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— Sûr ?

— Certain. Avec tes données, le programme aurait dû percuter. Vous faites fausse route, les gars. Il n’y a rien en France qui ressemble de près ou de loin à votre histoire.

Les partenaires restèrent silencieux. Kasdan savait que Volokine pensait comme lui. Après ce rendez-vous, ils n’avaient plus rien. Rien d’autre qu’un Noël qui ne les concernait pas. Et un épuisement aussi lourd que la masse d’une étoile froide.

Ils se levèrent. Dalhambro puisa dans sa poche de jogging un paquet de Gitanes. Il en proposa à ses invités qui refusèrent. Il enjamba les cadeaux, ouvrit la baie vitrée et alluma une cigarette, plongeant son bras droit à l’extérieur et secouant vigoureusement la main gauche, afin de chasser toute fumée.

— Je le sens pas, votre truc. On parle de gros délits, là. Homicides, violences, lavages de cerveaux. Il y aurait forcément eu des plaintes. Vos mecs ne sont pas en France.

— Tu peux tout de même gratter ? demanda Volokine. Peut-être qu’ils ont changé de nom. Qu’ils se sont constitués une façade honorable. Peut-être qu’ils sont répertoriés sous le nom d’une coopérative agricole ou d’une société minière…

— Mon truc, fit-il en tenant toujours sa cigarette au-dehors, c’est les sectes. Pas les OGM.

— Tu vois ce que je veux dire.

Au bout de quelques taffes, Dalhambro extirpa de sa poche une petite boîte en fer dans laquelle il écrasa son mégot. Il referma la boîte, la glissa dans sa poche, attrapa une bombe odorante derrière un rideau. Il pulvérisa quelques nuages dans le salon et ferma la baie vitrée. Mme Dalhambro ne semblait pas être un modèle de tolérance.

— Les mecs, conclut-il en frappant dans ses mains, je ne vais pas vous déranger plus longtemps, comme on dit. Mes gosses vont se réveiller dans deux heures et je vais passer ma matinée à assembler des jouets incompréhensibles. Alors, j’aimerais dormir un peu…

Le Russe insista :

— Tu pourras jeter un œil ?

— Je vais voir…

— Aujourd’hui ?

— Tout ce que je peux faire, c’est gratter sur les autres pays d’Europe. Interpol possède un département consacré aux mouvements sectaires. Je vais consulter leur programme. Mais je ne pourrai appeler personne. Pas aujourd’hui.

Dalhambro les poussait vers la porte. Volokine ne bougeait pas. Il semblait vissé au sol. Il y avait quelque chose de pathétique dans son insistance.

— Tu n’as jamais entendu parler de sectes maléfiques, qui préconisent le meurtre ?

— Pas en France, non. Ici, les sataniques jouent à touche-pipi. Et même ailleurs. Il faudrait remonter à Charles Manson, aux États-Unis. Ou au Mexique, où on pratique la « Sangria ». Ou encore en Afrique du Sud, où règne toujours la sorcellerie. Ça fait un peu loin de chez nous, non ?

Dalhambro ouvrit sa porte et eut un geste sans équivoque : « Bonsoir chez vous. »

En quelques secondes, ils étaient dehors. En quelques secondes, ils étaient nulle part.

55

— T’es sûr de ton coup ?

— Non. Mais je veux vérifier. Volokine avait insisté pour prendre le volant. Ils roulaient sur l’autoroute A86, en direction du port de Gennevilliers. Le Russe conduisait penché sur son volant, comme s’il voulait le tordre. A peine leur visite achevée, il avait expliqué :

— Pendant que Dalhambro pianotait sur sa bécane, il m’est revenu un détail. Milosz a expliqué que Hartmann considérait la civilisation moderne comme une corruption. Qu’il interdisait à ses disciples de toucher certains matériaux, comme le plastique.

— Ça t’évoque quelque chose ?

— Hier matin, j’ai interviewé Régis Mazoyer. Vous savez, cet ancien chanteur devenu garagiste. Il était 6 heures du matin. Le type bossait déjà. Le truc étrange, c’était qu’il manipulait le métal à mains nues mais, quand il m’a préparé du café, il a chaussé des gants de feutre. Il m’a expliqué qu’il était allergique au plastique. Vous connaissez beaucoup de gens allergiques au plastique ?

— Personne.

— On est d’accord. Il pourrait y avoir une explication à ce geste bizarre. Ce type a peut-être passé du temps dans la Colonie, version française. Et il en a conservé des tics.

— Pourquoi serait-il allé dans la secte ?

— Pour chanter. Quand il avait 12 ans, Régis Mazoyer avait une voix extraordinaire. Vous l’avez entendue. L’Ogre avait peut-être repéré le gosse…

— Et Mazoyer ne t’en aurait pas parlé ?

— Il m’a seulement mis sur la voie. A mon avis, il a peur. Il m’a donc laissé entrevoir la piste, me parlant d’El Ogro et me soufflant qu’il avait suivi des stages de chant. L’un d’eux s’est passé chez Hartmann, j’en suis sûr. Et sa mue précoce l’a sauvé d’un danger.

— Quel danger ?

— Je sais pas. Mais il peut nous en dire plus. Après ça, on va se coucher.

Volokine prit la sortie « Port de Gennevilliers ». Ils ne parlaient plus. Leur silence était comme un pacte. Kasdan était secrètement reconnaissant à Volokine d’avoir eu cette idée. Ils étaient possédés par le syndrome du requin. S’ils s’arrêtaient, ils crevaient…

Après un dédale d’échangeurs et de bretelles, ils traversèrent une zone industrielle, qui faisait courir dans la nuit les lignes de ses entrepôts et de ses parcs de stationnement. Kasdan songea à de grandes feuilles tracées au fusain. Des esquisses. Des brouillons. Des plans. La banlieue industrielle, c’était ça : des lignes, des formes, toujours grises, jamais achevées, jetées à la surface de la terre.

Volokine ralentit dans une rue en contrebas, au pied d’un vaste parvis, cerné de barres d’immeubles plantées en « U ». Des devantures éteintes s’égrenaient, puis des box de parking.

Le Russe se gara sur le parc de stationnement, en face. Il stoppa le moteur. Tira le frein à main. Trop fort, au goût de Kasdan.

— Bienvenue à la cité Calder. Le mec a installé son garage dans plusieurs de ces box. Je suis sûr qu’on va le trouver à cette heure. Il bosse très tôt. Et il dort dans son garage.

Ils sortirent dans la nuit. Des fantômes de buée s’exhalaient de leurs lèvres.

Kasdan rappela le petit :

— Tu fermes pas la bagnole ?

— Vous n’avez même pas de télécommande.

— Justement. Tu risques pas de laisser une portière ouverte par distraction.

Volokine soupira et verrouilla les portes à la main. Ils s’orientèrent vers les garages. L’un des rideaux de fer était ouvert à mi-hauteur, laissant filtrer une faible lumière. Ils s’approchèrent.

Aucun bruit. Le Russe frappa sur la paroi. Pas de réponse. Il se baissa pour voir à l’intérieur, sous la cloison entrouverte.

La seconde suivante, il reculait en étouffant un juron et en dégainant son Glock.

Kasdan s’écarta en un geste réflexe. Il tenait déjà son Sig Sauer.

Les deux flics se plaquèrent à droite et à gauche de la porte, sans un mot. En un parfait accord, ils levèrent le cran de sûreté de leur arme et tirèrent sur le ressort de la culasse.

Volokine fit une sommation.

Pas de réponse.

Cinq secondes.

Dix secondes.

D’un signe de tête, Volo fit comprendre : « Moi, le premier. » Il se glissa sous le volet, Glock en avant. Kasdan le suivit. À l’intérieur, une lanterne était accrochée au pont élévateur, diffusant une faible clarté. Ce n’était pas la lumière qui frappait mais l’odeur. Sourde, métallique, pleine de rancœur. L’odeur du sang.