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Arnold Mayer habitait dans un sacré coin. Je savais où le trouver parce que quelques jours après m’avoir interrogé lors de la conférence de presse, il m’avait envoyé une carte avec son adresse et son numéro de téléphone. C’était au moment où je pensais encore parvenir à me faire entendre. À présent, je n’avais plus que lui. Il avait désiré savoir à l’époque si j’avais relevé quelque chose d’anormal et j’étais tout prêt désormais à lui en rebattre les oreilles.

Je passai devant chez lui plusieurs fois avant de me décider à m’arrêter. C’était dans la campagne, au milieu d’un hectare de broussailles. Il y avait une grande antenne – ça m’avait tout l’air d’une installation de radio-amateur – une rangée de collecteurs solaires et, posée devant la maison, une fort coûteuse antenne de réception de satellites dont la vaste parabole était dirigée vers le ciel matinal.

Il n’avait pas trop l’air de se préoccuper des éventuelles réactions de ses voisins – pourquoi faire, d’ailleurs, quand la dernière maison que j’avais vue était quinze cents mètres plus bas sur la route. Les mauvaises herbes avaient reconquis sa cour, il y avait des objets épars çà et là – comme le fuselage d’un vieux F-86 de l’Air Force, avec un réacteur rouillé déposé à côté. Il y avait aussi des carcasses de voitures, de vieux postes de télé et un vaste amoncellement d’équipements électroniques divers, depuis d’antiques ordinateurs UNIVAC jusqu’aux entrailles d’un magnétoscope tout à fait récent.

On pourrait croire que je suis en train de décrire l’arrière-cour de quelque métayer de Georgie et il y avait certainement un peu de ça. Mais toute cette ferraille, c’était de la ferraille de technique de pointe, et la bâtisse qui se dressait au milieu de ce capharnaüm était de solide brique rouge, avec deux étages et des antennes qui jaillissaient du moindre pignon, de la moindre corniche.

Le sol de l’allée était fissuré et la porte d’entrée avait depuis longtemps perdu son vernis. Pourtant, tout cela donnait néanmoins une impression de solidité. Je me dis qu’il ne devait tout simplement pas se soucier de l’aspect extérieur des choses.

Je respirai un bon coup et pressai la sonnette. Quelque part à l’intérieur, j’entendis jouer les cinq petites notes de la ritournelle débile de Rencontres du Troisième Type. J’espérais que c’était une blague.

Je ne m’étais pas attendu à le voir d’une telle taille. Il avait paru plus petit vu de mon podium le soir de la conférence. Son crâne luisant était presque entièrement dégarni. Les quelques cheveux qui lui restaient étaient d’un blanc immaculé. Il ne ressemblait pas du tout à Einstein, mais je ne pus m’empêcher de penser à lui.

Il portait une chemise jaune ornée du fameux petit crocodile et un pantalon de travail maculé de peinture.

« Bill Smith », dit-il avec un sourire sympathique. Il me posa avec légèreté la main sur l’épaule et s’écarta pour me faire entrer, geste d’intimité que je n’étais pas certain d’apprécier. Il referma la porte et se tourna vers moi.

« Je vous attendais. »

« C’est intéressant parce qu’il y a quelques heures encore, j’ignorais que je viendrais ici.

— Mais où ailleurs auriez-vous pu aller ? J’ai appris ce qui vous est arrivé. J’en suis désolé bien que je ne puisse pas dire que j’en sois surpris.

— Que savez-vous ?

— Fort peu de choses. Sinon que vous vous êtes comporté de manière erratique. Mes sources m’ont procuré des informations fragmentaires, mais néanmoins des plus fascinantes – rien que des rumeurs, à vrai dire. J’avais espéré que vous pourriez venir en discuter avec moi. Et vous voici.

— Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi. »

Il m’examina puis hocha la tête.

« Eh bien, pourquoi ne pas y réfléchir quelques instants dans mon bureau. J’ai quelque chose sur le feu dans l’autre pièce et ça ne peut attendre. »

J’allais protester, mais il était déjà parti.

Son « bureau » était curieux. J’adorai.

L’un des murs était presque entièrement vitré. Il ouvrait sur une vallée. Tout au loin passait une autoroute. Un peu plus près, il y avait une espèce de verger. Et tout près, c’était son arrière-cour – pas fondamentalement différente de celle de devant. Un peu au-delà, je voyais également un vaste potager, visiblement entretenu avec amour.

Les autres murs étaient recouverts de rayonnages, tous remplis à craquer. Au milieu des livres, des bandes d’ordinateur, des disquettes, des disques, des manuscrits épars, des magazines et des revues. Il y avait bien du mobilier, mais pour m’asseoir sur l’une quelconque des chaises, j’aurais d’abord dû déplacer une pile de papiers.

Il possédait un superbe vieux bureau en bois patiné. Posé dessus, un super terminal d’ordinateur, et derrière, une installation stéréo montée à partir de composants de laboratoire. Les haut-parleurs étaient assez gros pour pulvériser le Carnegie Hall.

C’était un véritable musée du bric-à-brac. Il y avait des oiseaux empaillés sous des cloches en verre, un astrolabe en cuivre, un globe à faire pâlir d’envie Nero Wolfe. Et aussi un chromatographe en phase gazeuse, les entrailles ouvertes, entouré d’outils, un phono à cylindres, entassées dans un coin trois I.B.M. Selectric qui prenaient la poussière, une Xerox géante qui s’étendait par une porte ouverte jusque dans l’autre pièce et une boule de cristal qui ne serait pas passée au travers d’un hula-hoop. Posées çà et là sur des tables, se trouvaient diverses pièces de verrerie de laboratoire.

Le seul coin de mur nu était au-dessus de la cheminée – nu au sens où il était dépourvu de rayonnages. Il y avait quelques trophées accrochés au manteau et des photos et diplômes encadrés occupaient les centimètres carrés disponibles.

J’en contemplais un depuis un petit moment quand je m’aperçus que c’était un Prix Nobel. J’avais toujours cru que le prix était en fait une médaille, mais peut-être l’avait-il fourrée dans un coin. C’était un parchemin très orné, décerné en physique et daté de 1960. J’étais étonné de n’avoir pas reconnu son nom, mais il faut dire qu’ils filent ces trucs chaque année à quatre ou cinq types dont le plus souvent on n’a jamais entendu parler et dont on ignore totalement quels travaux ont motivé cette récompense. Malgré tout, j’étais impressionné.

Il y avait une photo de Mayer en compagnie du président Einsenhower. Dédicacée : « Amitiés, Ike. » Il y avait un portrait de groupe : Mayer, Linus Pauling, Oppenheimer et Edward Teller. Il y avait un cliché d’un Mayer beaucoup plus jeune, serrant les mains de Monsieur Relativité soi-même : Albert Einstein. J’avais eu raison : Mayer ne lui ressemblait pas du tout.

« Je l’avoue », dit-il dans mon dos. « Je suis un vrai raton laveur : j’engrange et je suis apparemment incapable de rien jeter. Autrefois, je le faisais et puis, quelques années plus tard, j’essayais toujours de retrouver les choses et elles n’étaient plus là. »

Il était revenu en hâte, s’essuyant les mains à un torchon. Il paraissait nerveux. Je me demandai pourquoi jusqu’à ce qu’il eût mis la main sur une assiette avec un sandwich à moitié fini et un verre de vin vide avec une tache rouge au fond. Il continua de s’agiter de la sorte à travers toute la pièce, sans le moins du monde entamer la pagaille mais se sentant apparemment obligé de faire du nettoyage.

« J’ai une jeune femme qui vient une fois la semaine, s’excusa-t-il. Elle contient mes excès. S’assure que la typhoïde ne met pas un pied dans la place. » Il ramassa une chemise sale et une chaussette rouge solitaire.