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La Ie DPJ, responsable du huitième arrondissement. Volokine n’obtiendrait rien de plus du curé. Il avait raccroché. Goût amer dans la gorge. 5 ans après cette disparition, il avait lui-même enquêté sur Alain Manoury et n’avait jamais entendu parler de cette histoire. Il n’y avait que dans les films que les services de police échangeaient leurs informations.

La Ie DPJ. Une idée, toute chaude.

Il avait appelé Eric Vernoux, qui bossait là-bas :

— Je ne veux plus entendre parler de cette histoire.

— Des hommes sont assassinés. Des mômes sont enlevés. Si tu ne veux pas arrêter ça, il faut que tu changes de boulot.

— Qu’est-ce que tu veux au juste ?

Volokine s’était expliqué. Le dossier d’enquête complet de l’affaire Bellon. Vernoux ne se souvenait pas de l’affaire. Il n’était pas encore en poste et personne ne lui en avait jamais parlé.

— C’est pour maintenant, je suppose ?

— Pour hier.

— Comment je te le fais parvenir ?

— Tu me le mailes.

— 1995. Les PV n’étaient pas encore numérisés.

— Tu te faxes à toi-même les pages principales du dossier, sur ton ordinateur. Tu crées un document et tu me l’envoies, capito ?

— Vous êtes sur une piste ?

— N’oublie pas de m’envoyer une photo du gamin.

Il avait raccroché en sentant la sueur couler dans son cou. L’excitation de l’enquête avait du bon. Son corps transpirait, son nez coulait, et sa tête restait intacte. Depuis ce matin, l’idée d’un fix ne l’avait même pas traversé. Il fallait qu’il tienne encore…

17 h.

La nuit tombait.

Il attrapa une clope. Respira à pleins poumons l’air acide de la fin d’après-midi, puis alluma sa tige, inhalant profondément le parfum de la Craven. Il sentait ses poumons brûler, alors que ses membres étaient perclus de courbatures. Sensations positives. Châtiment mérité.

Aucune nouvelle de Kasdan. Tant mieux. Il voulait encore avancer. Dans son coin et à sa manière. Il songea un instant à contacter les parents du petit Bellon, mais il ne se voyait pas remuer ces événements tragiques la veille de Noël. Impossible.

Il balança sa cigarette à moitié consumée et retourna dans son refuge pour vérifier sa boîte aux lettres électronique. Vernoux s’était bougé le cul. L’e-mail était déjà là. Volokine lut le dossier. Rien d’essentiel. L’enquête avait été rapidement classée. Le Russe était ulcéré de voir dans quelle indifférence ces enfants s’étaient dilués dans l’air.

Il ouvrit le document PDF. Le portrait du petit garçon. Sans même le regarder, il l’édita sur l’imprimante du cybercafé. Il partit récupérer la feuille puis la disposa devant lui, sur le clavier de l’ordinateur, aux côtés des trois autres gosses volatilisés — il avait récupéré, le matin même, le dossier et le portrait de Nicolas Jacquet.

Nicolas Jacquet.

Disparu en mars 1990. 13 ans. Saint-Eustache, Saint-Germain-en-Laye.

Charles Bellon.

Disparu en mai 1995. 12 ans. Saint-Augustin, Paris huitième. Tanguy Viesel.

Disparu en octobre 2004. 11 ans. Notre-Dame-du-Rosaire, Paris quatorzième. Hugo Monestier.

Disparu en février 2005. 12 ans. Église Saint-Thomas-d’Aquin, Paris septième.

Combien d’autres encore ? Il retint son souffle et observa posément chacun des visages. Les quatre gamins ne se ressemblaient pas. Le mobile du voleur d’enfants se situait ailleurs. Le mobile, Volokine en était certain, était à l’intérieur.

C’était la voix des enfants.

Des timbres dont l’Ogre, d’une manière ou d’une autre, se nourrissait…

Volokine se prit à imaginer un instrument humain, un orgue dont chaque tuyau serait une délicate et précieuse gorge d’enfant. Pour jouer quelle œuvre ? Pour atteindre quel but ? Sa vision vira au cauchemar. Il vit des mômes battus, torturés, dont les hurlements constituaient le registre de l’instrument maléfique…

Le Russe sentait sourdre en lui l’angoisse. L’idée de ces gamins perdus lui tordait l’estomac. Il ne croyait plus au motif pédophile. Ni à l’idée d’une perversité qui aurait inclus les voix d’enfants. Non. Autre chose. Une œuvre. Une expérience. Un projet qui impliquait l’utilisation de voix innocentes. Et de la souffrance. Beaucoup de souffrance…

Les idées commençaient à se chevaucher dans son cerveau. Depuis le départ, il imaginait une vengeance enfantine. Des gosses ligués pour tuer les rabatteurs — ceux qui avaient fait du mal aux leurs.

Mais si c’était l’inverse ?

Si ces enfants appartenaient au contraire aux troupes de l’Ogre ? Des signes parlaient en faveur de cette théorie. Les chaussures.

L’habillement des gamins. L’utilisation du bois de la Sainte-Couronne. Tout cela faisait penser à une secte rétrograde. Sans compter la technique des meurtres, les mutilations, qui évoquaient une mystique dépravée. La secte de l’Ogre ? Ce serait alors le « maître » qui enverrait ses enfants pour éliminer ses propres sentinelles. Pourquoi ?

17 h 30. Toujours pas de nouvelles de Kasdan. Volokine attaqua sa deuxième mission « officielle ». La recherche des collègues exilés de Goetz. Les Chiliens, proches du régime, qui avaient migré en France à la fin des années 80.

Il composa le numéro de Velasco, qui s’apprêtait justement à rappeler Kasdan. Il avait retourné ses archives et trouvé trois noms. Reinaldo Gutteriez. Thomas Van Eck. Alfonso Arias. Trois bourreaux présumés qui, comme Goetz, avaient choisi la France. Et avaient été accueillis par le gouvernement de l’époque.

Nouveau coup de fil. Avec les noms et la nationalité des ressortissants chiliens, il était facile de les pister dans les archives informatiques des visas. Seul problème : on était dimanche, une veille de Noël. Volokine contacta ses copines en permanence à l’Etat-Major et joua de sa voix de velours. Les filles effectuèrent la recherche. Les quatre Chiliens, Goetz compris, avaient débarqué à Paris sur le même vol, l’AF 452, le 3 mars 1987.

Volokine demanda aux fliquettes de tracer les mecs depuis leur arrivée, via le service de l’Immigration. Département des cartes de séjour. Tout de suite, une anomalie apparut : si Wilhelm Goetz était bien venu « pointer » au bout de trois mois, pour obtenir sa carte de résident, les trois autres Chiliens s’étaient éclipsés. Aucune demande de carte. Aucun renouvellement de visa. Rien.

Le trio avait donc quitté le territoire français. Cela aussi, c’était facile à vérifier. Mais Volokine eut une nouvelle surprise. Les bourreaux n’avaient jamais franchi aucune frontière de l’Hexagone. Où étaient-ils allés ? Bénéficiaient-ils d’un statut particulier ? Le Russe avait contacté le Quai d’Orsay. Pour obtenir nada.

Il ne s’attendait pas à un mystère de ce côté-là. Trois hommes arrivent sur le sol français en 1987. Ils ne quittent pas le territoire. Pourtant, ils ne sont plus en France. Où sont-ils ? Ont-ils changé de nom ? Impossible d’imaginer ces trois Chiliens tout frais débarqués à Paris, possédant des connexions suffisantes pour endosser aussi sec une nouvelle identité. A moins qu’ils aient bénéficié d’une aide interne — un coup de pouce de l’État. Non. Trop tiré par les cheveux. Les lascars n’avaient pas même effectué une demande pour obtenir le statut de « réfugiés politiques ». Ils étaient partis ailleurs. Où ? 18 h.

Le Russe tenta de joindre Kasdan. Répondeur. Il laissa un message puis se leva. Paya. Se jeta sur l’avenue de Versailles. Il n’en pouvait plus de ce gourbi saturé de bruits de mitrailleuses. Que faire maintenant ? La nuit était tombée, ajoutant encore une couche aux délices de Noël. Sous les arches lumineuses, les passants se pressaient, comme si une sirène avait annoncé un bombardement imminent. On approchait de l’heure fatidique. Le seuil terrible du réveillon.