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Nous nous entretînmes encore un moment de chevaux ainsi que des poètes et des chanteurs grecs qu’il admirait, mais nous ne prîmes en fin de compte aucune décision particulière. Je compris que je serais le bienvenu à tout moment dans la demeure d’Agrippine. Nos visiteurs nous quittèrent, non sans que la mère de Lucius eût demandé à l’esclave qui portait sa bourse de donner une pièce d’or à Barbus.

— C’est une femme très solitaire, m’expliqua la tante après leur départ. Ses nobles origines la tiennent à l’écart du peuple et ses égaux n’osent se montrer en sa compagnie par crainte d’encourir les foudres de l’empereur. Comme il est triste de voir cette femme de si haute condition quémander l’amitié d’un jeune homme infirme !

Ces paroles ne me blessèrent pas, car je m’étais posé la même question.

— Craint-elle vraiment d’être empoisonnée ? demandai-je avec précaution.

Tante Laelia grogna.

— Elle exagère. On ne tue pas en plein jour, dans une demeure habitée, au centre de Rome. Son histoire me paraît inventée de toutes pièces. Tu ferais mieux de ne pas te mêler de ces affaires. Il est exact que Caius, le cher garçon, possédait un coffre rempli de poisons qu’il expérimentait au gré de sa fantaisie. Mais Claude a fait détruire ces réserves et les empoisonneurs sont sévèrement punis. Tu n’es pas sans savoir que le mari d’Agrippine, Domitius, le père de Lucius, était frère de Lepida Domitia, mère de Messaline ? Quand Lucius eut trois ans, il hérita tous ses biens mais Caius les garda pour lui. Agrippine fut exilée et pour survivre dans une île lointaine, elle dut apprendre à pêcher les éponges. Lucius fut confié à sa tante, Domitia et il eut son coiffeur Anicetus, pour tuteur, comme tu peux le voir encore à l’apprêt de sa chevelure. Mais Lepida Domitia s’est brouillée avec sa fille Messaline et compte au nombre des rares personnes qui osent se montrer en compagnie d’Agrippine et cajoler Lucius. Messaline se sert du nom de son grand-père, Valerius Messala, pour montrer qu’elle descend directement du divin Auguste. Sa mère est furieuse contre elle parce qu’elle affiche son affection pour Caius Silius, se montre partout avec lui, se conduit chez lui comme si elle était chez elle, traite les esclaves et les affranchis de cet homme comme les siens et a même fait transporter quelques précieuses pièces de mobilier du Palatin à la demeure de Caius. Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu’il n’y a là rien que de très naturel, car Silius est le plus bel homme de Rome. Tout cela pourrait aussi bien être parfaitement innocent, car ni elle ni lui ne se dissimulent le moins du monde. Une jeune femme ne peut pas se satisfaire toujours d’un vieil ivrogne grincheux pour toute compagnie. Claude est forcément accaparé par ses devoirs et durant ses moments de loisir, il préfère jouer aux dès plutôt qu’aller au théâtre. Il affectionne aussi les spectacles de l’amphithéâtre. Rien ne lui plaît comme de voir un criminel dépecé vivant par des fauves. Mais ce n’est pas un spectacle convenable pour une femme.

— Assez parlé de Messaline ! m’écriai-je en me bouchant les oreilles. Mon esprit s’embrouille à essayer de démêler les liens de parenté de tous ces gens.

Mais la visite de personnages si distingués avait trop stimulé ma tante pour qu’elle s’en tînt là :

— C’est pourtant simple. Le divin Auguste était petit-fils de la sœur du divin Jules César. Par le premier mariage d’Octavie, sœur d’Auguste, Messaline est la fille du petit-fils d’Octavie, tandis que Claude est petit-fils d’Octavie et de son second époux, Marc Antoine. Agrippine est nièce de Claude mais aussi veuve du deuxième petit-fils d’Octavie, Cnaius Domitius, de sorte que Lucius Domitius est – écoute bien – en même temps petit-fils de la première fille d’Octavie et petit-fils de sa deuxième fille !

— Alors, si je comprends bien, en troisièmes noces Claude a épousé la petite-fille de la demi-sœur de sa mère, c’est-à-dire Valeria Messaline ? Dès lors, Messaline est d’aussi noble naissance qu’Agrippine ?

— Plus ou moins, admit tante Laelia. Mais elle n’a pas dans les veines le sang corrompu de Marc Antoine, qui a tant fait souffrir les autres. Certes, son fils Britannicus en a, par l’intermédiaire de Claude, pour autant que…

— Pour autant que quoi ?

— Hum, Claude a déjà un enfant illégitime, dit tante Laelia à contrecœur. Il n’est pas absolument certain que Britannicus soit réellement son fils, quand on sait tout ce qu’on raconte sur Messaline. À l’époque, on a dit que ce mariage avait été arrangé par l’empereur Caius pour sauver l’honneur de la jeune femme.

— Tante Laelia, dis-je d’une voix solennelle, par loyauté envers l’empereur, je devrais te dénoncer pour avoir prononcé de telles insultes.

— Comme si Claude pouvait croire quoi que ce fût de désobligeant touchant son adorable tendron, sa délicieuse femme-enfant, grogna la tante.

Mais ce disant, elle jetait des regards alentour pour s’assurer que nul ne nous écoutait.

Un peu plus tard, je demandai à Barbus s’il avait vraiment eu un rêve aussi prometteur pour l’avenir de Lucius Domitius. Il maintint avec entêtement qu’il avait bel et bien vu ce qu’il avait décrit, même si cette vision pouvait être attribuée à l’effet du vin et à la surprise.

— La boisson, ajouta-t-il, au plus fort de la canicule donne parfois des songes effrayants à force d’être étranges.

Quand j’eus marché quelque temps en m’appuyant sur des béquilles, le médecin de la cavalerie me dépêcha un masseur qui sut si bien stimuler mes jambes et exercer mes muscles relâchés que je ne fus plus long à me déplacer sans aide aucune. Je porte depuis cette époque une chaussure à semelle épaisse au pied blessé, de sorte que ma claudication est à peine perceptible.

Je recommençai à monter à cheval mais remarquai bientôt que le nombre des jeunes nobles pratiquant encore les exercices avait considérablement diminué. La plupart d’entre eux ne songeaient pas au métier des armes. Il leur suffisait de savoir tenir sur une selle pendant la parade annuelle.

Dans la chaleur brûlante de l’été, un constant besoin d’agitation s’empara de moi. Je fis quelques visites à Lucius Domitius, mais en dépit de tout, c’était un compagnon trop enfantin pour moi. Il passait son temps à écrire des poèmes et me lut des vers consignés sur ses tablettes de cire en me demandant de les corriger. Avec une étonnante habileté, il modelait dans l’argile des figurines humaines ou animales. Il était friand d’éloges et, bien qu’il s’efforçât de le dissimuler, était facilement blessé par les critiques. Avec le plus grand sérieux, il me suggéra de prendre des leçons d’un maître de danse pour acquérir des gestes gracieux et plaisants à voir.

— L’art du danseur n’a guère d’utilité pour quelqu’un qui veut apprendre à se servir d’un glaive, d’un javelot et d’un bouclier, répliquai-je.

Lucius déclara qu’il haïssait ces combats de l’amphithéâtre, où de grossiers gladiateurs se blessaient et se tuaient à coups d’épée.

— Je n’ai pas l’intention de devenir gladiateur, rétorquai-je, offensé. Un chevalier romain doit apprendre l’art de la guerre.

— La guerre est une sanglante et inutile occupation. Rome a apporté la paix au monde. Mais on m’a dit qu’une relation de feu mon père, Cnaius Domitius Corbulon, livre une guerre d’escarmouches sur la rive germaine du Rhin pour gagner le droit au triomphe. Si tu y tiens vraiment, je peux lui écrire et te recommander comme tribun. Mais il fait durement travailler ses subordonnés et il te donnera du fil à retordre… si on ne l’écarte pas de son poste : je crois que mon oncle Claude ne tient guère à ce que des amis de mon père prennent trop d’importance.