Выбрать главу

Je croyais avoir joué un bon tour à Sabine en me débarrassant sur elle du fardeau financier de la ménagerie, mais je me trompais. Néron prit Épaphroditus en affection et lui paya toutes ses demandes de remboursement. Épaphroditus fit boire ses fauves dans des abreuvoirs de marbre et les cages des panthères eurent des barreaux d’argent. Néron payait sans un murmure, alors que j’avais dû tirer de ma propre cassette les fonds nécessaires quand la distribution d’eau avait été réorganisée dans la ville.

Épaphroditus savait distraire Néron en arrangeant pour lui certains divertissements animaliers que la décence m’interdit de décrire. En peu de temps, le dresseur de fauves devint, grâce à sa ménagerie, un homme riche et un favori de Néron.

Ma destitution eut pour effet qu’on cessa de me jeter des pierres dans la rue et qu’on rit plutôt de moi. Je retrouvai certains de mes amis qui estimaient avec magnanimité qu’ils devaient se montrer pitoyables pour un être tombé en disgrâce et objet de risée. Je ne me plaignais pas, car il est plus doux d’être moqué que d’être haï par tous. On ne pouvait attendre d’une femme qu’elle comprît cette attitude raisonnable. Claudia me suppliait chaque jour de gagner une meilleure réputation, pour le bien de mon fils. Je m’efforçais de me montrer tolérant.

Ma patience fut mise à rude épreuve lorsque Claudia, dans son orgueil maternel, se mit en tête d’inviter Antonia et Rubria, la doyenne des vestales, pour la cérémonie d’attribution de ton nom, afin que je pusse te légitimer en présence de ces deux femmes, car la vieille Pauline était morte dans l’incendie et ne pourrait nous servir de témoin. Claudia avait compris quelles conséquences avait la destruction des archives.

Bien sûr, assura-t-elle, toute l’affaire serait gardée secrète mais elle tenait à la présence, en tout cas, de deux chrétiens de confiance. Elle ne cessait de répéter que les chrétiens plus que quiconque avaient appris à garder la bouche close sur ce qui se faisait dans les réunions confidentielles. Quant à moi, je les considérais comme les pires délateurs, les plus dangereux bavards. Leur découvrir les origines de mon fils revenait à mes yeux à les crier sur les toits.

Mais, en dépit de mes avertissements, Claudia s’obstinait. Certes, en soi, c’était un grand honneur qu’Antonia, fille légale de Claude, reconnût Claudia pour sa demi-sœur et aussi qu’elle te prît dans ses bras pour te donner le nom d’Antonianus en souvenir d’elle-même et de son ancêtre Marc Antoine. Ce qui m’inquiétait par-dessus tout, c’était qu’elle me promît de se souvenir de toi dans son testament.

— Allons, me récriai-je, pour changer de sujet, comment peux-tu parler de testament ? Tu es beaucoup plus jeune que Claudia, tu es dans les plus belles années de la femme.

Claudia ne parut guère priser ces propos, mais Antonia étira son corps mince et ses yeux hautains tournèrent vers moi un regard voilé.

— Je pense que je suis très bien conservée pour mon âge, dit-elle. Certes Claudia commence à paraître un peu usée, si je puis dire. Parfois, j’aspire à la compagnie ardente d’un homme. Après deux unions dissoutes l’une et l’autre par le meurtre, je me sens bien seule, car on a peur de Néron et l’on me fuit. S’ils savaient…

Je vis qu’elle brûlait de nous raconter quelque chose. La curiosité de Claudia était aussi piquée au vif que la mienne. Seule la vieille Rubria souriait de son sage sourire de vestale. Nous n’eûmes pas à insister beaucoup avant qu’Antonia consentît à nous raconter avec une feinte modestie que Néron lui avait à plusieurs reprises, avec une grande ténacité, offert de l’épouser.

— Bien évidemment, je ne pouvais accepter, poursuivit-elle. Je lui ai dit tout net que mon demi-frère Britannicus et ma demi-sœur Octavie étaient encore beaucoup trop présents dans mon esprit. Par pure bonté, je ne dis rien de sa propre mère, Agrippine ; quoique étant nièce de mon père, elle était aussi ma cousine et ta cousine aussi, ma chère Claudia.

Au souvenir de la mort d’Agrippine, je fus pris d’une brusque quinte de toux et Claudia dut m’administrer des claques dans le dos et me reprocha de vider trop vite ma coupe. Toussant toujours, je demandai à Antonia si Néron avait donné des raisons à sa proposition. Ses cils papillonnèrent sur ses pupilles bleu pâles et elle baissa les yeux.

— Néron m’a raconté qu’il m’aimait en secret depuis longtemps. Il disait que c’était à cause de moi – et de moi seulement – qu’il avait nourri tant de ressentiment contre mon défunt époux Cornelius Sulla, qu’il considérait comme un homme trop peu ambitieux pour moi. Cela excuse peut-être son comportement envers Sulla, bien qu’officiellement, en le faisant assassiner dans notre modeste demeure de Massilia, il n’ait eu en vue que le bien de l’État. Entre nous, je puis bien vous avouer que mon époux entretenait en fait des contacts secrets avec les généraux des légions germaines.

Nous ayant ainsi montré qu’elle nous considérait comme des parents parfaitement dignes de confiance, elle poursuivit :

— Je suis assez femme pour avoir été émue par l’aveu de Néron. Quelle pitié qu’il soit si peu loyal et que je le haïsse tant ! Il peut être aimable quand il le veut. Mais j’ai gardé la tête froide et argué de la différence d’âge, bien qu’elle ne soit guère plus grande que celle qui existe entre toi et Claudia. Depuis l’enfance, j’ai l’habitude de considérer Néron comme un enfant insupportable et naturellement, le souvenir de Britannicus constitue pour moi un obstacle insurmontable, même si je puis pardonner ce qu’il a fait à Octavie qui a mérité son malheur en séduisant Anicetus.

Je ne voulus pas lui dire quel bon acteur savait être Néron quand il voyait quelque avantage à tirer de la situation. Pour en imposer au sénat comme au peuple, il lui aurait été fort utile d’être allié aux Claudiens par une troisième voie, en la personne d’Antonia.

Ces réflexions m’amenèrent à de tristes considérations. Du fond du cœur, je souhaitais que tu ne fusses jamais exposé à la honte publique de voir révélées les origines de ton père. Par des voies secrètes j’avais acheté avec d’autres écrits, les lettres rédigées par mon père, avant ma naissance, à Jérusalem et en Galilée. Dans ces missives destinées à Tullia, mais qu’il ne lui avait jamais envoyées, il apparaissait clairement que mon père, l’esprit gravement troublé par son chagrin d’amour, s’était abaissé à croire tout ce que les Juifs lui racontaient et avait même eu des hallucinations. À mon point de vue, le plus triste était ce que ces lettres révélaient du passé de ma mère. Ce n’était qu’une simple danseuse acrobatique que mon père avait affranchie. Tout ce qu’on savait de ses origines, c’était qu’elle était née dans les îles grecques.

Sa statue dans sa ville éponyme de Myrina en Asie et tous les papiers achetés par mon père à Antioche, n’étaient que faux-semblants destinés à assurer mon avenir. Les lettres m’incitaient même à me demander si j’étais bien né dans les liens du mariage ou si mon père, après la mort de ma mère, avait acheté un certificat nuptial aux autorités de Damas. Je savais, pour l’avoir moi-même vérifié en faveur de Jucundus, que l’argent pouvait aplanir bien des difficultés.

Parmi les autres papiers de mon père figuraient de nombreuses notes en araméen sur la vie de Jésus de Nazareth, écrites par un éminent personnage juif qui avait été en relation avec mon père. Je sentais que je ne pouvais les détruire, aussi les avais-je rangées avec les lettres dans ma cachette la plus secrète, avec certains documents qui ne devaient pas voir le jour.