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Bill est quelque part ailleurs, à faire de même. J’espère que ça lui plaît.

Et voilà, j’ai fini.

Je me trouvais en fait à la balustrade du balcon de mon appartement lorsque je fus troublée par l’Appel du Destin. L’histoire de ma vie.

Je suppose que vous l’appelleriez le facteur. C’était un robot et il venait du bureau de poste du Féd, porteur d’une capsule temporelle à moi adressée, avec ordre de ne l’ouvrir qu’au Dernier Jour.

« G.O ! En ligne !

— Je t’écoute.

— Pourquoi m’envoyer ça ? J’avais dit que je ne voulais plus m’en mêler.

— C’est un message intéressant, Louise.

— Tu lis mon courrier, maintenant ? Quelle honte. Mais qu’est-ce que ça peut fiche ? Tu l’écris, aussi.

— J’avoue. Mais certaines choses exigent d’être faites d’une certaine manière.

— Je ne me plains pas. Brave petit soldat jusqu’au bout. Mais pourquoi devrais-je lire ce truc ? Et pourquoi devrais-je le croire ?

— C’est entièrement à toi de décider, Louise. »

Un individu à deux doigts de sauter du quatre-vingt-dixième étage est-il encore curieux ?

Révélation : Oui. Très.

Le message disait ceci :

C’est encore moi.

Tu vas te demander comment tu peux recevoir un message d’une version future de toi-même, considérant ce que tu étais sur le point de faire lorsque ce message est arrivé. Tu vas en conclure que c’est encore un nouveau tour joué par Sherman, ou le G.O., voire par un Dieu facétieux.

Tu penseras à tout cela, mais j’ai des raisons de croire que tu feras comme toujours : te conduire en bonne fille.

Le G.O. ne te dit pas toute la vérité. Il a évoqué un voyage de quelques millions d’années alors qu’en réalité il nous expédie beaucoup plus loin que ça. La Terre est sérieusement blessée et il lui faudra beaucoup de temps pour guérir.

Mais elle guérira et nous arriverons.

Je ne peux guère t’en dire plus car je vais bientôt mourir. Je sais aussi qu’un surcroît de détail ne ferait qu’accroître les affres de ton indécision. Sache simplement ceci :

Le revitaliseur a raison : Tu es enceinte.

Et tu as raison : Tu tiendras ici près d’un an, dans ce meilleur des mondes. Je sais que ça ne fait pas long, mais je te garantis que tu n’auras pas le temps de t’ennuyer. Et ça te fera un an avec lui et trois mois avec elle (c’est une fille !). Ta fin ne sera pas trop douloureuse – du moins ne l’a-t-elle pas été jusqu’à présent. Et sur ton lit de mort, tu n’auras aucune assurance que ta fille te survivra bien longtemps. Cette vie est dure. Mais tu l’auras auprès de toi, en bonne santé, et vous serez très heureuses. Tu t’assiéras avec elle et tu écriras un dernier message adressé à ton pauvre et perplexe moi passé, en te demandant comment diable il aura bien pu lui revenir. (Je ne peux te le dire, mais que serait la vie sans un peu de mystère ?)

Embarque à bord de la Nef, Louise. Pars avec lui.

Épilogue

« Toute la vie devant soi. »

Témoignage de Sherman.

J’en suis venu à croire, au bout d’une longue expérience dans la fréquentation des hommes, qu’on n’obtient jamais de récit véridique.

Voici que je me retrouve en présence de deux relations, et sur le point d’y rajouter à mon tour mensonges, demi-vérités ou simples erreurs d’interprétation de mon cru, mû par quelque vague besoin de parachever les choses – achèvement à jamais irréalisable.

Les témoignages sont en gros ce qu’on peut en attendre : chacun se croit la vedette de son propre spectacle. Les personnages secondaires ne sont là que comme faire-valoir. Et savent disparaître quand on n’a plus besoin d’eux.

Bill Smith n’a jamais mentionné le nom de son ex-épouse, par exemple. Il n’a jamais mentionné qu’il avait deux enfants ni qu’il n’allait jamais les voir parce que ça lui faisait trop de peine. C. Gordon Petcher vu par Smith est une caricature alors que mes propres observations au scanneur temporel révèlent un homme consciencieux, dur à la tâche, et dont tous les actes étaient valablement motivés.

D’un autre côté, il faut le lui reconnaître, Smith a conscience de ses propres faiblesses et il n’a pas honte de les dévoiler. On pourrait dire – si l’on voulait se montrer aussi cynique que Louise aimait à prétendre l’être – qu’il était même trop conscient de ses problèmes. Mais il semblait lutter contre.

Il est toujours fort tentant de vouloir lire entre les lignes. Je n’avais guère de mal à voir que Smith croyait sérieusement aimer Louise. Il avait peur de l’avouer – même à lui-même – et non sans raison. Il ne l’aimait pas. Et les événements le confirmeront, m’assure le G.O. Il ne fera pas un bon père pour l’enfant de Louise.

Louise…

Je sais travailler avec un fou aussi bien qu’avec un individu sain d’esprit. Il ne fait aucun doute qu’elle était folle, mais elle avait réussi une excellente adaptation fonctionnelle à cette situation impossible. Son illusion concernant la seconde peau en fournit un exemple flagrant. Elle croyait si fortement en porter une qu’elle pouvait l’« ôter » pour découvrir alors quelque horreur née de sa propre imagination. Je me prêtais à ce jeu uniquement par intérêt : c’était en effet seulement quand elle l’avait enlevée qu’elle pouvait se confier à moi, me dire les choses que je savais déjà, mais qu’il lui fallait ramener à la surface elle-même. Bon, d’accord, j’étais une espèce d’analyste. Il était sans doute inévitable que je tombe amoureux d’elle à ma manière froide, mécanique et cruelle.

Une ironie de plus : elle croyait ne pas aimer Smith quand en fait elle l’aimait réellement.

Oh, et Mayer. Disons-le tout net : Durant une période de plus de trente ans, il s’était persuadé qu’il aimait sa fille. Quand elle se réveilla, elle n’était pas du même avis. Elle eut même le mauvais goût de lui révéler ce qui avait réellement tué son épouse adorée.

Je suis donc là à me souvenir d’eux, alors qu’ils ne sont pas encore partis.

« Là », c’est la salle de contrôle de l’une des navettes spatiales naguère posées à proximité de la grande nef interstellaire. En fait, il s’agit d’un véhicule considérablement plus puissant. Nous sommes à quelques millions de kilomètres de la Terre et nous n’avons pas traîné. Le G.O. me certifie que nous sommes assez loin pour éviter les contrecoups tant physiques que temporels du voyage vers le « futur ».

J’ai sur les genoux la transcription des deux récits. À côté de moi, se trouve une petite boîte noire, de la taille à peu près d’un Enregistreur de Conversations dans le poste de pilotage.

Un stupide petit aphorisme du XXe siècle me trotte dans la tête : « Aujourd’hui est le premier des jours qu’il te reste à vivre. »

Définir le mot jour. Définir le mot vivre.

J’ai dit : « Écoute un peu, connard. »

Et une voix jaillie de la boîte noire a dit ;

« Ce n’est pas votre code d’accès.

— Je sais. C’était simplement pour vous le faire entendre encore une fois avant son départ, histoire de vous rappeler quelqu’un que vous n’avez jamais réussi à impressionner.

— Vu, dit le Grand Ordinateur.