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J’en déduisis par conséquent que Louise devait bluffer. Je suppose que j’aurais dû le dire à Mayer. Je n’en fis rien. J’avais envie d’entendre son histoire autant qu’elle. Plus même.

Je croyais comprendre pourquoi il ne m’avait pas parlé du paralyseur rangé dans son bureau. Je crois qu’il me l’aurait montré si Louise ne nous avait pas interrompus. Il avait simplement fait ce qu’aurait fait tout bon scientifique : attaquer mon récit, m’amener à dire ce que j’avais vu sans me le souffler.

Cela dit, j’en avais ma claque. Je me carrai dans mon siège et attendis de voir ce qu’il allait faire.

« Je croyais que vous aviez toute la vie devant vous, dit Mayer.

— À une certaine époque, oui. À présent, il ne nous reste plus beaucoup de temps et vous nous le gâchez bien plus rapidement que vous ne pouvez l’imaginer.

— Vous ne pouvez rien me dire de…

— Pas encore. Plus tard, peut-être. Je ne vous fais aucune promesse ; il est encore possible qu’on récupère ce fiasco avec un minimum de dégât. Il n’est désormais plus possible de sauver le monde entier, mais j’espère quand même en préserver une partie. » Elle haussa les épaules. « C’est ce que j’ai fait toute ma vie, me battre pour retarder les choses. Maintenant, vous allez parler. »

Et Mayer parla.

« Il y a eu une catastrophe aérienne dans l’Arizona en 1955, commença-t-il.

— Je sais. J’étais dans l’avion. »

Cela le rendit muet momentanément :

« Alors, vous le reconnaissez ?

— Reconnaître quoi ? Oh, vous croyez que j’ai provoqué l’accident. Non docteur, ce n’est pas aussi simple ou direct que ça. En fait, nous sauvions la vie de tous les passagers et de l’équipage. »

Mayer parut abasourdi. Moi aussi, je suppose. J’allais dire quelque chose, mais Louise reprit :

« Oui, docteur Mayer. Votre fille est vivante et en parfaite santé. »

Je serais bien en peine de rapporter ce qui se dit dans la demi-heure qui suivit. Ce fut surtout un échange de cris, dans un climat de colère et d’incrédulité. Je n’irai pas jusqu’à prétendre avoir tout saisi. Je suis loin d’être certain d’en avoir compris la majeure partie encore même aujourd’hui. Le voyage dans le temps, les paradoxes, la fin de l’univers… Ça faisait un paquet à digérer d’un coup.

Mais elle nous dit qu’elle avait sauvé la vie des gens. Le mécanisme qu’elle nous décrivit pour y procéder se révélait si bizarre et compliqué que mon seul moyen d’y croire était d’appliquer une espèce de logique à rebours : si elle avait dû mentir, pourquoi choisir un mensonge aussi improbable ?

Mais si elle disait la vérité… cela signifiait que tout le sang, la tripe, la souffrance, qui avaient fini par dominer toute mon existence n’étaient pas plus réels qu’un cadavre dans un film d’horreur hollywoodien. Ça signifiait que tous ces gens étaient vivants quelque part, dans un incompréhensible futur.

« Non, pas tous, Bill », avait dit Louise doucement, à un moment. « Seuls ceux des accidents sans aucun survivant. Un seul témoin de notre action aurait provoqué un paradoxe. »

Cela me parut une broutille. J’avais senti un tel poids quitter mes épaules.

« Il nous a fallu un bout de temps pour le saisir », expliqua Louise en regardant Mayer. « Le fait que votre fille était à bord.

— Elle n’avait que vingt-deux ans. » Il pleurait. « Elle venait de se marier. Elle était en route pour, la Californie, Livermore, pour nous présenter son mari, à moi et… à Naomi. Je crois bien que c’est ce qui a tué également Naomi, indirectement. C’était ma femme et elle…

— Oui, nous savons, fit Louise, doucement.

— Vous savez tout, n’est-ce pas ?

— Si c’était le cas, je ne serais pas là à vous questionner. Nous ignorions que votre fille était à bord du Constellation parce qu’elle voyageait sous son nouveau nom de femme mariée. Nous vous avons vu sur le site de l’écrasement, mais sans parvenir à découvrir pourquoi. Nous avons fini par recoller les morceaux du puzzle au bout de longues observations au chronolyseur. Il nous a fallu procéder à des examens indirects. Nous étions confrontés à une masse de censure temporelle. » Elle jeta un œil à Sherman. « Et ce n’est que tout récemment que nous avons su que le second paralyseur était arrivé en votre possession. »

Mayer avait racheté l’objet à un Indien qui disait l’avoir trouvé fort loin du point d’impact principal. L’Indien lui avait dit que le paralyseur procurait des chatouillis pas désagréables lorsqu’on en pressait la détente. Sherman et Louise s’entre-regardèrent lorsque Mayer leur dit ça. Je ne sais pas ; peut-être que la batterie faiblissait. Ce que je sais, c’est que celui que j’avais trouvé m’avait bougrement plus secoué que ça.

« Ce que je dois savoir, dit enfin Louise, c’est ce qu’est devenu l’intérieur du paralyseur. Le savez-vous ? »

Mayer garda le silence. Je fus surpris. J’ignorais ce qu’il pouvait gagner à continuer à se taire. J’aurais dû le savoir, mais à ce moment, la tête me tournait devant ce déferlement trop soudain d’informations.

« Il sait », dit Sherman. Le robot ne tenait plus la main de Mayer ; je suppose qu’il n’en avait plus besoin ou peut-être cela n’avait-il jamais été nécessaire – mais un simple spectacle pour épater les sauvages.

« Je sais effectivement où il se trouve, dit Mayer.

— Je veux que vous me le disiez, docteur. » Elle le regarda et il ne dit rien. Elle soupira – je ne saurais exprimer à quel point elle pouvait sembler lasse – et se remit debout.

« Docteur Mayer, dit-elle, laissons tomber les menaces. Je pense que vous vous êtes douté que je n’avais aucune intention de vous faire souffrir. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que c’est parce que je suis un tel agneau ; si cela devait sauver le Projet, je serais prête à vous découper en rondelles plus fines que des ronds de flan, sans sourciller.

— Nous avons tous pu apprécier l’étendue de votre sang-froid, mademoiselle Baltimore, dit Mayer.

— D’accord, je ne peux pas vous faire de mal. Je l’admets. Cela ne ferait que rendre les choses pires encore. J’en suis réduite à implorer et, j’espère, à vous raisonner. Comprenez-vous ce que j’ai dit au sujet du paradoxe ?

— Je crois que oui.

— Et vous êtes encore résolu à tout compromettre ?

— Je ne reconnais pas que le fait soit prouvé. Vous dites vous-même que les dégâts sont déjà là ; vous vous efforcez uniquement de les minimiser. Vous l’avez vous-même admis, vous serez rayés de la réalité quoi qu’il arrive ici ce soir. Bill a déjà provoqué le paradoxe. Il est irréversible, n’est-ce pas ? »

Louise acquiesça de mauvaise grâce. Puis elle se ressaisit.

« Mais il est encore possible de choisir entre deux désastres. L’un est terrible, mais l’autre est absolu. »

Mayer hocha la tête.

« Je ne crois pas que vous puissiez savoir cela. »

À voir l’expression de Louise, je commençai à me demander si Mayer n’avait pas son propre détecteur de mensonges incorporé.

« Peut-être que non, admit-elle. Mais pourquoi ne voulez-vous pas nous dire où se trouve le reste du paralyseur ?

— Parce que c’est tout ce qu’il me reste », dit calmement Mayer. « Je n’ai pas l’intention de passer les quelques années que j’ai à vivre encore à me demander si vous ne m’auriez pas fait subir quelque arnaque temporelle. Vous m’avez dit que ma fille était vivante dans votre monde. J’exige que vous me le prouviez. Emmenez-moi là-bas. Alors, je vous dirai ce que je sais. »