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Je clignai des yeux et tout avait disparu. Les rideaux frémissaient à peine et l’aspect des murs et du lit défait ne présentait rien d’anormal.

Elle était partie.

Je fis tout ce qui me vint à l’esprit. Ça ne la fit pas revenir.

La porte-fenêtre était verrouillée de l’intérieur. Je l’ouvris, montai sur le balcon et regardai partout, incapable de voir comment elle aurait pu s’échapper du troisième étage. Il n’y avait ni corde, ni draps noués, ni rien de semblable.

Je ne m’étais quand même pas éclipsé si longtemps. Je suppose qu’elle aurait pu descendre par un ascenseur pendant que je montais par l’autre ou bien encore emprunter l’escalier, mais il y avait un détail qui me faisait douter de ça : ses vêtements étaient encore dans la chambre. Et tous. Des escarpins marron au soutien-gorge en coton.

Son sac avait disparu, toutefois. Se pouvait-il qu’elle y eût dissimulé des vêtements ?

Les seules autres traces de son passage dans la pièce étaient les draps tachés et les cendriers débordants de mégots.

Je restai près d’une heure dans la chambre, à essayer de faire coller tout ça :

Une voiture volée. Une nuit interminable. Et mémorable. L’histoire incroyable d’un pays où tout le monde mourait. Un enfant mort ou mort-né ou héroïnomane.

Ah oui, et deux autres indices encore : dans la poubelle de la salle de bains, je découvris un inhalateur Vicks et un paquet vide de cachets pour parfumer l’haleine. Je reniflai l’inhalateur et regrettai aussitôt. J’ignore ce qu’il avait contenu, mais je n’ai aucune envie de le savoir.

Allez, mets donc tout ça au compte de l’expérience, me dis-je. Seulement, je n’étais guère avancé. On est censé apprendre quelque chose de l’expérience ; et tout ce que j’avais, c’était des questions.

Je décidai de ne rien dire à la police à son sujet – du moins tant que je n’aurais pas eu l’occasion de la revoir et de lui parler. Peut-être avait-elle besoin d’aide. Je ne la croyais pas dangereuse.

Je dus appeler un taxi pour regagner l’aérogare. Sitôt arrivé, je me dirigeai vers les guichets de United et passai derrière – c’était là que Sarah Harker avait son bureau.

Elle avait l’air d’avoir dormi à peu près autant que moi. Il y a peut-être des boulots pires que les relations avec le personnel et le public d’une compagnie aérienne qui vient de perdre un appareil, mais j’ignore lesquels.

« Salut Sarah ! J’aimerais mettre la main sur Louise Ball, si ce n’est pas trop te demander.

— Pas de problème. Que fait-elle, et dans quelle ville ?

— Elle travaille ici. Ou elle y travaillait hier. À la délivrance des billets. »

Sarah hocha la tête, dubitative, puis attrapa un cahier qu’elle se mit à feuilleter.

« Non. À moins d’avoir été engagée hier après cinq heures du soir. Je connais tout mon monde, Bill. Ça pourrait être une supplétive. Laisse-moi regarder. »

Elle regarda et ne trouva rien. Elle introduisit le nom dans son terminal et obtint la confirmation qu’aucune personne répondant au nom de Louise Ball ne travaillait pour United.

Il était temps d’appeler le F.B.I. Une cinglée inoffensive obsédée par sa fille morte était une chose ; une personne non autorisée furetant sur les lieux d’une enquête en se faisant passer pour ce qu’elle n’était pas, c’en était une autre.

J’étais même entré dans une cabine et j’avais composé les premiers chiffres du numéro que m’avait donné Freddie Powers… lorsque je raccrochai. Louise avait dit qu’elle serait de retour ce soir. J’attendrais et lui donnerais une chance de s’expliquer.

Puis me rappelant que j’avais quand même quelque chose à dire à Freddie Powers, je réintégrai la cabine. Je pus le joindre à la morgue temporaire.

« Alors, ces montres ? Vous avez du nouveau ?

— Une chose, me répondit-il. Vous vous rappelez les numériques qui marchaient à l’envers ? Eh bien, elles sont reparties dans le bon sens.

— Vous avez mis quelqu’un dessus ?

— Ouaip.

— Qu’est-ce qu’il en a dit ?

— Qu’un truc pareil était impossible. »

Je réfléchis à ça.

« Combien de personnes les ont effectivement vues ? Je veux dire, pendant qu’elles marchaient à l’envers. »

Il y eut un silence. « Vous et moi, Stanley, et puis ce toubib, là, Brindle. Peut-être une ou deux personnes encore, ceux qui ont aidé à dévêtir les corps… mais je ne pense pas. C’est lui qui l’a remarqué le premier.

— Avez-vous des films, des bandes vidéo du phénomène, quoi que ce soit ?

— Non, rien du tout. Tout ce qu’on a, c’est notre témoignage à nous trois. »

Nouvelle pause. « Je ne suis pas certain que Brindle serait prêt à en jurer.

— Pourquoi s’attarder là-dessus ? On aura toujours celles qui avancent de trois quarts d’heure.

— Effectivement.

— Avec les montres numériques, tout ce qu’on a, c’est le fait que Tom, vous et moi l’ayons vu…»

Il y eut une longue pause. Je supposai qu’il pesait la situation, l’état de sa carrière et l’influence qu’une telle histoire pourrait avoir sur son avancement au sein du Bureau – où l’on a toujours apprécié les choses claires et nettes.

« Je l’ai vu », dit-il avec lenteur, « mais ça ne signifie pas que je juge ça important.

— Parfait. Alors vous gardez ça sous le coude jusqu’à nouvel ordre, d’accord ? Je déciderai moi-même si c’est important.

— C’est tout vu, Bill. »

Et une anomalie de réglée, une.

Le reste de la journée se passa comme ça : plutôt bien, sauf que je passai mon temps à regarder par-dessus mon épaule, m’attendant toujours à voir Louise me tomber sur le paletot.

Mais non.

On commença avec Norman Tyson, de la boîte qui avait construit les ordinateurs du contrôle de trafic aérien.

Sa position était que l’équipement de sa firme n’était pas en cause car il avait travaillé au-delà de la capacité pour laquelle il avait été conçu. Je laissai Tom le cuisiner, espérant voir apparaître une faille dans son armure de certitude. Ils se savaient vulnérables, mais ils savaient également que le fond de l’affaire pouvait fort bien être l’incapacité de la F.A.A. à remplacer un matériel obsolescent.

Et l’agence repasserait la balle au Congrès qui n’avait pas attribué les crédits. Dès lors, la culpabilité serait déjà suffisamment diluée, mais il nous était toujours possible d’aller encore plus loin en faisant porter le chapeau à l’électorat qui avait amené au Congrès de tels représentants.

Je savais que le Conseil était intouchable. Du moins, sur le papier. Les rapports et les recommandations, on en avait par tombereaux. On les avait mis en garde au sujet des vieux ordinateurs. On leur avait dit qu’il faudrait les remplacer.

Mais le leur avait-on dit suffisamment fort ?

Qui pouvait en décider ? L’époque était aux restrictions budgétaires. Quoique, à y repenser, je n’avais souvenance d’aucune époque où l’on n’avait pas réclamé une diminution des dépenses de l’État tandis que les victimes des restrictions budgétaires y voyaient immanquablement la pire des erreurs de jugement de la part de Washington. Et personne n’avait dit que les ordinateurs seraient bon marché : on parlait d’une somme d’un demi-milliard de dollars. Allez, regarde ça du bon côté. Je parierais qu’on va les avoir, à présent.

Peu après le déjeuner, je reçus un appel du docteur Harlan Prentice, le médecin légiste qui dirigeait l’équipe d’autopsie. Il voulait absolument que je passe, mais il y a des corvées que je tâche d’éviter après manger et celle-ci en faisait partie.