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— Personne n’est à l’abri d’une erreur.

— C’est pour ça que j’ai déchiré son rapport. Personne à la PJ n’a su à quel point Dalhambro s’était planté. Depuis ce jour, il me doit. Quand je ne sais plus où dormir, il m’invite. Je sais que j’ai toujours chez lui une assiette au chaud.

Kasdan ouvrit sa portière, affichant un large sourire :

— On est vraiment une grande famille. Volo jeta un œil au pavillon.

— J’espère que c’est le bon. Ils se ressemblent tous.

Michel Dalhambro vivait dans un village stéréotypé, aux abords de Cergy, composé de pavillons absolument identiques. Dans la nuit, les boules des réverbères se détachaient à la manière de lunes de poche. Le long des allées, les maisons, toits rouges et façades de crépi blanc, se déployaient à perte de vue, comme des jouets sur une chaîne de production.

Les gens qui habitaient ici finissaient-ils par tous vivre, penser, bouffer de la même façon ? Ou était-ce le contraire ? S’étaient-ils réunis ici parce qu’ils partageaient une seule et même existence ? Kasdan songea à une monstrueuse secte, dont le lavage de cerveau était soft, invisible, indolore. Un conditionnement fondé sur les publicités, les jeux télévisés, les centres commerciaux. En un certain sens, le clonage existait déjà. On pouvait mourir ici. L’Être, au sens philosophique du terme, se poursuivait, dépassant chaque individualité.

Volokine frappa avec précaution. Il semblait remonté. Pourtant, cela faisait plusieurs heures qu’il n’avait ni mangé ni fumé. Son comportement était un mystère. Le gamin paraissait traverser des secousses intimes, anticyclones, dépressions, éclaircies, qui ne regardaient que lui. Mais l’enquête semblait saturer son corps et son esprit. Au point d’en balayer le manque ?

Michel Dalhambro était un mec épais, de taille moyenne, dont la quarantaine ne possédait aucun signe distinctif. Quelque chose de gras évoquait chez lui un hot-dog ou un hamburger. Sa peau, mi-mate, mi-orange, rappelait les croûtes de pain de la junk-food. Les traits bouffis de sommeil, hirsute, le menton bombardé de picots de barbe, il portait un sweat-shirt de marque CHAMPION et un pantalon de jogging trop court, qui lui faisait une culotte de zouave.

Il barra ses lèvres de son index :

— Faites pas de bruit. Les gamins dorment au premier. Et retirez vos godasses. Si ma femme vous voit, elle vous vire au fusil.

Les deux partenaires s’exécutèrent et franchirent le seuil pour découvrir que le clonage continuait à l’intérieur. Pas un meuble, pas un tableau, pas un bibelot qui ne devait être reproduit à des milliers d’exemplaires dans les autres pavillons. Kasdan se força à détailler cette décoration à crédit.

La pièce blanche faisait à la fois office de salon et de salle à manger. Au fond, au pied d’un escalier, deux canapés en « L », face à l’inévitable écran plat. Plus près, une table ronde entourée de chaises formait l’espace-repas, avant une porte qui s’ouvrait sur la cuisine. Des bibliothèques chargées d’objets exotiques plutôt que de livres. Des coffres, des tapis, des commodes en droite provenance d’Ikea. Taches de couleur à peu près aussi inspirées qu’une mire de télévision.

Dalhambro chuchota :

— Faites gaffe aux cadeaux !

Près de la baie vitrée, un sapin clignotait mollement, entouré de paquets argentés ou bigarrés. Kasdan éprouva une gêne. Guirlandes, étoiles, boules scintillantes, tout semblait confit dans une gelée d’ennui et de banalité.

— Café ?

Ils acceptèrent d’un signe de tête et s’installèrent autour de la table, sans retirer leurs treillis. Kasdan se dit qu’ils ne valaient pas mieux que cette petite vie conforme. Ils puaient la nuit glacée. Ils puaient la merde. Ils puaient cette odeur de solitude et d’abandon des SDF — et ils n’avaient rien à faire dans cette maison réconfortante.

Dalhambro déposa sur la table un plateau avec trois tasses fumantes.

— Cette enquête, ça pouvait pas attendre, non ? Volokine fit glisser un sucre dans son café :

— Je t’ai dit que c’était hyper-chaud.

— Un rapport avec le meurtre de Saint-Augustin ?

— T’es au courant ?

— C’est passé au journal de 20 heures.

— C’est lié, ouais.

— Et le lien avec la BPM ?

— Laisse tomber.

Le Russe désigna un ordinateur portable, posé sur un coin de la table :

— Tu peux effectuer une recherche de chez toi ?

— Ça dépend sur quoi.

— A ton avis ?

Dalhambro but son café cul sec puis plaça l’ordinateur devant lui. Il chaussa des lunettes et marmonna :

— Nous avons un nouveau programme, qui recense toutes les sectes en France. (Il pianotait à une vitesse impressionnante.) Attention : c’est un programme secret. On n’a eu que des emmerdes avec notre première liste, dans les années 90. En France, le culte religieux est un droit libre et démocratique. Aujourd’hui, on doit parler de « dérives sectaires »… Et pour bouger, il nous faut du lourd. Escroqueries, viols psychiques, séquestrations…

Kasdan eut un élan de curiosité :

— Combien y a-t-il de sectes en France ?

— On dit : « mouvements spirituels ». C’est fluctuant. Ça dépend si on prend en compte les groupuscules sataniques, les groupes intégristes islamiques. Mais je dirais plusieurs centaines. Au moins. Pour 250 000 personnes impliquées.

Dalhambro leva les yeux au-dessus de ses lunettes :

— Bon. Votre groupe, là, c’est quoi ?

— On sait pas grand-chose, répondit Volokine. Il est d’origine germano-chilienne. A une époque, quand il était implanté en Amérique du Sud, il s’appelait la « Colonie Asunción ». Son chef spirituel était Hans-Werner Hartmann. Un genre de nazi, qui doit être mort aujourd’hui mais qui a fait école. On pense qu’ils sont plusieurs centaines et qu’ils se sont installés en France à la fin des années 80.

Le flic des RG tapait toujours, intégrant chaque donnée.

— Leur credo, continua Volo, s’appuie sur le châtiment corporel et sur le chant. Deux voies pour atteindre à la pureté spirituelle.

— Encore des gens équilibrés.

— On suppose qu’ils conditionnent des enfants, jusqu’à les transformer en assassins. Ces enfants-tueurs seraient impliqués dans trois meurtres récents, dont celui du prêtre de Saint-Augustin. (Volokine lança un regard à Kasdan.) A notre avis, ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Nous soupçonnons aussi des enlèvements de gamins. Des expérimentations humaines. Dalhambro eut un sifflement ironique :

— Vous êtes sur un gros morceau.

— Ça ne te dit rien ?

— Que dalle.

Il pianotait toujours. Rajusta ses lunettes :

— Quelle tendance spirituelle ? Evangélique ? Syncrétique ? New Age ? Orientaliste ? Guérisseurs ? Ufologique ? Alternatifs ?

— Plutôt chrétiens.

— Quelle branche ? Catholiques ? Protestants ? Apocalyptiques ?

— On les a comparés aux Amish. Mais leur culte paraît vraiment… unique.

— J’ai l’habitude. Ils ont tous leur petite originalité. Ont-ils une activité professionnelle ?

— Au Chili, ils possédaient une propriété agricole et des mines. Peut-être qu’ils ont développé une de ces spécialités sur le territoire français.

Dalhambro joua encore du clavier puis appuya sur la touche ENVOI. L’ordinateur ronronna durant plusieurs secondes.

— Je n’ai rien.