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— Il y avait aussi trois hommes : Reinaldo Gutteriez. Thomas Van Eck. Alfonso Arias. Où sont-ils aujourd’hui ?

— Aucune idée.

— Nous avons mené des recherches. Ils semblent avoir disparu.

— C’est dans l’ordre des choses. Ils étaient venus pour se dissoudre dans notre pays.

— Ils ont changé d’identité ?

— Tout est possible. Ces hommes étaient nos invités. Des invités de prestige.

— A votre avis, ont-ils conservé des contacts avec Hartmann ?

— Je ne pense pas. Ils voulaient tirer un trait sur le passé.

— Même Goetz ?

— Goetz était un faible. Le chien de Hartmann. Peut-être n’a-t-il pas pu se défaire de son maître.

L’Arménien balaya plusieurs questions.

— Le terme d’El Ogro vous dit quelque chose ?

— Non.

— Avez-vous entendu parler, à l’époque, d’un hôpital où des Allemands pratiquaient des vivisections humaines ?

— Hartmann, dans son enclave, à Asunción, avait un hôpital. Je n’y suis jamais allé. Mais il devait y pratiquer des opérations… originales.

— Selon vous, qu’est devenu le groupe de Hartmann ?

— Il a été dissous à la fin des années 80. La « Colonie », comme on appelait son domaine, a été démantelée. Trop de plaintes, trop de complications. Et l’Allemand vieillissait…

— Vous venez de nous dire qu’il avait fait école.

— Ailleurs. D’une autre façon. Je ne sais pas.

— Quand nous sommes arrivés, vous avez parlé d’enfants. Qui sont-ils ?

— Je ne veux pas en parler.

Soudain, le général La Bruyère parut se réveiller au temps présent.

— Pourquoi toutes ces questions ? Pourquoi déterrez-vous ces vieilles histoires ?

Volokine revint s’asseoir sur le lit, au plus près de l’officier :

— Wilhelm Goetz a été assassiné il y a quatre jours.

— Comme quoi le crime ne paie pas.

— Qui, à Paris, pourrait nous parler de la Colonie ? Qui pourrait savoir ce que sont devenus ses disciples ?

— Si je suis gentil avec vous, vous êtes gentil avec moi… Volokine se leva et franchit le seuil de la chambre en murmurant :

— Je reviens.

Kasdan demeura seul avec l’épave. Il était agité par un curieux sentiment. Ils avaient collecté des éléments importants dans cette chambre infernale mais il ne savait toujours pas comment les assembler — et les relier directement à la série des meurtres. Une seule certitude. L’ombre de Hartmann se rapprochait.

Volokine réapparut sur le seuil. Il attrapa les boîtes en fer. Les lança en direction du vieillard. Puis déposa un sachet de papier cristal sur les surfaces chromées :

— Tiens, Papy. Je suppose que tu es assez réveillé pour te fixer toi-même. Dans le cul ou ailleurs, c’est toi qui vois.

La Bruyère saisit le sachet et les boîtes, les serra contre lui comme s’il s’agissait d’un nourrisson. Le Russe se planta devant le lit :

— Qui à Paris peut nous parler d’Asunción ?

Le général se passa la langue sur ses lèvres d’une manière gourmande. Son regard considérait les minutes à venir — l’instant d’une nouvelle piqûre — avec concupiscence.

— Il y a un homme… Il s’appelle Milosz. Un ancien « enfant » de Hartmann. Un des rares qui s’en soit sorti. Il est arrivé à Paris dans les années 80.

— Où peut-on le trouver ? demanda Kasdan.

— Facile. Il a pignon sur rue.

— C’est un commerçant ?

— Un commerçant, oui. Mais il vend une denrée très particulière…

— Quoi ?

— De la souffrance. Il a un lieu, à Paris. Le Chat à neuf queues.

— Je connais, fit Volokine. Une boîte SM.

Le vieillard ne les regardait plus. Il ouvrait déjà la boîte en fer. Ses doigts tordus agrippaient la seringue, la cuillère, le caoutchouc. Les yeux baissés sur ses trésors, il émit un ricanement de hyène :

— Milosz ne peut produire que ce qu’il a connu : la douleur. Vous devez comprendre une vérité. Hartmann est une maladie. Une maladie incurable. Une fois que vous l’avez contractée, vous crevez avec !

51

— Je vais vous raconter une histoire.

Le timbre de Volokine trahissait son espoir de se calmer au plus vite. Kasdan conduisait, les yeux rivés sur l’auto. Les deux hommes étaient tendus à bloc. Pour des raisons différentes.

— Il y a quelques années, attaqua le Russe, j’avais une copine qui habitait au 28 de la rue de Calais, dans le neuvième arrondissement, près de la place Adolphe-Max. Une fois, je prends un taxi et donne au chauffeur le nom de la rue. Aussi sec, il me demande : « Au 28 ? » Je confirme mais je ne relève pas.

Les phares des voitures, en face, lacéraient l’habitacle. Les bretelles du boulevard périphérique apparurent.

— Quelques semaines plus tard, je reprends un taxi et j’indique la rue de Calais. Le mec réplique : « Au 28 ? » Ce n’est pas arrivé à tous les coups, mais plusieurs fois. Rue de Calais. Au 28 ? Je suis flic et je n’aime pas les questions sans réponse. J’ai enquêté sur l’immeuble et ses habitants. Je n’ai rien trouvé. Rien qui puisse expliquer cette célébrité bizarre. Puis un jour, un chauffeur plus malin que les autres m’a affranchi. Il y avait une boîte échangiste, tendance SM, au 34. Les clients, n’osant jamais donner la bonne adresse, plaçaient quelques numéros entre eux et leurs fantasmes. Ça tombait chaque fois sur le 28.

Les panneaux indicateurs brillaient dans la nuit. Porte de Bagnolet. Porte des Lilas. Pré-Saint-Gervais. Même à l’approche de la capitale, la circulation demeurait fluide. La voiture semblait glisser, portée par la nuit. Les compteurs du tableau de bord brillaient comme ceux d’un avion.

— Très drôle, fit Kasdan. Quel rapport avec Milosz ?

— La boîte, c’était Le Chat à neuf queues.

— Très fort. Et bien sûr, tu sais ce que ce nom veut dire ?

— Un symbole dans la pratique BDSM. Un fouet à plusieurs lanières, avec un nœud au bout de chacune. On dit que les pirates s’en servaient pour punir les indisciplinés. Le condamné devait lui-même faire chaque nœud. Dans le monde BDSM, pratiquer le « chat à neuf queues », ça veut vraiment dire quelque chose. Un cran sur l’échelle de la douleur.

— Je vois que tu es en verve. BDSM : qu’est-ce que ça veut dire ?

— C’est un acronyme. Bondage. Domination. Sado-Masochisme. Mais on peut y lire aussi Soumission, Discipline… Vous voyez autour de quoi ça tourne.

— Le « bondage », qu’est-ce que c’est ?

— L’art des liens et des entraves. Vous n’avez jamais lu ce genre de bandes dessinées, où les filles sont ligotées et suppliciées ?

— Il y a longtemps.

— Bon. Ce qu’il faut savoir, c’est que le BDSM ne correspond pas au SM au sens large. C’est beaucoup plus sûr. Moins douloureux.

— Je ne vois pas la nuance.

— Le BDSM est fondé sur des pratiques sécurisées et consentantes. Des rites d’humiliation et de douleur, mais superficiels. Le SM est plus dur. Rites de sang. Tortures. Parfois aussi, « no limit ».

L’Arménien retrouva son sourire :

— C’est moi le vieux et c’est toi le maître. Volokine rit en retour :

— Prenez le périph jusqu’à la porte de La Chapelle. On filera jusqu’au boulevard de Rochechouart. Ensuite, vous prendrez à droite. Direction l’Etoile. Place Clichy, on braquera à gauche, dans le neuvième arrondissement.