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— Qu’as-tu fait ensuite ?

— Je me suis prostitué. J’ai découvert que la souffrance pouvait devenir un business. D’abord à Londres. Puis à Paris. J’ai fait prospérer ma petite affaire.

Volo tenta de revenir au cœur du sujet :

— Nous supposons que la voix des enfants est une des clés du meurtre de Goetz. Peut-être le mobile central. Qu’en penses-tu ?

— Hartmann poursuivait des recherches sur la voix humaine mais il est mort avec son secret.

Kasdan s’énerva tout à coup :

— Bon Dieu, mais que cherchait-il ?

— Personne n’a jamais su. Quand je vivais à la Colonie, il y avait des rumeurs… On disait que Hartmann avait fait une découverte, à l’époque des camps de concentration. A propos de la voix. Je ne sais pas quoi. Il possédait des enregistrements de cette période. Il enregistrait aussi nos séances de torture. Il s’enfermait des journées entières pour écouter ces hurlements.

Milosz marqua un temps, puis reprit la parole, un ton plus bas :

— Je ne sais rien de votre enquête. Je ne sais pas ce que vous cherchez. Mais si la Colonie est impliquée, alors ce secret l’est aussi. Cette découverte a existé. Elle a contaminé tous ceux qui s’en sont approchés. C’est un secret qui peut tuer et provoquer une réaction en chaîne. Même aujourd’hui.

— Tu parles de la secte au temps présent ?

Le chauve arbora un sourire, du bout de ses lèvres épaisses :

— Vous m’avez l’air de patiner sec, mes canards.

— Si tu sais quelque chose, c’est le moment de nous affranchir.

— La secte ne s’est jamais dissoute. Asunción existe toujours.

— Où ?

— On a parlé du Paraguay. Des îles Vierges. Du Canada. Mais pour moi, c’est l’hypothèse la plus folle qui est la bonne.

— Quelle hypothèse ?

— Hartmann et sa clique se sont installés en Europe. Ici même, en France, pour être précis. Après tout, votre délicieux pays est une terre de tolérance, non ?

Volokine jeta un regard à Kasdan : il y lut la stupeur qu’il éprouvait lui-même. Un tel postulat éclairait d’un coup de multiples aspects de l’affaire.

— Qu’est-ce que tu sais sur cette implantation ?

— Rien. Et je ne tiens pas à m’en mêler. Mais l’idée n’est pas absurde. Des centaines de sectes se sont développées en France. Pourquoi pas la Colonie ?

— Qui la dirigerait ?

— Le roi est mort. Vive le roi ! L’esprit de Hartmann règne toujours. Parmi ses « ministres », il y en a forcément un qui a pris la relève.

Volokine réfléchit. Une secte fondée sur le mal et le châtiment. Une communauté qui torture des enfants et vit selon des règles à coucher dehors. Il en aurait forcément entendu parler à la BPM.

Une violente nausée stoppa ses pensées. Il se sentit mal, à ne plus tenir debout. Ses muscles étaient tétanisés. Sa poitrine écrasée, au point de lui briser les côtes. Le manque ? Il n’eut plus qu’une idée : en finir avec l’interrogatoire.

— Pour trouver la Colonie, insista Kasdan, tu n’as aucune piste à nous donner ?

— Aucune. Et vous n’en trouverez pas. Si la secte est en France, croyez-moi, elle est invisible.

Volokine recula vers la porte : il fallait qu’il sorte. Kasdan parut prendre conscience du problème. Il avança d’un pas et provoqua le colosse :

— Tu as encore peur d’eux, non ?

— Peur ? Milosz n’a jamais peur. On ne peut plus lui faire de mal. Impossible.

Le maître SM s’appuya sur un des accoudoirs du trône, produisant à nouveau un bruit de bouteilles qui s’entrechoquent.

Volokine, en reculant, voyait la scène palpiter à travers un voile sombre.

— Qu’est-ce que vous croyez ? Que ma formation n’a laissé aucune trace ? Le mal m’habite depuis toujours, cousins. Mais je suis immunisé.

Volokine atteignit la porte. Il sentait dans l’air l’imminence d’une explosion, d’une déflagration maléfique.

— Milosz ne craint pas le Mal. Milosz est le mal.

D’un geste, il ouvrit les pans de sa cape noire. Son torse gras et nu portait une multitude de ventouses, à l’ancienne. Des globes de verre qui lui suçaient la peau en abritant chacun un cauchemar bien spécifique — sangsue, scorpion, mygale, frelon… Une légion tout droit sortie d’un delirium tremens, dévorant ses chairs rougies et sanglantes.

54

— Allô ?

— C’est Volokine.

— Quoi ?

— Cédric Volokine.

Le téléphone avait sonné douze fois avant qu’on ne décroche. A 4 heures du matin, ce n’était pas étonnant. Le silence à l’autre bout de la connexion, comme ouaté, enveloppé d’obscurité et de sommeil.

— Putain…, reprit enfin la voix. Ça va pas non ? T’as vu l’heure ?

— Je suis sur une enquête.

— Qu’est-ce que j’en ai à foutre ?

— J’ai besoin de te parler.

— De quoi, nom de Dieu ?

— Des sectes en France.

— Ça peut pas attendre demain, non ?

— On est demain.

Nouvelle pause. Volokine lança un coup d’œil convaincu à Kasdan, comme s’il était en train d’ouvrir un coffre-fort sur le point de céder.

— Où tu es, là ?

— Devant chez toi.

— J’y crois pas…

Le moment de porter l’estocade.

— Tu me dois, Michel. Ne l’oublie pas. L’homme libéra un profond soupir puis grommela :

— Je vous ouvre. Et faites pas de bruit. Tout le monde dort ici. Volokine coupa le portable de Kasdan, connecté sur le haut-parleur. Il allait sortir de la voiture quand l’Arménien dit :

— Attends. J’aime savoir où j’en suis. Ce mec, c’est qui ?

— Michel Dalhambro. Un mec des RG. Il a participé au groupe d’études qui a recensé les sectes dans les années 90. Aujourd’hui, il appartient à une « mission de lutte contre les dérives sectaires ». Il connaît le truc à fond.

— Pourquoi tu lui as dit : « Tu me dois » ?

— Une longue histoire.

— Le temps qu’il trouve ses pantoufles, tu peux m’affranchir. Volokine prit son souffle. Les dates, les faits, en une version compacte :

— C’était en 2003. Les gars des RG avaient une association dans le collimateur. Pas vraiment une secte. Un centre d’enfants handicapés mentaux, à Antony. Ils pratiquaient des soins à tendances ésotériques. Dans la nomenclature des RG, on appelle ça un « groupe de guérison ». Les dirigeants demandaient des sommes importantes aux parents et leurs pratiques n’avaient pas l’air très nettes.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Dalhambro a mené l’enquête. Il a interrogé le directeur. Il a rédigé un rapport en béton. Selon lui, le gars était blanc comme neige.

— C’est tout ?

— Non. Un an plus tard, des parents ont porté plainte. Ils ne parvenaient pas à récupérer leurs gosses. Le dossier est arrivé chez nous, à la BPM. Je suis allé au centre et j’ai interrogé le directeur. A ma façon. Le gars s’est mis à table.

— Que se passait-il ?

— Il emmenait ses petits attardés, par deux ou trois, dans sa voiture, pour des balades sur les parkings. Il les violait. Il les forçait à s’attoucher. Il les filmait. Si Dalhambro avait senti le vent, on aurait pu éviter un an de souffrance aux mômes.