Je me dirigeai vers l’endroit où s’étaient trouvés les sacs de débris. C’étaient ces sacs qu’elle avait examinés. Je le voyais bien à présent : je l’avais interpellée, elle m’avait regardé, et elle avait détalé.
Les sacs avaient disparu. À leur place se trouvait une série de tables pliantes couvertes d’un empilement de métal tordu. Je longeai ces rangées interminables, parfois reconnaissant quelque chose, la plupart du temps n’ayant pas la moindre idée de ce que je contemplais. Il y a beaucoup de métal dans un avion.
Plus loin se trouvaient les tables avec les restes des bagages. Des valises réduites en morceaux pas plus grands que la main. Des amoncellements de vêtements lacérés et brûlés. Appareils photo écrasés, skis brisés, blocs de plastique fondus qui avaient été des calculettes. Même une bouteille de parfum intacte.
Une lueur rouge attira mon œil. Elle était très faible, enterrée sous un empilement de débris. Je tendis la main et c’est une épave non identifiable qui chût au sol avec bruit.
Première impression : un jouet d’enfant. Un pistolet à rayon. Le boîtier en plastique était à demi fondu, noirci sur les bords et fendu en deux. C’est par la fissure que filtrait la lueur rouge.
Comme tant d’autres choses dans cette affaire, ce jouet ne rimait à rien. Ce rouge m’avait tout l’air d’être de la lumière cohérente ; de la lumière laser. Et je n’avais jamais entendu parler d’un jouet d’enfant utilisant un laser.
J’avais dans la poche un couteau suisse. Je sortis la lame la plus longue et l’insérai dans la fissure. Je la fis jouer et la coque de plastique s’ouvrit en deux. Je contemplai longuement les entrailles de l’objet. Je ne savais fichtre pas ce que c’était, mais ce n’était certainement pas un jouet.
Okay. Enfin, j’avais quelque chose de concret. Ça me rendait plus triste que je ne pourrais l’exprimer de l’avoir trouvé, mais enfin, je l’avais. C’était une espèce d’arme. Elle provenait du coin qui avait tellement intéressé Louise hier matin. Au mieux, je pouvais supposer qu’elle était au courant de sa présence et qu’elle l’avait recherchée. Il était temps d’appeler les services spéciaux. Les armes échappaient à ma juridiction.
Il y avait un téléphone contre le mur à six ou sept mètres de là. J’allais appeler, j’en avais la ferme intention, mais la lumière rouge était encore dissimulée derrière quelque chose, peut-être un circuit imprimé. J’essayai de le soulever avec mon canif. Je voulais savoir ce qui produisait cette lumière.
J’étais par terre sur le dos. Impossible de bouger. J’avais très froid et l’occiput douloureux.
Il y avait eu un éclair, un drôle de bruit – d’abord très bas, pour grimper ensuite jusqu’aux ultra-sons, en ébranlant tout l’édifice. Et soudain, j’avais perdu tout tonus musculaire.
Je m’étais évanoui, mais je n’étais pas certain que ce fût à cause de l’arme. Je crois plutôt que je m’étais assommé en donnant de la tête contre l’arête de la table puis en heurtant le sol.
J’avais mal aux yeux, aussi. Je ne pouvais pas les bouger. Pas même cligner des paupières. Je les sentais s’assécher.
Un instant, je crus que j’étais mort, que c’était à ça que la mort ressemblait. Puis je découvris que je respirais toujours. Je pouvais sentir sous moi le froid contact du sol en ciment, le froid de l’air au-dessus de moi, et sentir ma poitrine qui s’élevait et s’abaissait. Je pouvais apercevoir le treillis de la charpente métallique du toit et deux lampes pâlottes. Tel était tout mon univers.
Je pensai : nuque brisée. Tétraplégique. Cathéter et poumon d’acier et sac à fèces et fini la vie sexuelle.
Mais le tableau ne collait pas avec une nuque brisée. Je pouvais sentir mes jambes. L’une était légèrement repliée en dessous de moi, et elle était bien partie pour s’engourdir. Je savais que quand je pourrais bouger de nouveau – si je devais jamais rebouger – ce serait bonjour les aiguilles et les fourmis.
Je ne me rappelle plus grand-chose des minutes qui suivirent. J’étais mort de trouille, ça ne me gêne pas de l’admettre. Quelque chose s’était produit que je ne comprenais pas. Tout ce que je pouvais faire, c’était rester étendu là. Je ne pouvais même pas regarder ailleurs qu’au plafond.
Puis je découvris que je pouvais faire autre chose : je pouvais entendre.
C’était très faible, mais comme c’était le seul bruit dans le hangar, je l’entendis. J’estimai qu’il s’agissait de deux personnes qui essayaient de marcher le plus discrètement possible. Je ne les aurais jamais entendues si je n’avais pas écouté aussi attentivement.
Au bout d’un long moment, je décidai qu’ils devaient être trois. Plus tard encore, j’eus la certitude qu’ils étaient quatre. Surprenant tout ce qu’on peut entendre quand on n’a rien d’autre à faire.
J’attendis. Le premier allait sous peu être tout près et c’est à ce moment que se déciderait mon sort.
Effectivement. J’en vis un apparaître dans mon champ visuel. Il me regardait. Il se tourna et siffla doucement. J’entendis les autres converger. Ils firent cercle autour de moi et me regardèrent. Ils portaient comme une combinaison de plongée, tout en caoutchouc noir, qui recouvrait tout le corps sauf le visage.
« Qui est-ce ? » demanda l’un d’eux.
« À ton avis ? »
Je connaissais cette voix.
Bon, elle avait bien dit qu’on se reverrait ce soir.
Ils discutèrent de savoir si j’étais vivant ou non. Puis s’éloignèrent hors de portée de voix ; du moins, même si je devinais qu’ils parlaient de moi à voix basse, j’étais incapable de saisir leurs paroles. J’avais l’impression que certains mots n’étaient pas anglais.
Ils vinrent jeter un nouveau coup d’œil d’un peu plus près. Cette fois, je devinai quelques mots çà et là :
«… court-circuit… »
« Faisceau paralyseur… pas focalisé… »
« Sacrée veine… cadavre. »
« Mais qu’est-ce qu’ils font là à cette heure-ci ? » C’était Louise.
«… récupère le paralyseur ? »
«… la Porte revient dans cinq minutes… Tirons-nous en vitesse. »
« Sûr qu’il transpire un max. »
Là, ça ne me surprit pas. Même si je ne comptais plus transpirer longtemps. Je savais que j’étais un homme mort. J’avais mis le pied dans un truc que je n’étais pas censé connaître, une histoire d’arme paralysante. Comme je ne pouvais pas bouger les yeux, je n’avais guère pu les observer, mais j’avais le souvenir de vagues formes accrochées à leur ceinture et tout dans leur comportement évoquait le mot commando. Ils n’étaient pas ici pour s’amuser.
Donc, ils allaient sûrement me liquider.
En gros. La seule chose que je ne saisissais pas – du moins au sens tactique – c’était la raison pour laquelle Louise s’était, avant cet instant, aussi souvent montrée à moi. Avait-elle plus ou moins cherché à requérir mon aide ? Je me rappelai ses efforts pour me retenir d’aller travailler aujourd’hui. D’accord ; elle avait donc essayé de m’empêcher d’être ici pendant qu’ils procédaient à leurs recherches… sauf que moi, il y a moins d’une heure encore, j’ignorais que je serais ici. Normalement, je n’aurais jamais dû me trouver dans ce hangar à cette heure-ci.
Quelqu’un chez eux avait fait une grosse boulette, j’ignorais laquelle, mais j’étais sûr que la solution la plus simple à leur problème actuel était de m’éliminer.
Je n’en crus pas mes oreilles quand je les entendis s’éloigner.