis qu’à travers les brumes de la gueule de bois, me revenait une vague conscience de la réalité.

Le réveil n’a pas sonné. Qu’est-ce que ce mur fait ici ? Qui suis-je ? Où suis-je ? Que suis-je ? Pourquoi suis-je ?

Holà.

« Bonjour », fit-elle. Elle était assise sur le lit, nue, adossée à quelques oreillers, les pieds sur la couverture. Elle tira une bouffée de sa cigarette. Elle était d’une beauté si déchirante que j’ai bien cru que j’allais pleurer.

« S’il te plaît, dis-je, la voix rauque, fume moins fort !

— Plutôt faiblard. Tu as fait nettement mieux hier soir. » Mais elle l’écrasa quand même.

« Je me sentais nettement mieux hier soir.

— J’étais juste en train de me demander… Pendant que tu te levais, je veux dire. Dis donc, il t’en faut du temps pour avoir les yeux en face des trous.

— Ils n’y sont toujours pas.

— Oh ! mais si ! » Elle s’étira et je suppose qu’elle avait raison. Impossible de ne pas avoir les yeux en face des trous devant quelqu’un d’aussi spectaculaire que ça.

« Ce que je me demandais, c’est : qu’est-ce qui t’a réveillé ? Je n’ai rien entendu du tout, et je n’ai rien fait non plus. Mais mon vieux, ça pour être réveillé, t’es réveillé.

— Quelle heure est-il ?

— Huit heures et demie. »

Je m’assis au bord du lit et lui expliquai le coup pour mon réveil. Je devais supposer que je venais simplement de vivre une variante du vieux gag du gardien de phare : vingt ans durant, la sirène de brume lui corne dans les oreilles toutes les trente secondes. Et la nuit où elle oublie de retentir, il saute de son lit en hurlant : « Qu’est-ce qui se passe, mais qu’est-ce qui se passe ? »

Elle m’écouta avec le plus grand sérieux, prit une autre clope, la regarda, et finalement la reposa. Elle tendit les bras.

« Bill, écoute-moi. Tu n’as dormi qu’une heure. Ton monsieur Petcher peut bien s’occuper de tes affaires pour ce matin. Reviens te coucher, je te masserai le dos. »

Je me rallongeai et certes, elle me le massa. Et elle n’y mit pas que la main et ce n’est pas moi qui m’en serais plaint. Puis je fis le truc le plus dur que j’aie jamais fait : je me suis relevé. « Faut que j’aille au boulot. »

Elle était assise là, comme sortie des pages centrales de Penthouse – jusqu’au vieux plan de la vaseline sur l’objectif, quoique là, c’était peut-être simplement à cause de l’état de ma vue. Elle me regardait. C’est tout.

« Ce boulot est en train de te tuer, Bill.

— Ouais, je sais.

— Reste avec moi aujourd’hui. Je te montrerai San Francisco.

— Je croyais que tu devais être partie à dix heures. »

Son visage se décomposa. Je me demandais ce que je lui avais dit. Elle n’avait pas précisé au juste où elle devait aller à dix heures. Peut-être rendre visite à son bébé à l’hôpital.

Les anneaux du rideau de la douche cliquetèrent lorsqu’elle l’ouvrit brusquement pour y entrer avec moi. Elle frissonna lorsque l’eau glacée la frappa ; un instant, nous sommes restés blottis ainsi l’un contre l’autre comme deux enfants. Je tournai le mitigeur vers chaud et la caressai. Elle s’abandonna dans mes bras. Je remarquai que ses mamelons ne s’étaient pas rétractés comme ceux de ma femme au contact de l’eau froide. Marrant, les détails qu’on peut noter dans des moments comme ça.

« Je n’aime pas te voir en train de te tuer. Prends ta journée.

— Louise, arrête de bougonner. J’ai un boulot, je dois le faire.

— Ne travaille pas trop tard, alors. Je serai là à dix heures, ce soir.

— Ça, je peux. J’y serai, moi aussi. »

Témoignage de Louise Baltimore.

Il sortit et je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il allait faire ce soir. Dans un sens comme dans l’autre, ça m’avait l’air mal barré.

Il pouvait se rendre au hangar, me rencontrer et semer le bordel dans la trame temporelle. Ou il pouvait ne pas se rendre à un endroit où j’étais déjà allé, un endroit où, dans ma version de la réalité, il était déjà allé. J’ignorais quelles en seraient alors les conséquences pour moi.

D’un côté comme de l’autre, assise là sur le lit avec ma seconde peau trempée, je me dis que je pouvais aussi bien fumer ma dernière cigarette. Je la fis durer, savourant chacune de ses bouffées cancérigènes.

Puis la Porte se matérialisa dans la salle de bains et je la franchis. Pour ce que j’en savais, il pouvait fort bien ne rien y avoir de l’autre côté. L’idée ne me troubla guère. Le temps d’une nuit, au moins, j’avais vécu.

16. « Une nuit interminable »

Témoignage de Bill Smith.

Il y avait deux flics à la réception quand je traversai le hall. Ils discutaient avec le directeur. Je n’y fis pas outre mesure attention jusqu’au moment où, sortant sur le trottoir, j’en aperçus deux autres, deux voitures de police et un camion de la fourrière en train d’embarquer la berlinette italienne de Louise.

Je m’apprêtais à leur demander que diable il se passait lorsque quelque chose me fit m’arrêter. À la place, je m’enquis des événements auprès d’un badaud.

« Le flic disait qu’elle a été volée.

— Volée ?

— C’est ce qu’il a dit. Ça doit être un gosse qu’a fait ça. Je vous demande : qui d’autre serait assez con pour piquer une bagnole pareille ? Je parie qu’il y en a pas plus de six ou sept dans tout le pays. »

Je sortis de l’ascenseur et me ruai dans le couloir vers ma chambre. J’étais en train de sortir ma clé lorsqu’un drôle de bruit se fit entendre. Je regardai à gauche et à droite, mais sans pouvoir en localiser la source.

Comme on n’était pas loin des pistes de l’aéroport, je n’y fis plus attention. J’avais ma clé et je commençai à l’introduire dans la serrure.

Du moins, c’est ce que je voulus faire.

Car la porte s’était soudain creusée vers l’intérieur, comme si elle avait été en caoutchouc.

Je faillis tomber à la renverse ; tendant la main, je me rattrapai au mur qui s’était également mis à se déformer. Puis lentement, il reprit sa position première.

Je restai planté là, en nage. Je reculai d’un pas, étudiai la porte et le mur. Pas une fissure dans la peinture. Je passai la main sur le panneau de la porte puis son encadrement : aucun voile, aucune fente, aucune esquille.

Seigneur. J’avais déjà pris de mauvaises cuites, mais jamais rien de semblable. Je me passai les mains sur le visage, et déverrouillai la porte.

Pendant une seconde, la chambre me parut bizarre : À l’extrémité de la pièce se trouvaient des portes-fenêtres coulissantes donnant sur un balcon pas plus large qu’un cercueil. Elles étaient fermées et pourtant les rideaux étaient agités comme par une tempête. Et je ne sentais pas le moindre souffle de vent. Enfin, tout dans la pièce semblait recouvert d’une couche de glace.

Glace n’est peut-être pas le terme adéquat. C’était plutôt comme du givre. Ou du sucre glace.